mercredi 31 mars 2021

Narkiss, de Jean Lorrain, traduit en espagnol, avec des illustrations réinterprétées

Comme je l'annonçais dans le message précédent, je présente maintenant le deuxième ouvrage que j'ai acquis de la maison d'édition Amistades particulares : Narkiss, de Jean Lorrain. C'est aussi un livre que j'ai présenté il y a maintenant presque quatre ans : cliquez-ici, dans l'édition illustrée de luxe, publiée en 1908, après la mort de Jean Lorrain.


L'édition espagnole du Baiser de Narcisse avait ouvert la voie à un travail de réédition qui se voulait une recréation de l'ouvrage d'origine. Le choix avait été alors de redessiner presque à l'identique, et pourtant de façon différente, les illustrations originales de 1912. Pour cette édition de Narkiss, le parti-pris d'une recréation de l'ouvrage d'origine est encore plus affirmé puisque l'on peut même parler de réinterprétation. Cette fois-ci, les dessins originaux n'ont pas été "décalqués" comme dans El Beso de Narciso, ils ont été réinterprétés avec talent. Dans mon message de présentation de l'édition originale de 1908, j'avais choisi de mettre comme image d'en-tête celle qui termine l"ouvrage :

En regard, le dessin qui illustre l'édition espagnole reprend le motif original en lui donnant une force et une sensualité que ne possède pas le dessin de 1908 d'Octave Denis Victor Guillonnet.

 

Comme pour El Beso de Narciso, je ne commente pas la traduction qui est ici l’œuvre d'Augusto F. Prieto, par manque de compétence. En revanche, je réitère mes éloges à propos de la qualité matérielle de cette édition. Que ce soit le choix du papier, de la typographie, l'abandon bienvenu du texte en majuscules de l'original, les pages de garde au charme suranné, et, enfin, l'inclusion d'un ex-libris au sein de l'ouvrage, tout fait de cette publication un bel objet. Mais je n'ai pas mentionné l'illustrateur, qui est en même temps l'interprétateur et celui qui apporte de la sensualité et de l'homoérotisme aux illustrations qui, à l'origine, baignaient dans une atmosphère pour le moins glauque (qui se dit "glauco" en espagnol, ce que j'ignorais). Je laisse le soin à Joaquim Sicart Bertan de présenter son travail (en espagnol).

Là-aussi, pour ceux qui peuvent comprendre cette intéressante présentation, je regrette ces critiques inutiles de la réédition par les Éditions GayKitschCamp. Pour le reste, c'est parfait.

Il ne me reste plus qu'une suggestion à leur faire. Cette réédition n'a été tirée qu'à 110 exemplaires. Pourquoi ne pas numéroter les exemplaires ?

vendredi 26 mars 2021

Une belle édition espagnole du Baiser de Narcisse

La maison d’édition espagnole Amistades particulares se consacre depuis 2014 à publier des textes LGBT avec un focus plus particulier sur le XIXe et le début du XXe. Ils sont donc amenés à traduire pour la première fois en espagnol des textes inaccessibles dans leur pays et parfois même mal connus dans leurs pays d’origine. Ils se distinguent aussi, et cela mérite d’être souligné, par la qualité matérielle de leurs éditions et le choix d’illustrations soignées.

J’ai découvert leur existence il y a quelques années. La publication en fin d’année dernière du Narkiss, de Jean Lorrain, a aiguisé ma curiosité. Je leur ai commandé récemment deux ouvrages. Par ces billets, je veux rendre hommage à la pertinence de leur démarche et, en amateur de beaux livres, mettre en avant la qualité des deux ouvrages reçus. J’espère aussi, dans la mesure de mes modestes moyens, pouvoir les aider à mieux se faire connaître hors d’Espagne.

En 2017, ils souhaitaient faire découvrir Jacques d’Adelswärd-Fersen aux hispanophones. Cet auteur, dont j’ai déjà souvent parlé ici et dont j’aurai l’occasion de reparler, est peu connu en France, même si les efforts des uns et des autres tendent peu à peu à le faire lire et apprécier dans son pays d’origine. Il est donc méritoire et bienvenu de vouloir le faire connaître en Espagne où, j’imagine, avant cette traduction, seuls quelques spécialistes en connaissaient l’existence. Amistades particulares a donc choisi Le Baiser de Narcisse comme premier ouvrage à traduire et publier. Ils ont poursuivi avec Lord Lyllian, en 2018, puis Une Jeunesse (Una juventud) en février 2021. J’ai été sensible au choix du Baiser de Narcisse car j’ai un attachement particulier pour ce texte et pour cet ouvrage dans son édition de 1912. Je l’ai présenté sur ce site en 2010 (cliquez-ici) et j’espère avoir fait découvrir cette nouvelle (ou ce court roman), mais surtout les très belles et très troublantes illustrations d’Ernest Brisset. J’en avais d’ailleurs fourni des scans pour la réédition française par les Éditions GayKitschCamp en 2012 (voir le message sur cette réédition : cliquez-ici).

Pour cette édition, même si je parle espagnol, je ne suis pas à même de juger de la qualité de la traduction, en particulier de sa capacité à rendre le style de Fersen. Quant aux illustrations d’Ernest Brisset, le choix de l’éditeur n’a pas été de les reproduire à partir de scans de l’original, mais de redessiner à l’identique les différents bandeaux et encadrements. Les raisons qu’ils donnent ne me semblent pas convaincantes, mais, peu importe, ce travail de re-création à l’identique me paraît parfaitement réussi. Les illustrations combinent judicieusement l’esthétique Art nouveau des dessins d’origine avec un graphisme moderne, en particulier dans le traitement des couleurs. Pour vous en faire juge, je présente les deux versions (la nouvelle et l'originale) du bandeau illustrant la tête du chapitre XVI :


 

Ce choix pour l’illustration m’a fait immédiatement songer à l’exercice de Gus Van Sant qui a donné une nouvelle version du  film Psychose de Hitchcock en 1998 sous forme d’une copie conforme et pourtant différente du film original. Le mot « calque » me paraît s’appliquer parfaitement tant à l’œuvre de Gus Van Sant, qu’au travail sur les illustrations du Beso de Narciso.  

La mise en page est belle et aérée et, là aussi, fidèle à l'originale. La typographie, avec le choix du caractère Garamond, est élégante :

Cette édition s’accompagne d’un court texte de présentation et d’une notice biographique sur Jacques d’Adelswärd-Fersen, par Carlos Sanrune, qui doit bien être le premier (et peut-être unique) texte de présentation de l’auteur en espagnol (hormis la notice Wikipedia). Notons que Carlos Sanrune est aussi le traducteur du texte et, par ailleurs, un romancier.

Je termine par deux petites notes.

La première est une note personnelle. Dans le cadre de ma vie professionnelle, j’ai passé trois ans en Espagne, à Madrid, au début des années 1990. J’en ai gardé un profond attachement à ce pays, aux Espagnols et plus généralement à tout ce qui touche à l’Espagne.

La deuxième note est une petite critique que je rejette à la fin pour ne pas ternir les éloges mérités de cette édition. Le soin matériel apporté à cet ouvrage doit parler par lui-même. Il ne me paraît pas nécessaire de dénigrer dès la première page la réédition par les Éditions GayKitschCamp en la qualifiant de « edición bastante pobre ».

Un second message sera consacré à l’édition du Narkiss de Jean Lorrain qui a paru en décembre 2020.