Une maison de ventes aux enchères propose des archives de Boris Kochno et Christian Bérard. Pour mieux connaître ces deux personnalités de la vie artistique et gay de l'entre-deux-guerres, j'ai reproduit la présentation du catalogue de vente en fin de message.
J'ai extrait ces documents qui m'ont plu, en particulier les dessins de Christian Bérard où, derrière la simplicité du trait, se dévoile une réelle fascination pour le charme masculin. Le premier dessin me semble parfaitement illustré mon propos. J'espère que vous partagerez mon choix.
Dessins de Christian Bérard :
Deux peintures de Christian Bérard:
Autres artistes :
Fernand Léger : nu masculin
Kliment Nikolaevich Red'ko :
Portrait de Boris Kochno, pastel
Photos de Boris Kochno :
Photo de Christian Bérard :
Composition illustrant le catalogue de la vente :
Préface du catalogue :
Bébé est le surnom que ses compagnons des académies de peinture de Montparnasse donnèrent à Christian Bérard, évoquant ainsi sa ressemblance avec le bébé rose, joufflu et souriant des publicités pour un célèbre savon pour enfant. C’est par ce sobriquet que le peintre Pavel Tchelitchev fit un portrait de ce personnage rocambolesque à Boris Kochno. Ce dernier le rencontra pour la première fois alors qu’il était encore en relation avec Serge de Diaghilev auquel Jean Cocteau et Henri Sauguet avaient vanté les talents du peintre Christian Bérard. Il envisageait de lui confier les décors pour La Chatte, le ballet en préparation en 1926 pour les Ballets russe de Monte-Carlo. Boris Kochno décrivait alors Christian Bérard en ces termes : « C’était un jeune homme replet, de taille moyenne. Il avait les cheveux blonds, une bouche souriante et des yeux clairs et lumineux au regard candide. Je m’aperçus bientôt que ce visage ouvert et plein de charme changeait complètement selon les sentiments qui l’animaient et qui, parfois, modifiaient brusquement ses expressions et ses couleurs. »
Après la mort de Diaghilev en 1929, Bérard et Kochno commencent leur collaboration avec le ballet La Nuit sur une idée de Kochno. Celui-ci fut présenté au Palace Theatre de Manchester un an plus tard. Bérard travaillait également à l’époque au portrait de Kochno. Il le rejoignait dans son atelier qui était alors encore au domicile des parents de Bérard dans un hôtel particulier Villa Spontini. La peinture apparaissait avoir une emprise sur Bérard tel que Kochno l’expliquait : « Il me semblait ne plus être seul avec Bérard... J’avais l’impression qu’un être occulte le secondait dans son travail, guidant sa main gauche qui maniait le pinceau, ou bien la retenant à mi-chemin lorsqu’elle s’avançait vers la toile. Bérard paraissait suivre les conseils de quelqu’un qui se tenait derrière lui et lui parlait à l’oreille, car, par moment, il s’arrêtait de travailler, se retournait comme pour écouter ce qu’il lui disait, puis s’exclamait, tapait du pied et recommençait à peindre avec furie. »
En parallèle de La Nuit, Bérard exécutait les décors de La voix humaine, pièce en un acte de Jean Cocteau dont la première eut lieu au théâtre de la Comédie-Française le 17 février 1930. C’est à ce moment que Bérard et Kochno s’installèrent ensemble au Marquis’s Hôtel, place Pigalle, pour ensuite rejoindre pour de nombreuses années le First Hôtel, place Cambronne. Suivront ensuite pour Bérard la création des décors et costumes du ballet Cotillon (1932) exécuté par la troupe des Ballets russe de Monte-Carlo, la Machine infernale (1934) mise en scène par Louis Jouvet au théâtre de la Comédie des Champs-Elysées , Margot (1935), une comédie humoristique avec une musique de Georges Auric et Francis Poulenc, La Septième symphonie (1938), un ballet dont le livret et la chorégraphie sont de Léonide Massine, Renaud et Armide (1942), tragédie en vers de Cocteau interprétée notamment par Marie Bell, La Folle de Chaillot (1943) de Jean Giraudoux, Les Forains (1945), dont la musique est de Henri Sauguet et la chorégraphie de Roland Petit. L’on se doit enfin de citer l’étroite coopération qu’il entretint avec Jean Cocteau les dernières années de sa vie en travaillant aux décors et costumes de célèbres films tels que La Belle et la bête, L’Aigle à deux têtes ou encore Orphée.
Christian Bérard et Boris Kochno c’est aussi l’histoire de la vie mondaine avant-guerre. Ils étaient proches et amis de nombreuses personnalités : Coco Chanel, Christian Dior, Elsa Schiaparelli, Misia Sert, les Noailles, la comtesse Pastré, Louise de Vilmorin, Jean Cocteau, Léonide Massine, Georges Balanchine, etc. Les fêtes auxquelles ils ont participé étaient toujours l’occasion pour Bérard de se déguiser. C’était en effet pour lui une échappatoire aux exigences du raffinement. Car bien que « doué d’un sens exceptionnel de l’élégance vestimentaire », Bérard était de manière générale négligé dans sa tenue. Il portait néanmoins un soin particulier à la rendre extravagante : « … vêtu d’une salopette délavée ou d’un bleu de travail rapiécé et maculé de couleurs. Parfois, il s’enroulait autour du cou un grand foulard bigarré et épinglait aux vestes d’ouvrier qu’il portait une rose ou un œillet… » Ainsi en témoignent les nombreuses photos conservées de lui.
Depuis leur nouvel appartement du 2 rue Casimir-Delavigne, Bérard et Kochno organisèrent leur quotidien. Celui-ci se rythmait par les voyages de Kochno à Londres ou leurs vacances à Tamaris (1931) et le refuge trouvé pendant la guerre chez Jean Hugo au Mas de Fouques, chez la comtesse Pastré au château de Montredon ou encore au Goudes où Kochno avait une petite maison. Cette vie était également alternée par les séjours de Bérard « prisonnier d’inavouables habitudes » à la Maison de santé de Saint-Mandé où Boris Kochno l’accompagnait toujours. La relation des deux hommes fut très forte comme témoigne la correspondance passionnée qu’ils entretinrent.
Christian Bérard est mort de façon précoce sur scène alors qu’il supervisait la mise en place du décor des Fourberies de Scapin au Théâtre Marigny. Boris Kochno recueillit les condoléances de toute la société du spectacle, foudroyée par la perte brutale d’un génie. Sa vie durant Boris Kochno se consacra à promouvoir le travail de son ami intime, en perpétuant ainsi la mémoire. Il participa ainsi à l’organisation des expositions au Musée National d'Art Moderne de Paris (1950), au Musée Cantini de Marseille (1973), et rédigea, outre les nombreuses publications auxquelles il a collaboré, un ouvrage qui lui est entièrement consacré (1987).