Au sein de la vaste littérature homosexuelle de l’entre-deux-guerres, il reste encore des découvertes à faire. Derrière le trio « écrasant » formé par Proust, Gide et Cocteau, on sait qu’il existe des livres comme Le Troisième sexe, de Willy, Au Poiss’Or, d’Alec Scouffi, Un Protestant, de Georges Portal, Platoniquement, d’Axiéros, pour ne citer que quelques ouvrages récemment réédités. Pour connaître le Paris Gay de ces années-là, Chez les mauvais garçons, de Michel du Coglay a aussi été largement utilisé. Pourtant, il semble que ce ne soit que la pointe de l’iceberg, car, au gré de mes recherches, je suis tombé sur un livre que j’ai lu avec plaisir et que j’ai trouvé sympathique : Adonis-Bar, de Maurice Duplay, paru en 1928 (Je viens de rééditer ce roman, avec un dossier. Voir en fin d'article)
Ce roman mérite pourtant d’être lu pour plusieurs raisons.
Avant de les détailler, l’histoire en deux mots. C’est le parcours de vie d’Horace qui commence sa « carrière » comme amant du grand acteur Farnèse, puis comme acteur lui-même, médiocre et sans succès, tout en essayant de tirer quelques gains de ses charmes. L’âge venant, il voit bien qu’il ne pourra pas toujours vivre ainsi. Il se « reconvertit », comme l’on dit aujourd’hui, en ouvrant un bar, un peu miteux, sur les pentes de Montmartre, l’Adonis-Bar, avec l’aide de quelques amis travestis. Peu à peu, ce bar devient le rendez-vous incontournable du Paris Gay de ces années-là, grâce à la notoriété que lui apportent son ancien amant Farnèse, le poète Jonquille ou le prince des Canaries. Il rencontre Fred, un jeune vendeur de cravates dont il fait son amant, son associé et, à la fin du livre, son quasi-époux. Je passe sur les péripéties qui conduisent jusqu’à une fin heureuse (et oui ! quoiqu’on pense et quoiqu’on dise, même à cette époque, il y a des fins heureuses dans la littérature homosexuelle).
La Vie parisienne, 7 juillet 1934 |
Louis-Ferdinand d’Orléans-Bourbon Infant d'Espagne (1888-1945) Et homosexuel notoire ! |
Malgré quelques clichés, l’ouvrage se montre plutôt bienveillant. On est loin de la goguenardise un brin gauloise de Willy. Il y a tout juste de l’ironie. Certes, la psychologie des personnages est un peu sommaire. Le style est celui de la littérature commune de l’époque. Mais, bon, cela fait plaisir à la fin de voir Horace et Fred couler des jours heureux dans leur garçonnière au-dessus du bar : « la secte des uranistes s’attendrissait sur la durée de leur union, que l’adversité avait failli rompre, mais qui s’était reconstituée dans la réussite finale ». En réalité, ce sont plutôt les femmes qui sont mal traitées dans ce livre, car, hormis la vieille tante de Fred, toutes les autres sont peintes sous un jour plutôt défavorable.
Le livre se finit sur ce discours du poète Eusèbe Léthé qui fut un compagnon des mauvais jours de l’Adonis-Bar. Depuis que l’établissement est devenu chic et n’admet que les convives en habit, le vieux et pouilleux poète n’est plus le bienvenu. Il se désole :
— Je conçois, je partage ta révolte contre les profiteurs et les mauvais prêtres d’Aphrodite céleste. Mais n'est-ce pas un sort commun aux causes qui triomphent, que de rallier, après l'élite, la foule, c’est-à-dire un innombrable troupeau d’âmes sordides ? Prêchées par une poignée d’apôtres, qui expièrent sur la croix, la roue, le bûcher, leur singularité sublime, elles s’avilissent en s'imposant. Voilà pourquoi si les marchands et les simoniaques sont, quelquefois, chassés du temple, ils ne tardent guère à l’envahir de nouveau, et à en renvoyer pour toujours, les vrais croyants. Nous fûmes, cette nuit, plutôt mal reçus à l’Adonis ; au cas où l’envie saugrenue nous prendrait d'y retourner, nous nous en verrions interdire l’accès, en vertu d’une injuste mais immuable loi.
On croirait lire, avec d’autres mots et un autre style, les constats un brin désabusés sur l’évolution du Marais des années 1970 à nos jours.
Maurice Duplay (1880-1978) |
Le livre peut être commandé sur :
https://www.helloasso.com/associations/gaykitschcamp-cardon/boutiques/catalogue
3 commentaires:
concernant "la Petite Chaumière" il me semble assez vraisemblable qu'il y ait eu plusieurs adresses successives au fil des années 20
C'est effectivement vraisemblable. Il reste que toutes les références que j'ai trouvées dans la presse et dans les bottins donnent le 2 rue Berthe ce qui correspond bien aux descriptions qui en sont données.
Si vous avez d'autres informations, je suis bien évidemment intéressé.
Jean-Marc
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