La maison d’édition espagnole Amistades particulares se consacre depuis 2014 à publier des textes LGBT avec un focus plus particulier sur le XIXe et le début du XXe. Ils sont donc amenés à traduire pour la première fois en espagnol des textes inaccessibles dans leur pays et parfois même mal connus dans leurs pays d’origine. Ils se distinguent aussi, et cela mérite d’être souligné, par la qualité matérielle de leurs éditions et le choix d’illustrations soignées.
J’ai découvert leur existence il y a quelques années. La publication en fin d’année dernière du Narkiss, de Jean Lorrain, a aiguisé ma curiosité. Je leur ai commandé récemment deux ouvrages. Par ces billets, je veux rendre hommage à la pertinence de leur démarche et, en amateur de beaux livres, mettre en avant la qualité des deux ouvrages reçus. J’espère aussi, dans la mesure de mes modestes moyens, pouvoir les aider à mieux se faire connaître hors d’Espagne.
En 2017, ils souhaitaient faire découvrir Jacques d’Adelswärd-Fersen aux
hispanophones. Cet auteur, dont j’ai déjà souvent parlé ici et dont
j’aurai l’occasion de reparler, est peu connu en France, même si les
efforts des uns et des autres tendent peu à peu à le faire lire et
apprécier dans son pays d’origine. Il est donc méritoire et bienvenu de
vouloir le faire connaître en Espagne où, j’imagine, avant cette
traduction, seuls quelques spécialistes en connaissaient l’existence.
Amistades particulares a donc choisi Le Baiser de Narcisse comme premier
ouvrage à traduire et publier. Ils ont poursuivi avec Lord
Lyllian, en 2018, puis Une Jeunesse (Una juventud) en février 2021. J’ai
été sensible au choix du Baiser de Narcisse car j’ai un attachement
particulier pour ce texte et pour cet ouvrage dans son édition de 1912. Je
l’ai présenté sur ce site en 2010 (cliquez-ici) et j’espère avoir fait
découvrir cette nouvelle (ou ce court roman), mais surtout les très
belles et très troublantes illustrations d’Ernest Brisset. J’en avais
d’ailleurs fourni des scans pour la réédition française par les Éditions
GayKitschCamp en 2012 (voir le message sur cette réédition : cliquez-ici).
Pour cette édition, même si je parle
espagnol, je ne suis pas à même de juger de la qualité de la traduction,
en particulier de sa capacité à rendre le style de Fersen. Quant aux
illustrations d’Ernest Brisset, le choix de l’éditeur n’a pas été
de les reproduire à partir de scans de l’original, mais
de redessiner à l’identique les différents bandeaux et
encadrements. Les raisons qu’ils donnent ne me semblent pas
convaincantes, mais, peu importe, ce travail de re-création à l’identique
me paraît parfaitement réussi. Les illustrations combinent
judicieusement l’esthétique Art nouveau des dessins d’origine avec un
graphisme moderne, en particulier dans le traitement des couleurs. Pour
vous en faire juge, je présente les deux versions (la nouvelle et l'originale) du bandeau illustrant la tête du chapitre XVI :
Ce choix pour l’illustration m’a fait immédiatement
songer à l’exercice de Gus Van Sant qui a donné une nouvelle version du film
Psychose de Hitchcock en 1998 sous forme d’une copie conforme et
pourtant différente du film original. Le mot « calque » me paraît
s’appliquer parfaitement tant à l’œuvre de Gus Van Sant, qu’au travail
sur les illustrations du Beso de Narciso.
La mise en page est belle et aérée et, là aussi, fidèle à l'originale. La typographie, avec le choix du caractère Garamond, est élégante :
Cette édition
s’accompagne d’un court texte de présentation et d’une notice
biographique sur Jacques d’Adelswärd-Fersen, par Carlos Sanrune, qui
doit bien être le premier (et peut-être unique) texte de présentation de
l’auteur en espagnol (hormis la notice Wikipedia). Notons que Carlos
Sanrune est aussi le traducteur du texte et, par ailleurs, un romancier.
Je termine par deux petites notes.
La
première est une note personnelle. Dans le cadre de ma vie
professionnelle, j’ai passé trois ans en Espagne, à Madrid, au début des
années 1990. J’en ai gardé un profond attachement à ce pays, aux
Espagnols et plus généralement à tout ce qui touche à l’Espagne.
La
deuxième note est une petite critique que je rejette à la fin pour ne
pas ternir les éloges mérités de cette édition. Le soin matériel apporté
à cet ouvrage doit parler par lui-même. Il ne me paraît pas nécessaire
de dénigrer dès la première page la réédition par les Éditions
GayKitschCamp en la qualifiant de « edición bastante pobre ».
Un second message sera consacré à l’édition du Narkiss de Jean Lorrain qui a paru en décembre 2020.