A l'automne 1925, Jean Cocteau rencontre Jean Desbordes. Ou plutôt, Jean Desbordes vient à lui. S'ensuit une nouvelle histoire d'amour dans une des périodes les plus troublées de la vie de Jean Cocteau. C'est le moment où son addiction à l'opium est la plus forte. C'est aussi le moment où il sort de sa phase religieuse qui a pu faire croire à certains qu'il allait devenir le nouvel écrivain catholique (c'est l'épisode Jacques Maritain). Comme pour Raymond Radiguet, Jean Cocteau se fera le mentor de son nouvel amour en l'aidant à publier son premier recueil de poésies : J'adore.
Mais, depuis Radiguet, Jean Cocteau a avancé dans sa façon de vivre son homosexualité. Là où, auparavant, cela restait une affaire privée, seule connue de ses proches, cela devient maintenant une posture publique, en cette fin des années 20. C'est un signe fort qu'à ce moment là, vers 1928/1929, deux ouvrages fort différents sont publiés. Le premier est le Livre blanc, dans un petit tirage privé, puis cet ouvrage et enfin le Livre blanc, dans une édition publique. C'est un dévoilement progressif. Il est symptomatique, et beau, que ce lent dévoilement passe par la publication de ces 25 dessins de Jean Desbordes en dormeur. Quel bel hommage à son amant que de le montrer ainsi, dans cette position d'abandon, même si elle reste encore (publiquement) très chaste.
En décembre 1927, Jean Cocteau se retire avec Jean Desbordes à Chablis, pendant quelques jours durant lesquels il rédige son "manifeste" homosexuel, Le Livre Blanc, qu'il fait paraître à très petit tirage et de façon anonyme en juillet 1928. Au même moment, il expose des dessins de Jean Desbordes en dormeur en même temps que des illustrations pour Œdipe-roi, à la galerie des Quatre-Chemins, rue Godot-de-Mauroy. Dans une sorte de dévoilement progressif, il est maintenant montré au public une image plus intime de soi, en admirateur/contemplateur de son ami dormant. Quelle plus belle image de l'intimité que celle qui est donnée par le regard que l'on pose sur son ami dormant ? Certes, c'est moins direct et moins "cru" que le dévoilement du Livre blanc, mais déjà plus public. En 1929, il publie ces 25 dessins dans un tirage déjà plus significatif de 213 exemplaires. Dans la préface, il semble s'étonner des réactions des visiteurs à ces images offertes au public, comme subrepticement, avec des images d' Œdipe-roi. Fausse ou vraie naïveté, il se sent obligé de préciser :
Ces dessins ne sont pas exactement des portraits de Jean Desbordes mais plutôt de l'amitié que je lui porte et d'une admiration respectueuse.
Puis il poursuit :
Je les exposai, alternant avec des illustrations pour Œdipe-roi. Ces illustrations ressemblent à l'idée que je me forme du drame grec. Or les visiteurs voyaient les portraits de Desbordes et ne voyaient pas les illustrations d’Œdipe-roi. Je veux dire qu'ils n'y lisaient que taches et monstres informes.En réalité ils ne voyaient de Jean Desbordes qu'un nombreux profil endormi au lieu de reconnaître un calque des veines et des artères de l'émotion, grand corps suspendu ; au lieu de suivre les fleuves et les montagnes d'une géographie de l'âme.Pour tracer une ligne vivante et ne pas trembler de la savoir en danger de mort sur tous les points de sa route, il me faut dormir d'une sorte de sommeil, laisser descendre sans réserve les sources de ma vie dans ma main, et que cette main finisse par travailler seule, par voler en rêve, par se mouvoir sans se soucier de moi. C'est le motif pour lequel il m'arrive souvent cette chose très ridicule d'admirer avec ma tête un travail fait par ma main.Je voudrais mourir, victime de la poésie comme certains docteurs des rayons X, sûr d'avoir engagé toute ma substance dans mon œuvre et de n'avoir rien mis de côté pour vivre confortablement un jour.Les grincheux se plaindront d'une suite de dessins analogues et trouveront l'ensemble monotone. Qu'ils ferment le livre. Desbordes dort beaucoup. Un dormeur est le modèle des modèles. On risque en le copiant avec patience de copier l'élément où il baigne et de portraiturer, sans préméditation, l'atmosphère du songe.
Il ajoute : " Prudence n'était pas le nom
de ma nourrice"
L'année suivante, plus directement, il publiea enfin le Livre blanc, dans une édition publique, même s'il reste anonyme. Je renvoie au message que je lui ai consacré : cliquez-ici.
Parmi les 25 planches, j'ai sélectionné ces images :
Il existe une bonne présentation de cet ouvrage, avec la reproduction complète des planches à cette adresse : http://cocteau.biu-montpellier.fr/index.php?id=231
Ce site très bien fait, très complet, se fonde sur une belle collection d'ouvrage et de documents de Jean Cocteau, appartenant à un fonds patrimonial unique en France né en 1989 d’une donation
d’Édouard Dermit (fils adoptif et légataire universel du poète) et
conservé à la B.U. Lettres de Montpellier III.
Description de l'ouvrage
Jean Cocteau
25 dessins d'un dormeur
Lausanne, H.-L. Mermod, s.d. [1929], in-4° (27 x 21 cm), [30] ff., dont 25 planches, couvertures grises rempliées avec étiquette de titre sur le 1er plat.
La couverture porte simplement un papier collé avec « 25 Dessins d'un Dormeur par Jean Cocteau ».
L'ouvrage a été tiré sur les presses de l'imprimerie Albert Kundig à Genève. Le tirage est :
- 3 exemplaires sur Vieux Japon hors commerce, marqués A. B. C.
- 3 exemplaires sur Vieux Japon hors commerce, marqués A. B. C.
- 10 exemplaires sur Chine, numérotés de I à X.
- 200 exemplaires sur Velin pur fil des papeteries du Marais, numérotés de 1 à 200.
Celui-ci est le n° 141.
Cet ouvrage a été réédité en 2002 par Fata Morgana, avec un texte introductif de Pierre Chanel. Tirage 300 exemplaires sur vergé ivoire : http://www.fatamorgana.fr/livres/25-dessins-d-un-dormeur
- 200 exemplaires sur Velin pur fil des papeteries du Marais, numérotés de 1 à 200.
Celui-ci est le n° 141.
Cet ouvrage a été réédité en 2002 par Fata Morgana, avec un texte introductif de Pierre Chanel. Tirage 300 exemplaires sur vergé ivoire : http://www.fatamorgana.fr/livres/25-dessins-d-un-dormeur
Cet ouvrage est absent de la BNF. Il y a un seul exemplaire dans le fonds Cocteau de la BU de Montpellier.
A la fin de la préface, Jean Cocteau rend hommage à son éditeur :
Monsieur Mermod, sans connaître encore le génie de Desbordes, sans que je lui parle de notre amitié, a vu ses portraits avec le sens dont je parle. Tout cela lui paraissait l'évidence même, il entendait l'idiome des lignes. C'est pourquoi je lui donne la préférence et le charge de publier cette suite qui risque de sembler monotone à ceux qui ne savent pas lire une coupe de l'agate du sang, le secret des racines, des sources, et le langage des étoiles.
5 commentaires:
Bravo ! dessins magnifiques et très bonne analyse de votre part !
Merci.
Je commente peu, mais j'aime beaucoup votre site et vos photos.
Continuez.
Quel bel ouvrage ! Et merci pour cet article et les images !
Tania.
Merci de votre commentaire.
Je peind moi meme des peinture de nue masculin erotique gay
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