samedi 30 mai 2020

Souvenirs de déconfinement

Après deux mois de confinement à Paris, une virée en forêt d'Ermenonville et à l'abbaye de Chaalis nous a rappelé que la nature pouvait être belle, qu'il existait un plaisir à marcher dans la forêt et que partout le charme des choses anciennes nous était offert.




Le musée Jacquemart André de l'abbaye royale de Chaalis héberge les collections, un peu de bric et de broc, de Nélie Jacquemart, les plus belles pièces se trouvant dans le musée parisien du même nom, situé boulevard Haussmann. Au détour d'une salle, ce Saint-Sébastien nous attirait, dans sa belle jeunesse. Le cartel dit que c'est une œuvre du début du XVIe siècle, provenant de Bruges.

Même si elles ont moins de charme que ce Saint-Sébastien un peu caché dans la salle médiévale, les salles consacrées à Jean-Jacques Rousseau ont un grand intérêt. Je n'ai guère d'avis sur le penseur politique, mais je reste sous l'impression indélébile, bien qu'ancienne, de la découverte des Confessions et, encore plus, des Rêveries du promeneur solitaire.




Mais, plus encore que tout, Chaalis est indissociablement lié à Gérard de Nerval et ce texte, tout aussi inoubliable, des Filles du Feu, Sylvie. La lumière de ces jours est loin de l'atmosphère brumeuse et mélancolique que l'on imagine en lisant Nerval. Le charme des ruines est pourtant toujours là.
[...] et quelques minutes plus tard nous nous arrêtions à la maison du garde, à l’ancienne abbaye de Châalis. — Châalis, encore un souvenir !
Cette vieille retraite des empereurs n’offre plus à l’admiration que les ruines de son cloître aux arcades byzantines, dont la dernière rangée se découpe encore sur les étangs, — reste oublié des fondations pieuses comprises parmi ces domaines qu’on appelait autrefois les métairies de Charlemagne. La religion, dans ce pays isolé du mouvement des routes et des villes, a conservé des traces particulières du long séjour qu’y ont fait les cardinaux de la maison d’Este à l’époque des Médicis : ses attributs et ses usages ont encore quelque chose de galant et de poétique, et l’on respire un parfum de la Renaissance sous les arcs des chapelles à fines nervures, décorées par les artistes de l’Italie. Les figures des saints et des anges se profilent en rose sur les voûtes peintes d’un bleu tendre, avec des airs d’allégorie païenne qui font songer aux sentimentalités de Pétrarque et au mysticisme fabuleux de Francesco Colonna.
Nous étions des intrus, le frère de Sylvie et moi, dans la fête particulière qui avait lieu cette nuit-là. Une personne de très illustre naissance, qui possédait alors ce domaine, avait eu l’idée d’inviter quelques familles du pays à une sorte de représentation allégorique où devaient figurer quelques pensionnaires d’un couvent voisin. Ce n’était pas une réminiscence des tragédies de Saint-Cyr, cela remontait aux premiers essais lyriques importés en France du temps des Valois. Ce que je vis jouer était comme un mystère des anciens temps. Les costumes, composés de longues robes, n'étaient variés que par les couleurs de l’azur, de l’hyacinthe ou de l'aurore. La scène se passait entre les anges, sur les débris du monde détruit. Chaque voix chantait une des splendeurs de ce globe éteint, et l’ange de la mort définissait les causes de sa destruction. Un esprit montait de l’abîme, tenant en main l'épée flamboyante, et convoquait les autres à venir admirer la gloire du Christ vainqueur des enfers. Cet esprit, c'était Adrienne transfigurée par son costume, comme elle l’était déjà par sa vocation. Le nimbe de carton doré qui ceignait sa tête angélique nous paraissait bien naturellement un cercle de lumière; sa voix avait gagné en force et en étendue, et les fioritures infinies du chant italien brodaient de leurs gazouillements d’oiseau les phrases sévères d’un récitatif pompeux.
En me retraçant ces détails, j’en suis à me demander s’ils sont réels, ou bien si je les ai rêvés. Le frère de Sylvie était un peu gris ce soir-là. Nous nous étions arrêtés quelques instants dans la maison du garde, — où, ce qui m’a frappé beaucoup, il y avait un cygne éployé sur la porte, puis au-dedans de hautes armoires en noyer sculpté, une grande horloge dans sa gaine, et des trophées d’arcs et de flèches d’honneur au-dessus d’une carte de tir rouge et verte. Un nain bizarre, coiffé d’un bonnet chinois, tenant d’une main une bouteille et de l’autre une bague, semblait inviter les tireurs à viser juste. Ce nain, je le crois bien, était en tôle découpée. Mais l’apparition d’Adrienne est-elle aussi vraie que ces détails et que l'existence incontestable de l’abbaye de Châalis ? Pourtant c’est bien le fils du garde qui nous avait introduits dans la salle où avait lieu la représentation; nous étions près de la porte, derrière une nombreuse compagnie assise et gravement émue. C'était le jour de la Saint-Barthélemy, — singulièrement lié au souvenir des Médicis, dont les armes accolées à celles de la maison d’Este décoraient ces vieilles murailles. Ce souvenir est une obsession peut-être! — Heureusement voici la voiture qui s’arrête sur la route du Plessis; j’échappe au monde des rêveries, et je n’ai plus qu’un quart d’heure de marche pour gagner Loisy par des routes bien peu frayées.



lundi 11 mai 2020

Alexander Evgenevich Iacovleff


Jusqu'à maintenant, je connaissais le peintre russe Alexander Evgenevich Iacovleff (1887-1938) pour ses illustrations de la Croisière noire de Citroën en 1924-1925, puis de la Croisière jaune en  1931-1932. Il s'est illustré par ses portraits des populations croisées lors de ces périples.

Le dessin en tête de ce message est un autoportrait de 1921 qui lui permet de traiter son propre corps, comme il l'a fait des nombreux corps qu'il a représentés. J'ai toujours trouvé qu'une forte charge érotique émanait de ses portraits et ses représentations masculines, sans que rien dans son histoire ne permette d'en tirer une quelconque conclusion. D'ailleurs, cela n'a pas d'importance. C'est le regard de celui qui admire l’œuvre, plus que l'intention et les motivations de l'auteur, qui me semble être important. Dit plus simplement, si moi j'y vois de l'homo-érotisme, et donc que j'y trouve du plaisir, peu importe les raisons propres au peintre.

J'ai trouvé aussi ce beau dessin représentant un Kurde rencontré à Bagdad en Irak lors de l'Expédition Citroën Centre-Asie, entre le 16 et le 19 avril 1931.


(source : Musée de Saint-Jean-d'Angély)



Portrait photographique d'Alexander Evgenevich Iacovleff,
pris à l'occasion de la présentation des participants de l'Expédition Citroën Centre-Asie (1931-1932)
(source : Musée de Saint-Jean-d'Angély)