dimanche 25 novembre 2018

Photos glanées


GEORGE PLATT LYNES (1907-1955)
Henri Cartier-Bresson, with Bones.


 GEORGE PLATT LYNES (1907-1955)
Self-portrait with Chuck Howard


GEORGE PLATT LYNES (1907-1955)
Paul Cadmus Drawing Ralph McWilliams.


WILL MCBRIDE (1931-2015)
Mike in the shower, Salem (1962

dimanche 11 novembre 2018

Quelques ouvrages de la bibliothèque de Pierre Bergé

La prochaine vente de la bibliothèque de Pierre Bergé nous réserve encore quelques belles surprises. Aujourd'hui, je voudrais m'attarder sur les quelques ouvrages qui concernent plus particulièrement l'homosexualité. En effet, trois ouvrages appartiennent clairement à la culture gay : Corydon, d'André Gide, le Livre Blanc, de Jean Cocteau et Pompes Funèbres, de Jean Genet. Comme toujours dans cette bibliothèque, ce sont des ouvrages d'exception.

Le Corydon d'André Gide



L'exemplaire du Corydon est un des 12 (ou 22) exemplaires de la première édition non mise dans le commerce, qui a paru en 1911. Dans la préface de la 2e édition, en 1920, Gide affirme que les exemplaires « de ce premier tirage furent remisés dans un tiroir - d'où ils ne sont pas encore sortis. » C'est un de ceux-là qu'André Gide a offert en octobre 1945 à Pierre de Massot, un écrivain et une personnalité un peu oubliés aujourd'hui, dont j'ai eu l'occasion de parler à propos de son livre : Mon Corps, ce doux démon (cliquez-ici). Ce que ne dit pas la notice du catalogue Pierre Bergé est que Pierre de Massot a été le secrétaire d'André Gide.


Dans cette dédicace, André Gide parle d'une « première édition, incomplète ». En effet, « Le Corydon ne comprenait alors que les deux premiers dialogues, et le premier tiers du troisième. Le reste du livre n'était qu'ébauché. » Il a fallu attendre la deuxième édition de 1920, pour disposer du texte complet, en quatre dialogues. J'ai la chance de posséder un exemplaire de cette deuxième édition que je présente ici.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 925.

Le Livre Blanc de Jean Cocteau

Autre ouvrage majeur du dévoilement homosexuel, la première édition du Livre Blanc a aussi paru hors commerce, dans un tout petit tirage de 31 exemplaires. C'est un de ces exemplaires qui est présenté lors de cette vente, avec un beau et classique dessin de Jean Cocteau :


Il a été publié anonymement en 1928 :


On connait ces célèbres phases de début :
Au plus loin que je remonte et même à l'âge où l'esprit n'influence pas encore les sens, je trouve des traces de mon amour des garçons.
J'ai toujours aimé le sexe fort que je trouve légitime d'appeler le beau sexe. Mes malheurs sont venus d'une société qui condamne le rare comme un crime et nous oblige à réformer nos penchants.
Dans la notice du catalogue de la vente, il est rappelé cette anecdote qui lie l'histoire de Pierre Bergé à celle de cet ouvrage :
Dans un entretien avec Laure Adler filmé à l'occasion de la première vente de sa bibliothèque en 2015, Pierre Bergé rappelait que, jeune homme, il avait reçu par la poste à La Rochelle une copie manuscrite de la confession de Cocteau avec mission d'en exécuter à son tour d'autres et de les adresser à des personnes de son choix : « C'était comme une chaîne d'amitié qu'on vous demandait d'écrire. [...] J'ai réécrit le Livre blanc, à deux ou trois exemplaires, et je les ai envoyés à mon tour. C'est une chose que je ne peux pas oublier, cette chaîne amicale, qui était plus qu'amicale, dans ce cas-là, puisqu'il s’agissait d'une libération sexuelle. Ce faisant, on avait le sentiment d'accomplir un acte à la fois courageux et nécessaire. »
En ces années-là, il n'existait pas d'édition courante de ce texte. Il était introuvable et donc impossible à lire. C'est un beau témoignage de comment la subculture homosexuelle arrivait à braver les interdits ou l'opprobre.

C'est surtout la deuxième édition du Livre blanc, parue en 1930, qui est connue. Elle est illustrée par de beaux dessins de Jean Cocteau. De plus, elle a paru dans un tirage plus conséquent de 450 exemplaires, ce qui rendait le texte un peu plus accessible. J'ai décrit un exemplaire de cette deuxième édition ici.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 943.

Pompes funèbres, de Jean Genet

Enfin, le troisième ouvrage qui a retenu mon attention est le manuscrit de Pompes funèbres de Jean Genet, le « seul manuscrit autographe connu dans la continuité romanesque. ». C'est un témoignage sur la création romanesque chez Jean Genet, pour ce roman que le catalogue de la vente qualifie de « soleil noir de l'œuvre de Jean Genet. » C'est un texte difficile et âpre, puissant comme tous les textes de Jean Genet. De mon point de vue, il marque l'aboutissement ou le point limite de la démarche de Jean Genet. Dans mon appréciation du parcours littéraire de Jean Genet, je me suis arrêté avant. Il faut tout de même souligner le courage de l'éditeur pour avoir publié, même anonymement, ce texte dérangeant sur la fin de la guerre de 1940.


Jean Genet a lui-même noté : « Je certifie que le manuscrit de mon livre Pompes Funèbres est le seul existant. Il se compose de 7 cahiers. A Paris le 15 septembre 49. Jean Genet. »

L'histoire du manuscrit illustre un autre aspect de la subculture homosexuelle, celui des amateurs fortunés de livres et de garçons, en l'occurrence Jacques Guérin et Gérard de Berny que « le goût de la bibliophilie et des garçons réunissait. ». C'est ce dernier qui a fait magnifiquement relier ce manuscrit :


La vente contient aussi un exemplaire de la première édition de Pompes Funèbres, parue en 1947 « A Bikini, aux dépens de quelques amateurs  », autrement dit à Paris, chez Gallimard.


Lien vers les notices du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 948 et lot n° 949

Je n'ai jamais décrit l'exemplaire que je possède de la première édition. Il est aussi remarquable par sa belle reliure signée Tchékéroul :


Quelques autres lots

Au gré des 130 autres lots de cette vente, j'ai retenu ces 3 ouvrages :



L'édition originale de Salomé, d'Oscar Wilde, parue à Londres en 1893, avec un envoi à André Gide. Le catalogue rappelle la rencontre entre les deux hommes :
La rencontre d'Oscar Wilde fut, pour André Gide, capitale. Ils firent connaissance en novembre 1891: Wilde était alors âgé de 37 ans, Gide avait 22 ans. Le jeune homme fut fasciné: « L'esthète Oscar Wilde, ô admirable, admirable celui-là » confesse-t-il à Paul Valéry. Il porte peu après dans son Journal un jugement plus sévère: « Avec lui, j'avais désappris de penser. » Leur nouvelle rencontre en Algérie en 1895, dont Gide fit le récit dans Si le grain ne meurt, devait bouleverser la vie du romancier : grâce à Wilde qui joua le rôle d'entremetteur, Gide put devenir ce qu'il était. « Depuis, écrit-il plus tard, chaque fois que j'ai cherché le plaisir, ce fut courir après le souvenir de cette nuit. » (Oscar Wilde, Paris, Musée du Petit Palais, 2016, p. 229.)
Gide fut, avec Robert Ross, l'un des rares à rester fidèle à Oscar Wilde à la fin de sa vie. Après sa mort, il lui consacrera un livre poignant, paru au Mercure de France (1910): Oscar Wilde, in memoriam (Souvenirs).
Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 912.


L'édition originale des Nourritures terrestres, d'André Gide, 1897. Un livre capital, un peu oublié aujourd'hui, dont l'influence a été majeure. Si l'homosexualité n'est pas nommément citée, tout le discours de libération que porte ce texte peut être un appel à vivre sa sexualité.

Cet exemplaire porte un envoi à Paul Valéry.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 915.


L'édition originale de Du Côté de chez Swann, de Marcel Proust, 1913. En plus d'être le n° 1 du tirage de tête des 5 exemplaires sur Japon, ce qui rend cet exemplaire particulièrement exceptionnel est qu'il porte une longue dédicace de Marcel Proust à Lucien Daudet :


Transcription :
Mon cher petit vous êtes absent de ce livre : vous faites trop partie de mon cœur pour que je puisse jamais vous peindre objectivement, vous ne serez jamais un "personnage", vous êtes la meilleure part de l'auteur. Mais quand je pense que bien des années de ma vie ont été passées "du côté de chez Lucien", de la rue de Bellechasse, de Bourg-la-Reine, les mots "le Temps perdu" prennent pour moi bien des sens différents, bien tristes, bien beaux aussi. Puissions-nous un jour le "retrouver". D'ailleurs pour vous qui avez peint la pagode de Chanteloup et les roses de Pâques tout est retrouvé et sera éternellement gardé.
La notice du catalogue rappelle les liens d'amours, puis d'amitiés qui lièrent Proust et Lucien Daudet. Elle raconte aussi l'histoire de cet exemplaire, qui s'est trouvé un moment séparé de ce feuillet de dédicace, jusqu'à leur réunion dans la bibliothèque de Pierre Bergé.

Lien vers la notice du catalogue de la vente Pierre Bergé : lot n° 927.

jeudi 1 novembre 2018

Le neveu de Delacroix

J'ai découvert l’existence d'un neveu d'Eugène Delacroix, dont le portrait vient d'être vendu à New-York cette semaine :


La notice de la Gazette de Drouot donne quelques informations (qui sont essentiellement extraites de la notice en anglais : cliquez-ici) :
Ce fier jeune homme se trouve être le neveu d'Eugène Delacroix, Charles de Verninac. Fils unique de sa sœur Henriette de Verninac, connue des esthètes pour son portrait peint par Jacques-Louis David, conservé au Louvre, il est son cadet de seulement cinq ans. L'artiste a donc représenté pour le jeune Charles un grand frère et mentor davantage qu'un oncle. Les deux parents nourrissaient une très grande affection mutuelle. Ici, Delacroix l'a immortalisé durant l'hiver 1825-1826 dans une propriété d'Augerville appartenant à son cousin. Après des études de droit complétées à Paris, Charles intègre le corps diplomatique en 1829 et part pour diverses missions à travers le globe, de Malte au Chili. Sur les mers qui le ramènent en France en 1834, il contracte la fièvre jaune ; son bateau est mis en quarantaine au port de New York, où il rend son dernier souffle le 22 mai de cette même année. La douleur fut immense pour Delacroix qui, depuis la mort de sa sœur Henriette sept ans plus tôt, n'avait plus d'autre parent proche. Jusqu'à son propre décès en 1863, le peintre conservera trois portraits de son cher neveu, dont l'un accroché au-dessus de son lit. La présente version accompagnait Charles de Verninac à bord de sa dernière demeure ; elle est vendue avec l'ensemble de ses effets personnels pour payer son enterrement sur le port de New York, et n'a jamais, depuis lors, quitté les États-Unis. Aussi est-elle considérée comme la toute première peinture de Delacroix présente sur le sol américain.
Comme moi, vous avez lu : "le peintre conservera trois portraits de son cher neveu, dont l'un accroché au-dessus de son lit".

Il existe un mystère sur la sexualité de Delacroix. De cette mention et du plaisir qu'il semble avoir pris à photographier de belles plastiques masculines, je n'irais pas jusqu'à conclure sur une éventuelle homosexualité de Delacroix, comme le fait Michel Larivière en l'incluant dans son dictionnaire des homosexuels célèbres.

Dans son Journal (5 octobre 1855), Delacroix dit : « Je regarde avec passion et sans fatigue ces photographies d’après des hommes nus, ce poème admirable, ce corps humain sur lequel j’apprends à lire et dont la vue m’en dit plus que les inventions des écrivassiers. » J'avais consacré un message (cliquez-ici) à cette fascination de Dalacroix pour le corps masculin, à travers une série de photographies, dont j'extrais celle-ci :


Ce lien très fort entre Delacroix et son neveu me rappelle celui de Beethoven pour son neveu Karl, qui a fait l'objet d'un ouvrage que j'ai autrefois lu : Beethoven et sa famille, par Editha et Richard Sterba. Là-aussi, n'en tirons pas de conclusions. Soyons sensibles à cet attachement profond de Delacroix et Beethoven pour ces garçons dont ils se sentaient en même temps proches et responsables.