vendredi 30 octobre 2020

Portrait de jeune homme par Botticelli

Une œuvre de Botticelli en vente est en soi un événement. Un beau portrait de garçon un peu androgyne, comme Botticelli semblait les affectionner est toujours un plaisir pour les yeux. Un garçon qui porte mystérieusement un portrait entre les mains est une énigme, mais aussi un stimulant inépuisable pour l'imagination.


 Rendez-vous en janvier à New-York.

samedi 17 octobre 2020

Pierre Loti, encore !

L'actualité de Pierre Loti est riche. Samedi 10 octobre, une vente aux enchères à Saintes a dispersé une belle collection de souvenirs de Pierre Loti qui venait directement de la succession de l'un de ses petits-fils, Pierre Loti. On pourrait regretter qu'une telle collection soit proposée à la vente à l'encan, alors que certaines pièces auraient mérité d'être conservées par le musée Loti de Rochefort. Mais j'imagine que des nécessités dont je ne connais pas la nature a conduit la famille Loti à se dessaisir de ces objets qui appartiennent en même temps à l'histoire familiale et à l'histoire littéraire.

J'ai sélectionné quelques images parmi les plus de 70 lots qui ont été proposés aux enchères.

Ce portrait de Julien Viaud, avant qu'il ne soit Pierre Loti, à l'âge de 12 ans, par sa sœur Marie Bon a heureusement été acheté par le musée Loti de Rochefort, dont la réouverture est prévue en 2023. Je me fais une joie de retourner à Rochefort pour voir cette maison de Pierre Loti.

Ce tableau représente justement la Mosquée que Pierre Loti avait aménagée dans sa maison de Rochefort.

Ce magnifique dessin de Pierre Loti représente deux gabiers, Samuel et Daniel, balayant des oiseaux morts tombés sur le pont d’un navire (il s’agit d’une scène de Pêcheur d’Islande). Il a été très disputé. Il montre, pour ceux qui en douteraient, que Pierre Loti était fasciné par la beauté du corps masculin. Que faut-il en déduire ? je n'en sais rien. Ce plaisir nous est offert. Ne le boudons pas.



Ce dessin nous montre que Pierre Loti, parmi ses multiples talents, possédait un bon coup de crayon. Il représente La Limoise, cette propriété proche de Rochefort où il retrouvait Lucie Duplais, cet amour d'adolescence dont la mort, alors qu'il avait 15 ans, a été une de ses premières douleurs d'homme. C'est un lieu majeur qu'il évoque dans Le Roman d’un enfant, livre qui rassemble ses souvenirs de jeunesse. C'est, me semble-t-il, un des plus beaux textes de Pierre Loti. Je l'ai lu, émerveillé, dans une chambre d'hôpital il y a un peu plus d'un an de cela.

Pierre Loti en uniforme de capitaine de frégate.

Photographie du tableau d’Edmond de Pury qui représente Pierre Loti en officier de Marine.

Chiffre JV PL de Pierre Loti, avec sa devise « Mon mal, j’enchante » dans un phylactère, qui ornait un service de table en faïence fine de Bordeaux, de la Manufacture Ducot-Kintzel, qui avait été fabriqué pour Pierre Loti. Il l'utilisait lors des réceptions dans la grande salle à manger de la maison de Rochefort.

Menu de la fête médiévale organisée par Pierre Loti, à Rochefort, le 12eme jour d’apvril de l’an de Grâce MDCCCLXXXVIII [1888].

Photo de Pierre Loti en Louis XI assis sur une cathèdre entre Laporte et Pierre Scoarnec habillés en page.

De nombreuses photos étaient reproduites dans le catalogue en ligne et proposées à la vente. Je ne sais qui est représenté avec ce beau collant moulant et ce pourpoint.Il ne manque pas de charme... [Un lecteur me fait remarquer à juste titre la ressemblance avec l'acteur Édouard de Max. Il reste un doute car il n'apparaît pas parmi les invités cités par Alain Quella-Villéger dans sa biographie de Pierre Loti. La notice de la maison de vente aux enchères n'est pas suffisamment précise. Il pourrait s'agir de "Paul Parfait (officier de marine, gendre du Cdt Viviat Barbotin) costumé en page".]

La vente comportait aussi des livres offerts à Pierre Loti, dont ce roman par Sarah Bernhardt, avec sa belle couverture.

samedi 10 octobre 2020

Pierre Loti et Henri d'Argis

En 1888, paraît Sodome, d’Henri d’Argis, un des premiers, si ce n’est le premier, romans homosexuels, préfacé par Paul Verlaine. J'en ai déjà parlé sur ce blog (voir ici).

Un an plus tard, Henri d’Argis fait paraître Gomorrhe, comme une suite logique, si j’ose dire, de son précédent ouvrage. Après avoir exploré ces deux déviances sexuelles, il est revenu à des sujets plus « normaux » en s’intéressant à L’Éducation conjugale, en 1895. Il bouclait ainsi un cycle.

L’objet de ce message n’est pas d’entrer dans des considérations bibliographiques sur quelle est la véritable édition originale de Sodome, que l’on trouve avec plusieurs adresses : Piaget, Bergeretto, Charles et des couvertures différentes. Je connaissais cette édition de 1889, chez Charles. Je sais maintenant que, selon un usage habituel dans l'édition à l'époque, l’éditeur Charles a récupéré l'édition de 1888, en lui mettant une nouvelle page de titre (un titre de relai, en termes techniques), avec son adresse, et surtout, une nouvelle couverture, qui, avec celle de Gomorrhe, forment un ensemble cohérent, à défaut d'un ensemble harmonieux. Ainsi, l'éditeur pouvait vendre les deux ouvrages, comme une œuvre unique en deux volumes : Sodome et Gomorrhe.



Ce n’est pas encore Proust, mais cela montre tout de même que l’on pouvait présenter des ouvrages sous ces titres en scandalisant raisonnablement le public. A titre d’exemple, lors de la parution de l’ouvrage Sodome, Francisque Sarcey, un éminent critique de l’époque, lui a tout de même consacré un très long papier en première page du quotidien Le XIXe siècle, après avoir feint de se boucher le nez devant une telle littérature (lien vers l'article).

Ainsi munis de leurs belles (!) couvertures colorées, Henri d’Argis a pu faire présent de ces deux ouvrages à une des gloires littéraires de l’époque, Pierre Loti. 


Presque au sommet de sa gloire – il sera élu à l’Académie française en 1891 -, Pierre Loti était une relation avantageuse, voire utile, pour un jeune écrivain. Henri d’Argis avait alors 25 ans. Il était probablement à la recherche d'une reconnaissance par un de ses pairs. Malheureusement, nous n’en savons pas plus sur les relations entre les deux hommes.

Le cadeau a dû suffisamment plaire à Pierre Loti pour qu’il les fasse relier dans une belle peau de chagrin rose. Encore qu’il n’y ait pas de certitudes que ce soit bien lui qui les ait fait couvrir ainsi. En effet, pour avoir vu récemment des ouvrages provenant de sa bibliothèque, ils étaient rarement aussi bien reliés, quand ils l’étaient. Il me plaît néanmoins de penser que c’est lui qui a pris ce soin. Les livres sont muets. Ils ne veulent pas nous dire quelles ont été leurs vies – le pluriel est de rigueur – avant d’arriver dans nos bibliothèques.


Le mystère Henri d’Argis (ou le mystère Alphonse Berty)

Si vous tapez « Henri d’Argis » sur Google, la première information est cette notice Wikipédia : « Alphonse Berty est un écrivain français, auteur de Sodome (1888) et de Gomorrhe (1889) sous le pseudonyme Henry d'Argis. » Disons d’abord qu’il s’agit de Henri et non de Henry, comme en témoignent non seulement son nom sur les pages de titre mais sa signature elle-même sur l’envoi à Pierre Loti. Partout sur Internet (je pense surtout à tous les sites qui mettent en vente des exemplaires de Sodome ou toutes les notices de maisons de ventes aux enchères), ces deux ouvrages sont attribués à cet Alphonse Berty. J’ai vainement cherché l’origine de cette information qui est abondamment répétée et qui, à force de répétition, a fini par devenir presque une vérité.

Pourtant, une recherche un peu plus approfondie permet de trouver un Henri d’Argis qui a existé sous ce nom-là, dont rien ne permet de penser qu’il n’est pas l’auteur de ces ouvrages. On le trouve dans l’entourage de Paul Verlaine. Jean-Jacques Lefrère, cet érudit malheureusement trop tôt disparu, dont la science est rarement mise en défaut, dit, dans sa publication de la correspondance d'Arthur Rimbaud : 

Henri d'Argis de Guillerville, qui était né en 1864 à la Ferté-Gaucher, appartenait à une famille de noblesse de robe du XVIIe siècle. Il mourut à l'âge de trente-huit ans. Verlaine préfaça son roman Sodome, paru en 1888. Ferdinand Bac, dans son Journal de l'année 1919, à la date du 22 juillet, évoque le souvenir de D'Argis à l'occasion d'un déjeuner chez Philippe Berthelot : « Je parle d'un ami commun du Quartier Latin de 1880, un étrange bohème que Berthelot a beaucoup connu, d'Argis de Guillerville, un ami de Maurice Barrés, morphinomane, génie manqué, tapeur, poète, romancier, médecin, organiste, vivant avec Moréas et Verlaine. »

En réalité, il est mort à Paris à trente-deux ans et non trente-huit, le 19 août 1896. Il y a beaucoup d’autres renseignements que l’on peut trouver sur lui en cherchant. Mais ce n’est pas le propos de mon message.

Le mystère n’est donc pas de savoir qui est véritablement l’auteur de ces livres, car, de fait, il n’y a pas de mystère, mais d'où provient cette attribution à un obscur Alphonse Berty. En effet, lorsqu’on fait des recherches sur un éventuel auteur appelé Alphonse Berty, on ne trouve rien, sauf à le confondre avec l'écrivain et historien de Paris Adolphe Berty, mort en 1867, bien avant la parution de ces livres.

jeudi 1 octobre 2020

Rimbaud et Verlaine au Panthéon

Depuis quelques temps, circule une pétition pour transférer les restes de Rimbaud et Verlaine au Panthéon.

A peine connue, cette idée m'a profondément déplu. Je l'ai même trouvé grotesque (le mot est peut-être un peu fort). Je n'arrive pas à imaginer Rimbaud dans cette espèce de temple froid et sans âme qu'est le Panthéon. D'ailleurs, je connais fort peu de monde qui soit allé le visiter. Je vous conseille de consulter la liste complète des personnes "panthéonisées", qui se trouve sur Wikipédia : cliquez-ici. Je vous demande ensuite d'imaginer Rimbaud à côté d'eux. L'incongruité de la chose apparaîtra immédiatement. Cela est aussi valable pour Verlaine, même si la chose me paraît inimaginable pour d'autres raisons.

De nombreuses personnes se sont déjà exprimées, en général en défaveur de cette idée. J'ai découvert récemment ce texte de Pierre Jourde, plein de verve et de mordant, qui me paraît dire tout ce qu'il y a à dire à ce sujet, avec plus de talent que j'en ai. Je vous conseille de le lire : cliquez-ici.

Je vous donne quelques liens où sont développées d'autres réflexions : ici et .

Un des arguments en faveur de cette panthéonisation est la tombe même d'Arthur Rimbaud (extrait du texte de la pétition) :

Les deux poètes sont enterrés dans leurs caveaux familiaux : Rimbaud avec son ennemi et usurpateur, Paterne Berrichon. A Charleville, sa tombe « étriquée, avare » confirme que sa vie « lui a été volée », comme l’écrit Yves Bonnefoy. 

Cet argument me semble faible. Je suis voisin d'un cimetière parisien où se trouvent tant de célébrités. Si tous ceux et celles qui ont mérité de la patrie et qui y sont enterrés (Berlioz, par exemple, mais aussi Lautréamont dont la tombe a disparu de ce cimetière) devaient être panthéonisés à cause de leur sépulture, je vous laisse imaginer...

Mais surtout, pour y être allé, cette tombe modeste et un peu bourgeoise me paraît mieux correspondre à Rimbaud, quoiqu'on en dise, qu'une tombe solennelle et "républicaine" au Panthéon, où, en plus, il deviendra difficile de la voir.

J'ai fait le pèlerinage il y a quelques années et je m'y suis fait photographier. Cela reste un beau souvenir d'un week-end rimbaldien à Charleville.

 

Pour ceux qui avancent comme argument les liens difficiles de Rimbaud avec sa famille, je vous renvoie à ce texte, fort méconnu, du journal de sa sœur Vitalie Rimbaud, dont j'ai parlé sur ce blog, en marge d'un message sur Patti Smith et Rimbaud. Savoir Rimbaud près de cette sœur est déjà en soi émouvant.

Pour être complet, je vous renvoie vers l'argumentation du principal instigateur de cette histoire : cliquez-ici.

Sans entrer dans la polémique, il y a tout de même un point qui me choque plus particulièrement dans ce texte. Expliquer que la part d'ombre de chacun ne doit pas être un frein à la reconnaissance et à la panthéonisation de Rimbaud et Verlaine, très bien. Écrire un article à charge et partial pour justifier la suppression d'une plaque d'hommage à Guy Hocquenghem sur son domicile parisien, pourquoi pas. Mais se targuer de l'un pour justifier l'autre montre au mieux un manque de cohérence intellectuelle et au pire une forme de malhonnêteté.

Pour ceux qui ne connaissent pas l'intérieur du Panthéon, et je sais qu'ils sont nombreux, cette image vous donne un bel aperçu de ce lieu chaleureux et intime :