Amour viens sur ma bouche! Amour ouvre tes portes!
Traverse les couloirs, descends, marche léger,
Vole dans l'escalier, plus souple qu'un berger,
Plus soutenu par l'air qu'un vol de feuilles mortes.
Ô traverse les murs; s'il le faut marche au bord
Des toits, des océans; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate une heure avant ma mort.
Alors qu'il est incarcéré à Fresnes pour des vols de livres, en septembre 1942, Jean Genet compose son premier poème, Le condamné à mort. Ce long poème en alexandrins est dédié : "à Maurice Pilorge, assassin de vingt ans" : "J'ai dédié ce poème à la mémoire de mon ami Maurice Pilorge dont le corps et le visage radieux hantent mes nuits sans sommeil. En esprit je revis avec lui les quarante derniers jours qu'il passa, les chaînes aux pieds et parfois aux poignets, dans la cellule des condamnés à mort de la prison de Saint-Brieuc. [...] Pour moi, qui l'ai connu et qui l'ai aimé, je veux ici, le plus doucement possible, tendrement, affirmer qu'il fut digne, par la double et unique splendeur de son âme et de son corps, d'avoir le bénéfice d'une telle mort."
Jean Genet fait imprimer le poème par un codétenu, typographe de son état, condamné pour fabrication de fausses cartes de rationnement. Ce premier tirage estimé à 100 exemplaires a été diffusé par Jean Genet auprès du cercle d'admirateurs qui commençaient à se former autour de lui : Jean Cocteau, François Sentein, etc.
En novembre 1943, Jean Genet fait la connaissance de Marc Barbezat, un industriel lyonnais qui publiait une revue littéraire L'Arbalète. C'est Olga Barbezat qui a fait connaître Genet à son mari, après avoir lu ce poème. Dès janvier 1944, Jean Genet propose à Marc Barbezat de publier Le condamné à mort, avec un autre poème inédit, Marche funèbre, sous le titre général de Chants secrets. Ce projet ne se concrétisera qu'en 1945. Auparavant, Marce Barbezat publie un chapitre de Notre-Dame-des-Fleurs dans sa revue. Il fait ensuite imprimer en mars 1945 Chants secrets à 402 exemplaires, dans la belle typographie aérée qui caractérise tous les ouvrages des éditions de L'Arbalète, en particulier la belle harmonie des impressions en rouge et noir. Marc Barbezat choisit un peintre et poète, Emile Picq, pour illustrer la couverture.
Le poème tout entier mériterait d'être cité. Il contient ce mélange propre à Jean Genet de fascination pour le mal et le crime et d'érotisation homosexuelle du corps de l'assassin qui devient objet de fantasme et d'amour : " le spectre d'un tueur à la lourde braguette".
Cependant, ne voir dans ce poème que cet alliage, devenu un peu banal, du crime et de l'érotisme, est une vision réductrice. C'est d'abord un très beau texte. La lecture en est envoutante. On y retrouve cette langue unique de Genet qui sait si bien combiner la pureté d'une langue parfois un peu précieuse avec la crudité et la liberté des scènes évoquées :
Jean Genet fait imprimer le poème par un codétenu, typographe de son état, condamné pour fabrication de fausses cartes de rationnement. Ce premier tirage estimé à 100 exemplaires a été diffusé par Jean Genet auprès du cercle d'admirateurs qui commençaient à se former autour de lui : Jean Cocteau, François Sentein, etc.
En novembre 1943, Jean Genet fait la connaissance de Marc Barbezat, un industriel lyonnais qui publiait une revue littéraire L'Arbalète. C'est Olga Barbezat qui a fait connaître Genet à son mari, après avoir lu ce poème. Dès janvier 1944, Jean Genet propose à Marc Barbezat de publier Le condamné à mort, avec un autre poème inédit, Marche funèbre, sous le titre général de Chants secrets. Ce projet ne se concrétisera qu'en 1945. Auparavant, Marce Barbezat publie un chapitre de Notre-Dame-des-Fleurs dans sa revue. Il fait ensuite imprimer en mars 1945 Chants secrets à 402 exemplaires, dans la belle typographie aérée qui caractérise tous les ouvrages des éditions de L'Arbalète, en particulier la belle harmonie des impressions en rouge et noir. Marc Barbezat choisit un peintre et poète, Emile Picq, pour illustrer la couverture.
Le poème tout entier mériterait d'être cité. Il contient ce mélange propre à Jean Genet de fascination pour le mal et le crime et d'érotisation homosexuelle du corps de l'assassin qui devient objet de fantasme et d'amour : " le spectre d'un tueur à la lourde braguette".
Cependant, ne voir dans ce poème que cet alliage, devenu un peu banal, du crime et de l'érotisme, est une vision réductrice. C'est d'abord un très beau texte. La lecture en est envoutante. On y retrouve cette langue unique de Genet qui sait si bien combiner la pureté d'une langue parfois un peu précieuse avec la crudité et la liberté des scènes évoquées :
Élève-toi dans l'air de la lune ô ma gosse.
Viens couler dans ma bouche un peu du sperme lourd
Qui roule de ta gorge à tes dents, mon Amour,
Pour féconder enfin nos adorables noces.
Colle ton corps ravi contre le mien qui meurt
D'enculer la plus tendre et douce des fripouilles.
En soupesant charmé tes rondes, blondes couilles,
Mon vit de marbre noir t'enfile jusqu'au cœur.
Cette évocation crue voisine avec ce rêve poétique d'évasion et d'amour :
O viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d'Espagne
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d'ici battre notre campagne.
Le ciel peut s'éveiller, les étoiles fleurir,
Et les fleurs soupirer, et des prés l'herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner: moi seul je vais mourir.
O viens mon ciel de rose, O ma corbeille blonde!
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n'avions pas fini de nous parler d'amour.
Nous n'avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu'il fait pâlir le jour.
Autre extrait et illustration de la manière de Jean Genet : la fascination, en même temps religieuse et païenne, pour le bel adolescent, que le meurtre et le prochain châtiment auréolent d'une attraction devenue presque surnaturelle :
Et les vieux assassins se pressant pour le rite
Accroupis dan le soir tirent d'un bâton sec
Un peu de feu que vole, actif, le petit mec
Plus émouvant et pur qu'une émouvante bite.
Le bandit le plus dur, dans ses muscles polis
Se courbe de respect devant ce gamin frêle.
Monte la lune au ciel. S'apaise une querelle.
Bougent du drapeau noir les mystérieux plis.
T’enveloppent si fin, tes gestes de dentelle!
Une épaule appuyée au palmier rougissant
Tu fumes. La fumée en ta gorge descend
Tandis que les bagnards, en danse solennelle,
Graves, silencieux, à tour de rôle, enfant,
Vont prendre sur ta bouche une goutte embaumée,
Une goutte, pas deux, de la ronde fumée
Que leur coule ta langue. O frangin triomphant,
Cette richesse d'évocations, de sentiments, qui appartiennent traditionnellement à des registres différents, loin de former un ensemble hétéroclite, est au contraire d'une très grande unité, cimentée par cette langue unique qui en fait un seul et long poème à la gloire de la beauté et de la fascination des hommes.
Le deuxième poème, Marche funèbre est aussi consacré à Maurice Pilorge.
L'illustration de couverture donne un cachet particulier à cette édition. Elle est signée d'Emile Picq. Je n'ai malheureusement pas réussir à trouver beaucoup d'informations le concernant. Il était illustrateur, peintre et poète. Francis Ponge lui a consacré un article paru en mai 1944 dans l'Atelier contemporain au sein du recueil Le peintre à l'étude, Paris, Gallimard, NRF, 1948.
On trouve un seul livre de lui à la BNF :
Fièvre des souvenirs d'exil. Avec des dessins de l'auteur. Mystère joyeux. Sainte Cohorte. D'une ville perdue. Départ pour l'exil. Jardin du cri du coeur. La Forêt songe.
Paris, A. Henneuse, 1942, in-16, 105 p.
L'ensemble des poèmes de Jean Genet a été publié dans la collection Poésie/Gallimard :
Le deuxième poème, Marche funèbre est aussi consacré à Maurice Pilorge.
L'illustration de couverture donne un cachet particulier à cette édition. Elle est signée d'Emile Picq. Je n'ai malheureusement pas réussir à trouver beaucoup d'informations le concernant. Il était illustrateur, peintre et poète. Francis Ponge lui a consacré un article paru en mai 1944 dans l'Atelier contemporain au sein du recueil Le peintre à l'étude, Paris, Gallimard, NRF, 1948.
On trouve un seul livre de lui à la BNF :
Fièvre des souvenirs d'exil. Avec des dessins de l'auteur. Mystère joyeux. Sainte Cohorte. D'une ville perdue. Départ pour l'exil. Jardin du cri du coeur. La Forêt songe.
Paris, A. Henneuse, 1942, in-16, 105 p.
L'ensemble des poèmes de Jean Genet a été publié dans la collection Poésie/Gallimard :
Pour ceux qui veulent aller plus loin sur Jean Genet, une des biographies de référence est celle d'Edmund White.
Elle fourmille d'informations, précises et factuelles. La majorité des renseignements, très résumés, sur ces poèmes et cette édition en proviennent.
Enfin, je conseille ce coffret (DVD+CD+livret). Non seulement, il contient le film Un chant d'amour, qu'il est indispensable d'avoir vu pour tous ceux qui sont fascinés par l'univers de Genet, mais aussi des entretiens avec et sur Jean Genet. Le livret contient une reproduction du manuscrit du Condamné à mort
Enfin, je conseille ce coffret (DVD+CD+livret). Non seulement, il contient le film Un chant d'amour, qu'il est indispensable d'avoir vu pour tous ceux qui sont fascinés par l'univers de Genet, mais aussi des entretiens avec et sur Jean Genet. Le livret contient une reproduction du manuscrit du Condamné à mort
Une petite note personnelle
L'œuvre de Jean Genet, en particulier de Notre-Dame-des-Fleurs, été une grande découverte, j'irais presque jusqu'à dire une illumination, de mon adolescence. Avec d'autres œuvres littéraires, elle a contribué à la formation de ma conscience homosexuelle. Ce n'est pas tant l'aspect subversif (un tantinet éventé aujourd'hui), voire sulfureux, qui m'a enrichi, mais plutôt la fascination de Genet pour l'homme et l'amour homosexuel. Cette fascination ainsi exprimée à l'état brut, m'a aidé à comprendre et mieux vivre ma propre fascination, qui, aujourd'hui, trente ans après, reste inentamée ni amoindrie.
Le plus étonnant est que je viens de découvrir la poésie de Genet, en particulier ce poème, tout cela parce que j'ai d'abord été séduit par ce bel ouvrage, ce bel exemplaire. Lorsque je dis que l'amour des livres rejoint l'amour des garçons, c'est aussi que l'amour des livres me permet d'approfondir mon amour des hommes.
Description de l'ouvrage
Chants secrets
[Lyon], L'Arbalète, in-4° (284 x 192 mm), [1945], 45-[2] pp, couverture rempliée ornée d'une illustration.
[Lyon], L'Arbalète, in-4° (284 x 192 mm), [1945], 45-[2] pp, couverture rempliée ornée d'une illustration.
Une petite particularité de cet ouvrage est que le nom de l'auteur, avec l'illustration, se trouve sur la première couverture, et le titre se trouve au quatrième de couverture :
Tirage 402 exemplaires :
- 400 exemplaires numérotés sur pur fil Lafuma, tous réservés aux souscripteurs numérotés de 1 à 400.
- 2 exemplaires sur vieux japon réimposés.
- 400 exemplaires numérotés sur pur fil Lafuma, tous réservés aux souscripteurs numérotés de 1 à 400.
- 2 exemplaires sur vieux japon réimposés.
La BNF possède pas moins de 5 exemplaires, certains dans la réserve des livres rares :
RES. FOL-NFY-14, exemplaire de Pierre Leroy
RES 4-Z DON-220 (17), exemplaire de Alberto Magnelli (1888-1971), donné par Susi Magnelli
RES 4-Z PAB BIBL-43, don de Pierre-André Benoit, (1921-1993)
RES M- YE- 529
Dans les autres bibliothèques publiques en France (CCFr), je n'ai repéré qu'un seul exemplaire à la bibliothèque Jacques Doucet (n° 172).
Quelques liens
Sur ce site en espagnol, très bien fait, un message est consacré au poème Le condamné à mort, avec la transcription complète, en français, du poème :
Ce poème a été mis en musique et chanté par Hélène Martin :
Il a été aussi repris par Etienne Daho :