Cet envoi de François Augiéras à Jacques de Ricaumont sur une page de garde de L'Apprenti sorcier est l'occasion d'évoquer la personnalité de Jacques de Ricaumont et ses liens avec François Augiéras.
Jacques de Ricaumont (1913-1996) est aujourd'hui resté célèbre pour le salon qu'il animait chez lui, boulevard Saint-Germain. On y croisait aussi bien des aristocrates, des mondains, qu'un certain monde homosexuel. Frédéric Mitterand a évoqué ce monde disparu dans Mes regrets sont des remords :
Jacques de Ricaumont, Nosferatu le vampire ratatiné en vieille demoiselle attendant le gorille, recevait fort gentiment un extraordinaire assortiment de duchesses naufragées, de baroudeurs sur le retour, de curés intégristes efféminés et de jolis jeunes gens le nez en l'air flairant comme moi le parfum du grand monde là où il n'y avait plus que de la poussière. Devant un maigre buffet où quelques petits-fours se battaient en duel, on y lisait avec transport d'anciens numéros d'Arcadie, touchante tentative préhistorique de revue plus ou moins littéraire à l'usage des messieurs de qualité qui se reconnaissaient les uns les autres comme des conjurés, avec des articles sagement risqués que l'on attribuait sous pseudonyme à Montherlant ou Julien Green, des digressions lyriques sur la camaraderie militaire, des études savantes plutôt orientées sur la Grèce antique et des récits de voyages sahariens évoquant les ardentes surprises des oasis. On y réveillait aussi les heureux souvenirs des internats religieux où quelques hommes désormais rangés, mariés et célèbres n'avaient pas lésiné dans le passé sur les émois amoureux juvéniles entre condisciples. Tout cela était assez charmant, désuet, implacablement menacé par les temps nouveaux qui défilaient déjà en bas sous les fenêtres du faubourg Saint-Germain.
Photo de François-Xavier Seren, janvier 1988 |
Il a été un des fondateurs d'Arcadie avec André Baudry, qui l'avait rencontré par l'entremise d'André du Dognon. Julian Jackson, dans son ouvrage sur le mouvement Arcadie, évoque le Jacques de Ricaumont d'avant cette période :
Né dans la petite noblesse du Sud-Ouest, Ricaumont arrive à Paris au début des années 1930, où il rencontre du Dognon. Un portrait signé Nicolas de Staël et intitulé Mademoiselle de Ricaumont montre une créature efféminée, soigneusement maquillée, les sourcils épilés, faisant la moue. Du Dognon et Ricaumont auront quelques aventures avec des soldats allemands pendant la guerre, aventures dont on trouve le récit dans le second roman publié par du Dognon, Le Monde inversé (1949). Les Allemands lui manquant après 1945, Ricaumont se fait nommer correspondant de presse à Berlin, où il se retrouve au centre d'un petit scandale quand un journal français révèle sa liaison avec un descendant de Bismarck. Malgré son goût pour la provocation – il aime à raconter qu'à un officier allemand sous l'Occupation le décrivant comme un « excellent ami » des Allemands, il aurait répondu « seulement des jeunes Allemands » –, Ricaumont s'essaie à davantage de respectabilité après 1945. Il n'apprécie pas du tout de figurer – sous le nom de Phili – comme personnage principal dans le premier roman scandaleux d'André du Dognon, qui révèle son vrai nom dans la dédicace, lui donnant le titre de Grand Maître de l'Ordre. Il envisage même des poursuites contre l'auteur, et la dédicace est retirée dans les éditions suivantes. Ses passions sont l'aristocratie, l'Église et la défense de l'«amour grec». Il aime à fréquenter les nobles, vrais ou faux. Un membre d'Arcadie se souvient avoir participé à un dîner chez Ricaumont, assis entre le prince Jean de Bourbon-Sicile et le prince Ernst-Friedrich de Saxe-Altenberg. Bien que son talent réside davantage dans sa conversation que dans ses écrits, Ricaumont se taille une réputation comme journaliste et imprésario littéraire dans le Paris d'après guerre, grâce à ses innombrables relations. Ses carnets de rendez-vous de 1952 à 1954 révèlent un éventail de contacts extrêmement large : le prince Youssoupoff, Arletty, Jean Paulhan, Julien Green, Brecht, Ernst Jünger et Jean Giono, par exemple. Quel autre que lui aurait pu, au cours des années 1960, présenter le jeune Rudolf Noureev au sculpteur vieillissant et ancien sympathisant nazi Arno Breker ? Avec le temps, Ricaumont penche de plus en plus vers la droite extrême et, vers la fin de sa vie, attaque passionnément les réformes de l'Église catholique introduites par le concile Vatican II.
[J'ai repris ce passage de Julian Jackson, à défaut de disposer d'informations plus complètes sur la vie de Jacques de Ricaumont. Je crains que ce résumé de sa vie soit un peu caricatural, charriant quelques lieux communs sur les liens entre l'homosexualité de "droite" et les Allemands pendant la guerre. Et encore, je vous ai épargné le passage sur le Front national, devenu inévitable lorsqu'on parle de Jacques de Ricaumont (voir la fort sommaire notice Wikipédia). Si tant est que quelqu’un veuille bien s'intéresser encore à lui, il mériterait une biographie. J'ai lu quelque part que Ghislain de Diesbach voulait s'y atteler, mais je n'en ai pas trouvé trace.]
Jacques de Ricaumont en 1936 |
Comment François Augiéras et Jacques de Ricaumont se sont-ils rencontrés ? Je n'ai pas trouvé d'informations à ce sujet. Dans son salon accueillant aux personnalités homosexuelles et littéraires dans les années 1960, Jacques de Ricaumont ouvrait sa porte à tous les écrivains qui se présentaient. Malgré les apparences, l'univers de François Augiéras n'était pas aussi éloigné que l'on peut le penser de celui de Jacques de Ricaumont. C'est ainsi que Pierre-Charles Nivière, dont les souvenirs sur Augiéras sont encore inédits, a rencontré François Augiéras dans ce salon. Les relations antres les deux hommes étaient suffisamment familières pour qu'ils échangent une correspondance. qui a été vendue en juin 1996, après le décès de Ricaumont. On comptait une cinquantaine de lettres de François Augiéras, dont seulement des extraits ont été publiés dans divers ouvrages. Signalons en particulier le lettre d'Augiéras sur sa visite au couple Jouhandeau.
Dans cet envoi, François Augiéras semble se défendre de l'accusation d'avoir fait un livre irréligieux. Est-ce par respect pour le très catholique Ricaumont ? Est-ce un réponse à un reproche de Ricaumont ? Bien qu'il l'affirme, je ne crois pas d'ailleurs que L'Apprenti sorcier soit une "attaque" contre "les mauvais prêtres". C'est, me semble-t-il, bien plus que cela, mais j'en ai déjà parlé sur ce site : l'Apprenti sorcier.
Jacques de Ricaumont a donné un portait de François Augiéras dans le 2e cahier de « Le temps qu'il fait », qui lui était consacré. Il ne donne aucune information sur leurs liens et leur rencontre.