mercredi 27 septembre 2023

L'Exilé de Capri, de Roger Peyrefitte, 1959

Je n’avais jamais lu la biographie que Roger Peyrefitte a consacrée à Jacques d’Adelswärd-Fersen, L’Exilé de Capri, parue en 1959. Pourtant, cela fait déjà quelques années que je m’intéresse à cette personnalité, tant pour son œuvre littéraire (je pense au beau Baiser de Narcisse, illustré par Ernest Brisset), que pour la première revue homosexuelle française qu’il a lancée en 1909, Akadémos. J’ai d’ailleurs contribué à la réédition récente. Enfin, j’ai écrit un texte sur Fersen pour un des livres de Nicole Canet, Plaisirs et Débauches au Masculin. 1780-1940. La seule biographie que j’ai lue est celle, bien documentée, richement illustrée et très agréable à lire, de Jacques Perot et Viveka Adelswärd : Jacques d'Adelswärd-Fersen, l'insoumis de Capri, parue en 2018 (voir une recension sur ce blog).

Jacques d'Adelswärd-Fersen (1880-1923), en 1903

Possédant depuis peu un exemplaire dédicacé de l’Exilé de Capri, j’ai donc eu l’occasion de découvrir ce texte. C’est un livre qu’il est difficile de classer. S’agit-il d’une biographie historique ? Dans ce cas, il lui manque le minimum de rigueur et de méthode scientifiques. Pas de références, pas de sources, qui permettent soit d’aller plus loin, soit de connaître l’origine des informations avancées. S’agit-il d’un roman ? La forme choisie pour le récit, l’abondance des dialogues peuvent le laisser penser. Roger Peyrefitte a probablement voulu que son livre marie l’histoire et le roman pour donner plus de chair aux personnages et plus de vie aux faits rapportés. Cela aurait pu être un choix judicieux. C’est celui, récent, d’Olivier Charneux pour son roman sur Jean Desbordes et Jean Cocteau : Le glorieux et le maudit, qui vient de paraître (et, qu’au passage, je vous recommande). Dans le cas de l’Exilé de Capri, le résultat me semble bien en-deçà de ce que l’on pourrait espérer.

La forme romanesque aurait pu être l’occasion de nous décrire ou d’imaginer les sentiments, les pensées ou les émotions de Fersen au moment de l’affaire des « messes noires » et de l’humiliation publique vécue par un homme qui se croyait intouchable. Las ! Le récit est plat et sans émotion, comme si l’on parlait ici d’une simple péripétie, certes désagréable, dans la vie d’un homme. Et pourtant, il y a dans l’histoire de Fersen, un avant et un après. Nous aurions aimé que Roger Peyrefitte nous décrive comment cet homme a pu, dans le même temps, rester fidèle à lui-même et se réinventer pour exister dignement, comment il a pu retrouver le respect de soi, l’estime de soi, qui permettent de surmonter une telle épreuve et de continuer à aller de l’avant. Fersen a bien dû traverser cette étape difficile pour poursuivre son travail d’écrivain, à moins que le travail d’écrivain est ce qui lui a permis de franchir cette étape. Il a dû en rester une blessure secrète qui l’a peut-être conduit à mettre fin à ses jours en 1923. Là-aussi la forme romanesque aurait pu aider à pénétrer, ou à défaut imaginer, les méandres psychologiques du personnage, ce qui l’a amené au suicide alors que tout semblait lui réussir. Malheureusement, Roger Peyrefitte n’a pas l’étoffe pour brosser un tel portrait. Le récit reste à la surface du personnage, tel que l’on peut le connaître d’après les témoins et les chroniques de l’époque. Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, il aurait été plus sage, pertinent et judicieux de privilégier le récit historique plutôt que l'œuvre romanesque. Cela aurait pu suppléer à un manque certain d'imagination. Nous aurions alors eu en mains une fresque des événements vécus par Fersen, ses faits et gestes, avec un parti-pris de distanciation vis-à-vis de son sujet et une garantie que tous les renseignements sont fiables et incontestables et peuvent être ensuite utilisés.

Roger Peyrefitte se targue d’avoir obtenu beaucoup d’informations de contemporains. C’est une chance dont n’ont pas bénéficié les biographes récents. Mais quelle valeur attribuer à ce qu’il rapporte, quand il n’y a aucune source ou référence aux informations apportées et que le tout est inséré dans un récit romanesque ? Comme Jacques Pérot, on peut régler l’affaire en disant que c’est « un ouvrage fortement romancé ». On n’a donc pas à s’interroger sur ce que rapporte Roger Peyrefitte. Pourtant, quand il raconte que Fersen fréquentait les mauvais lieux de Montmartre comme le Scarabée d’Or, le Maurice’s Bar, de la rue Duperré et, plus tard, le Palmyre, de la place Blanche, est-ce seulement une invention romanesque de Roger Peyrefitte ou cela se fonde sur des faits avérés ? Dans ce cas, l’image de Fersen n’est plus tout à fait la même si cet homme pouvait concilier son milieu d’origine, mondain, esthète et raffiné, avec des milieux plus interlopes. Sauf erreur de ma part, seul le premier monde est généralement cité quand on parle de lui, en accord avec l'image qui lui est associée. Imaginer Fersen à Montmartre est presque de l'ordre de l'impensable. Autre exemple, Roger Peyrefitte attribue à Achille Essebac, une influence importante sur Fersen. L’auteur de Dédé, Partenza et Luc lui aurait fait connaître l'existence des garçons du Parc Monceau, futurs visiteurs de sa garçonnière de l’avenue de Friedland. Il lui aurait fait découvrir le photographe Gloeden. Enfin, influence majeure, le choix de Capri pour son refuge serait la conséquence directe d’une phrase d’Essebac :
Jacques songeait qu’à l’origine même de son goût pour Capri, dont sa rencontre avec Nino était la conséquence, il y avait une phrase de ce brave homme sur « les éphèbes de Tibère ».
Une telle influence ne peut pas avoir été totalement inventée par Roger Peyrefitte. Il y là sûrement quelque chose à creuser dans cette rencontre, certes improbable, entre Fersen et Essabac, qui vivaient dans deux mondes différents, presque opposés, et que seuls des goûts communs rapprochaient.

Enfin, à propos d’Akadémos, Roger Peyrefitte rapporte le rôle majeur du compositeur Jean Nouguès, comme inspirateur de la revue, tout du moins au moment de sa création :
Il espérait que cet ouvrage [Et le feu s'éteignit sur la mer...] relancerait une carrière à laquelle n’avait même pas profité le scandale et il ne voulait rien négliger pour cela. Aussi avait-il décidé d’aller à Paris sonner les cloches. Nouguès, venu chez lui faire un opéra de Quo vadis ? lui suggérait de fonder une revue : c’était un moyen d'imposer au monde des lettres el d’aider la carrière d’un livre. Cette idée le séduisit. Il se donnait déjà l’illusion de jouer un rôle par le seul fait d’être abonné à presque toutes les revues de l’Europe : lequel ne jouerait-il pas, s’il en dirigeait une ? Oui, il fonderait une revue, la plus indépendante des revues : elle serait mensuelle, illustrée, luxueuse et s’appellerait Akadémos. Ce nom évoquerait la villa Lysis, en évoquant celui de Platon, qui n’en pouvait mais.
Il partit pour Paris, avec Jean Nouguès et Nino, s'installa d’abord à l'hôtel Chatham et fut enchanté de ses premières tentatives.
C’est plausible et, là-aussi, je ne vois guère pourquoi Roger Peyrefitte aurait inventé cela. Pourtant, comme dans les deux cas précédents, plus personne n’utilise cette information et creuse cette piste et cette influence. On pourrait multiplier les exemples. C’est la limite ou la faiblesse du choix de l’auteur de ne pas avoir tranché entre la forme romanesque et la biographie historique (je ne parle même pas de biographie scientifique). En définitive, son ouvrage, par sa forme hybride, n’est ni vraiment de l’histoire, ni vraiment du roman. Il ne peut guère servir pour une vie de Fersen. C’est dommage.

La première édition de 1959 contient une préface de Jean Cocteau, un peu désinvolte, qui montre une profonde antipathie, voire du mépris, pour Fersen :
Être privé de génie, lorsqu’on en rêve, doit être le pire des supplices.
On devine que des faibles s’imaginent trouver dans cet écart sexuel et le faste de mauvais aloi qu’il entraîne, un dérivatif à leur impuissance créatrice. 
[…] j’ai toujours eu vive répulsion pour une certaine petite fleur bleue des enfers.
Fersen reste l’exemple de ce bric-à-brac gréco-préraphaélitico-modern’style.
Roger Peyrefitte s’en explique dans Propos secrets (p. 157-158). Il aurait demande l’appui de Jean Cocteau, en espérant un article ou des déclarations. Celui-ci lui proposa cette préface qu’il ne pouvait refuser. Dès qu’il le put, il la supprima des éditions ultérieures. Jean Cocteau se serait vanté de n’avoir lu ce livre « que d’un œil ».

Enfin, dans Propos secrets 2 (p. 353-364), il présente quelques-uns de ses informateurs pour écrire cette biographie, que ce soit à Paris (il cite surtout Guillot de Saix et Paul Morand), ou à Capri. Visiblement, il a rencontré beaucoup de personnes. Il s‘est document sur le Gay Paris 1900 pour restituer l’atmosphère dans laquelle a vécu Fersen. Malheureusement, entre le matériau brut qu’il a recueilli et la biographie qui en a résulté, il ne nous donne aucune information sur sa « fabrique » de l’histoire. C’est d’autant plus dommage qu’il a sûrement eu accès à des informations et des confidences que lui seul a obtenues et qu’il a sûrement utilisées pour son ouvrage. Cela me conforte dans mes sentiments mêlés vis-à-vis de ce livre. Il y a probablement quelque chose de vrai dans ce qu’il raconte – et qui a souvent été totalement occulté par les biographes successifs, à l’exception notable de Will H.L. Ogrinc, dans sa remarquable étude : Frère Jacques : A Shrine To Love And Sorrow. Jacques d’Adelswärd-Fersen (1880-1923) (2006) – mais comment faire la part des choses pour ensuite l’utiliser pour écrire l’histoire de Fersen ?

Dans Propos secrets, 2, Roger Peyrefitte raconte  sa découverte de Fersen lorsqu’il était adolescent. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est grâce à un ouvrage du pamphlétaire et journaliste maître-chanteur Georges-Anquetil, Satan conduit le bal, paru en 1925. Ce livre, comme l'indique le sous-titre, se voulait une dénonciation violente des mœurs de l’après-guerre. Parmi les « dépravations » qu’il fustige, l’homosexualité se trouve en bonne place, dans un long chapitre « La pédérastie à Paris » (pp. 226-250).


On y retrouve des extraits de nombreux auteurs, ce qui, paradoxalement, fait de cet ouvrage une bonne source de références sur l’homosexualité de l’entre-deux-guerres. Et, comme on le voit par la confidence de Roger Peyrefitte qui n'avait pas d'autres ouvrages à disposition, ce livre homophobe devient une source d’informations sur l’homosexualité pour une jeune homme provincial comme il l’était alors. Avec cet exemple, on mesure l'écart en cent ans sur les moyens de se construire en tant qu'homosexuel.

Description de l'ouvrage

Roger Peyrefitte
L'Exilé de Capri
Avant-propos de Jean Cocteau, de l'Académie française
Paris, Flammarion, Éditeur, 1959, in-8°, 345 p.


J'ai trouvé un exemplaire du tirage de tête, sur papier alfa (un papier que j'aime particulièrement pour la douceur de son toucher, papier qui semble avoir disparu de l'usage). Il porte un bel envoi à une personne proche 
« admirable compagnon de voyage au pays de l'Exil » (j'ai masqué le nom du dédicataire) :



Édition de 1974

En 1974, Roger Peyrefitte donne une édition définitive de cette biographie, dans la collection du livre de poche, avec une couverture de Gaston Goor, qui était bien dans l'esprit du temps (et plus du tout dans le nôtre).


Dans le texte de présentation, il est de nouveau précisé : « Ce livre est une biographie romancée. Tous ses personnages ont réellement existé. » A la lecture, il apparaît que les modifications sont peu nombreuses. Un chapitre a été ajouté à propos des Mémoires du baron Jacques, un ouvrage érotique du docteur A. S. Lagail, pseudonyme d'Alphonse Gallais, qui a largement brodé (fantasmé ?) sur les mésaventures de Fersen. Dans les chapitres sur les « messes noires », Roger Peyrefitte s'est montré un tout petit peu plus explicite sur ce qu'il s'y passait. En 1959, il avait voulu ménager la sœur encore vivante de Jacques d'Adelswärd-Fersen. En 1974, il pouvait se permettre d'en dire plus. On jugera :
[Édition de 1959] :
Jacques ne prétendait pas pervertir les garçons qui le fréquentaient, mais les rendre heureux par la découverte de la beauté et de la liberté. [...] Lorsqu'il voyait l’effet du feu qu’il soufflait, il rappelait aux catéchumènes que sa maison était un temple et il les dirigeait vers la garçonnière ou frissonnière d’Hamelin de Warren. Ce qui se passait entre ces murs-là, ne le regardait pas.

[Édition de 1974]
Jacques ne prétendait pas pervertir les garçons qui le fréquentaient, mais les mettre à l'aise dans leur perversion. [...] Lorsqu'il voyait l'effet du feu qu'il soufflait, il dirigeait les catéchumènes vers sa salle de bains ou donnait secrètement rendez-vous à l’un d'eux dans la garçonnière ou frissonnière d'Hamelin de Warren.
Plus loin, dans l'édition de 1974, il ajoute : « C'était évidemment avec plus de désinvolture que les petits amis de Jacques sortaient de sa salle de bains. »

On laissera le soin au lecteur d'imaginer ce qu'il s'y passait. Si vous voulez le savoir, vous pouvez aussi vous reporter aux Propos secrets, 2, de Roger Peyrefitte (p. 362) où les mots sont mis sur les choses.

Pour finir, il est étonnant que Roger Peyrefitte qui se piquait d'exactitude et n'hésitait pas à fustiger les négligences des autres n'ait jamais écrit correctement Adelswärd, avec le tréma, que ce soit dans l'édition de 1959, mais non plus dans celle de 1974.

lundi 11 septembre 2023

Over the Rainbow, une belle exposition LGBT+ à Beaubourg

Le centre Beaubourg présente une très belle et très riche exposition sur la culture LGBT, Over the Rainbow (lien vers le site). Ce sont plus de 500 œuvres qui offrent un panorama diversifié des productions au service de la cause LGBT, essentiellement des livres, des imprimés, parfois des tableaux ou des films. L’exposition couvre la période qui va des années 1920 jusqu’à nos jours.

Jean Cocteau, Soldat endormi, 1948-1950

Après un début d’exposition consacré au Paris lesbien de l’entre-deux-guerres, « Portrait du Paris-Lesbos », le premier artiste gay à l’honneur est Jean Cocteau. Comme souvent, tout au long du parcours, certaines personnalités sont mises en avant, sans que les choix (et donc les absences) soient expliqués et justifiés. Ceci étant dit, il est heureux de rappeler l’importance de Jean Cocteau pour la visibilité homosexuelle dans les années 1920, même si, me semble-t-il, André Gide a probablement été plus déterminant pour cette cause. Pour évoquer ce dernier, seul un des rares exemplaires du Corydon est présenté, à côté du Livre blanc, de Cocteau. On pourrait aussi parler de l’absence totale de Proust. 

Dans cette même section, une belle vitrine nous rappelle qu’à côté de ces quelques monstres sacrés, des auteurs comme René Crevel ou Pierre de Massot ont aussi, à leur niveau, défendu la sensibilité homosexuelle. Un beau choix de livres du premier est là pour illustrer cette littérature. 

Le cartel de présentation n’occulte pas qu’il a été « la cible régulière d’une critique littéraire homophobe, notamment de gauche ». Il aurait été judicieux de rappeler que René Crevel a souffert dans sa chair de cette homophobie, en particulier de celle de ses « amis » surréalistes. Il l’a payé au prix de sa vie. 

Probablement à cause de ma fibre littéraire et bibliophilique, j’ai été particulièrement sensible à tous ces livres, souvent rares et introuvables, mis à l’honneur. L’exposition ne se résume pas à cela. Ces quelques photos illustrent ce qui a retenu mon attention, m’a plu, m’a même ému.

Quelques photos, dont Voinquel

Une vitrine consacrée au bal de Magic-City et aux photos de Brassaï.

Affiches du film Querelle, par Andy Warhol

Vitrine Jean Genet

Vitrine Jouhandeau et Arcadie

Un inédit de François-Paul Alibert : La Couronne de pines 

Section consacrée à Jean Boullet

Jean Boullet : portrait de Kenneth Anger

Amateur de Jean Boullet dont j’ai souvent parlé ici, j’ai apprécié cette belle vitrine en son honneur et ces quelques peintures. S'il mérite d’être connu et reconnu, la large place qui lui est faite dans l’exposition est bien supérieure à son impact et à son influence réels, somme toute faibles, sur la visibilité homosexuelle.

Sur cette première partie, on peut tout de même regretter que la sélection d’œuvres présentées reste, si j’ose dire, bien classique : Cocteau, Genet, le Magic City, Voinquel, etc. comme si, au-delà ou à côté de ces personnalités ou événements bien connus, il n’avait pas existé – et je ne parle que de la France – un foisonnement d’initiatives, d’œuvres, d’artistes, de lieux qui ont, à leur manière, plus secrètement, travaillé à donner une plus grande visibilité au monde « inverti », pour utiliser un mot de l’époque. Peut-être que mes travaux récents sur la subculture gay des années 20-30 ou sur La Petite Chaumière, le premier cabaret de travestis de Paris, m’ont ouvert à cette redécouverte des sensibilités homosexuelles des années d’entre-deux-guerres. La seule exception à ce que je viens de dire est une riche section consacrée à la chanson de cette même époque.

À mi-parcours, l’exposition change assez brutalement dans la nature des documents présentés. Cela correspond à la période 1960-1970 avec l’apparition d’un militantisme plus politique, la « libération homosexuelle », puis le militantisme lié à l’épidémie du SIDA. C'est aussi le moment où apparaît la culture queer, comme une culture avec ses propres règles et son identité. Là-aussi, il est difficile de savoir si c’est un choix délibéré, mais, d’une première partie centrée sur les œuvres littéraires, d’expression française, on bascule vers les supports éphémères : journaux, revues, fanzines, tracts, etc., dont beaucoup sont en anglais. C’est un choix judicieux car cela nous rappelle que les messages peuvent passer par d’autres médias que le livre, avec une diffusion plus large. La conséquence est qu’on finit par oublier que la littérature, les essais, les « queer studies » ont continué à accompagner ce mouvement de visibilité et, parfois, de lutte de la cause homosexuelle jusqu'à aujourd'hui. Ces quelques photos sont là pour illustrer mon propos sur ce changement dans les documents présentés :






Le catalogue est à l’image de l’exposition par ses choix et ses absences, même s'il est beaucoup plus riche. Il est organisé en courts chapitres illustrés qui reprennent, en les approfondissant, les thèmes ou documents présentés. Dans l'introduction, Nicolas Liucci-Goutnikov donne probablement la réponse aux principes qui ont prévalu dans la sélection des œuvres exposées : 

Il en va sans doute de même des œuvres dont la vaste, quoique souterraine, constellation se dessine ici : elles n’ont pas nécessairement d’« élément commun », mais elles répondent, chacune dans son propre idiome, aux poncifs homophobes, et produisent des contre-représentations susceptibles de combler les insuffisances de l'imaginaire collectif et de permettre ainsi de fécondes identifications pour les « minorités érotiques ».

Le mot « constellation » me semble particulièrement bien choisi pour exprimer en même temps l'idée de diversité, de liens ou passerelles à créer entre les documents et les époques, mais aussi d'apparent désordre. Une constellation n'a pas vocation à représenter la totalité du sujet qu'elle traite. Elle doit permettre de « fécondes identifications » à chacun.

Pour quelqu’un qui découvrirait cette culture homosexuelle, le catalogue  ouvre des portes, des pistes pour aller plus loin. Ce n'est pas un catalogue scientifique de l'exposition, mais plutôt l'utile et bien illustré complément à la visite. Il ne faut pas y chercher une synthèse sur l’expression homosexuelle écrite et graphique de 1920 à nos jours, ni même d’ailleurs sur l’histoire de l’homosexualité. Ce n'est pas son objectif, même si, au passage, notons que cette synthèse reste à faire.

En résumé, une très belle exposition, nécessaire pour nous rappeler la richesse et la diversité des cultures homosexuelles, de belles pièces exposées, un plaisir pour les yeux.

Tableau de Jean Boullet

P.S. :

Comme l’explique la présentation de l’exposition, les pièces présentées proviennent essentiellement des collections de la Bibliothèque Kandinsky, qui se sont récemment enrichies de plusieurs centaines d’items, « grâce au soutien institutionnel de Gilead Sciences ». Pour ceux qui l'ignorent, il s'agit d'un grand groupe pharmaceutique américain qui pèse près de 30 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé le motif de la « générosité » de cette entreprise, ni la nature exacte des liens avec le centre Beaubourg.