On comprend que Jean Delbousquet a demandé ce mot pour offrir ce livre à son fils Georges. Si nos recherches sont exactes, le « jeune » Georges avait alors sept ans. Soit il s'agissait d'un garçon fort précoce, soit son père pensait à toutes les orientations possibles pour son fils, soit ce fils n'était qu'un prétexte pour le père pour demander une dédicace à André Gide... Ce modeste mot et l'échange que l'on peut en induire nous apprennent tout de même qu'en 1937, un père pouvait offrir un plaidoyer sur l'homosexualité à son fils. Et cela renforce notre conviction que, à rebours de certains discours, dès cette époque, des esprits ouverts pouvaient envisager sereinement (ou presque) que leur fils puisse être homosexuel.
André Gide ne s'est pas contenté de ce mot. Il lui a joint un petit poème de son cru, qu'il a signé, avec cette note : « poème inédit » :
Jean Delbousquet (Jean de Cordestieux) a ensuite mis son talent de dessinateur pour orner les deux plats de la reliure. Sur le premier plat (reproduit en tête du message), il a représenté un jeune homme un peu précieux, élégant, légèrement androgyne (ce pourrait être une « garçonne »), aux pommettes relevées de rouges. Cette représentation d'un homosexuel des années trente correspond aux stéréotypes sur les « petits messieurs », les « invertis », les adeptes du « troisième sexe »,...
Pour le second plat, il a croqué un personnage moins caractérisé. On peut se demander s'il ne s'agirait pas du portrait d'une personne réelle. Mais nous n'avons aucune piste d'identification :
L'exemplaire contient deux autres dessins à la plume de Jean de Cordestieux :
On peut penser qu'il a voulu aussi représenter un « inverti ». Dans ce dessin d'une tonalité uniformément noire, notons qu'il relève les lèvres de rouge vif, auquel répond le rouge de la cravate. Cette discrète touche de couleur est très probablement une référence à ces représentations très courantes à l'époque comme sur cette carte postale :
En revanche, l'autre dessin n'échappe à aucun des stéréotypes, que ce soit sur la vénalité des jeunes garçons, la prédation des hommes mûrs pour des garçons dont on peut dire, à la seule vue du dessin, que sa majorité est encore loin. Dernier lieu commun, dans ces relations inégales par l'âge et le statut social, quand un homme mûr violente un jeune garçon, celui semble se laisser faire bien volontiers, s'il y trouve son compte... Un tel dessin dans Corydon semble tout de même hors sujet, dans tous les cas loin des intentions d'André Gide en publiant ce livre.
Mais, arrivé à la fin de ce message, le lecteur peut se demander pourquoi l'avoir intitulé : un Corydon orné et truffé. Orné, d'accord, mais truffé, pourquoi ? Le Manuel de bibliophilie nous apporte la réponse : « ajouter dans un livre des documents en rapport avec l'auteur ou le sujet de ce livre : lettres, portraits, manuscrits, etc. » Cet exemplaire est une illustration presque archétypale de cette définition !