C'est une initiative à saluer que la réédition à l'identique des 4 numéros de la revue homosexuelle Inversions et du numéro unique de L'Amitié. Il y a déjà eu des études sur ces revues pionnières, mais, à ma connaissance, aucune publication en fac-similé.
Pour rappeler l'histoire, ce sont deux jeunes gens parisiens, originaires du Gers, Gustave Beyria et Gaston Lestrade, avec un 3e comparse, qui se lancent, sans beaucoup de soutiens, dans la publication d'une revue uniquement consacrée à l'homosexualité : « [Ce] n'est pas une revue de l'homosexualité mais une revue pour l'homosexualité. » Ces extraits du texte d'introduction du premier numéro est un programme de « défense et illustration » de la cause homosexuelle et des homosexuels :
Nous voulons crier aux invertis qu'ils sont des êtres normaux et sains, qu'ils ont le droit de vivre pleinement leur vie, qu'ils ne doivent pas, à une morale qu'ont créée des hétérosexuels, de normaliser leurs impressions et leurs sensations, de réprimer leurs désirs, de vaincre leurs passions.
[...]
INVERSIONS veut être leur Revue, ils y chanteront leur amour aussi beau, aussi noble que les autres amours.
[...]
Nous voulons grouper autour de INVERSIONS ceux qui souffrent de leur solitude. INVERSIONS veut être pour eux, l'écho des voix de leurs frères d'amour.
Nous étudierons ici les homosexuels, qui dans la littérature, les arts, la philosophie et la science, se classèrent parmi les génies.
Nous faisons donc appel à ceux, qui, hors de tout préjugé, de toute morale conventionnelle voudront nous aider et nous éclairer de leur documentation et de leurs observations personnelles.
Notre effort se heurtera sans doute à bien des obstacles, à de nombreuses difficultés ; à vous tous, homosexuels, nos amis, nos frères, de nous aider et de nous soutenir.
Le premier numéro paraît le 15 novembre 1924. Initialement prévu pour paraître au rythme de 2 numéros par mois, la revue rencontre rapidement des obstacles, avec en particulier une inculpation pour « atteinte aux bonnes mœurs », comme ils l’annonce dans le 3e numéro. Le 4e et dernier numéro paraît le 1er mars 1925.
La majorité des articles sont signés de pseudonymes, mais on sait que, en plus de nos 2 auteurs, Eugène Whilhelm (Numa Praetorius), Louis Estève, Camille Spiess, Pierre Guyolot-Dubasty (Axieros), etc. ont contribué. Certes, quelques uns des grands noms de l'époque : André Gide, Jean Cocteau, Willy sont absents, alors qu'ils auraient pu apporter leur contribution, voire même leur protection, mais on ne sait pas s'ils ont été sollicités.
Suite aux poursuites engagées, la revue devient L'Amitié. Dans le seul et unique numéro paru en avril 1925, sont publiées quelques contributions de soutien qui avaient été sollicitées dans le dernier numéro d'Inversions, sous forme de 3 questions dont la dernière est : « Quel est votre opinion sur l’homosexualité et les homosexuels ? ». On voit apparaître des signatures plus prestigieuses comme Havelock Ellis, Henry-Marx, Camille Spiess, Claude Cahun, Suzanne de Callias et Georges Pioch. Le revue disparaît ensuite.
Cette histoire, ainsi que le contenu même de la revue, est mis à notre disposition, contribuant à une meilleure connaissance de notre histoire homosexuelle.
Il y a cependant deux remarques à faire.
Dans le sous-titre : « Une autre histoire de la première revue gay française », dans le texte lui-même, il est répété qu'il s'agit de la première revue homosexuelle. Pourquoi une telle affirmation ? Tout le monde sait que la première revue française est Akademos. Comme celle-ci était d'un esprit un peu différent, peut-être un peu moins militant, j'imagine que Michel Carassou lui dénie le titre de première revue au profit d'Inversions. Mais ce n’est que supposition de ma part. Il est tout de même dommage qu'une telle erreur soit mise en avant. Ce qui est le plus étrange est que la revue Akademos est citée plusieurs fois, en particulier dans la bibliographie.
Mais, ce qui m'a le plus dérangé est l'injustice qui est faite aux deux piliers de cette revue, Beyria et Lestrade. Ils ont été condamnées à de la prison ferme. Ils n'imaginaient pas qu'en plus, dans cette réédition, on les déposséderait de leur initiative et de leur travail en attribuant un rôle central à Claude Cahun dans l'histoire de la revue, en particulier dans le dernier numéro où il est avancé, sans preuves : « cette livraison de L'Amitié a été conçue et dirigée par Claude Cahun. » (p. 30). L'avantage des publications sous pseudonyme est que cela permet de donner libre court à son imagination pour tenter d'identifier les auteurs. C'est ainsi que par un jeu de déductions aussi subtiles que fragiles, Claude Cahun se retrouve projetée, si j'ose dire, au-devant de la scène. Pourtant, la seule chose certaine est qu'elle a contribué en envoyant un texte de soutien pour le numéro unique de L'Amitié. Au-delà, lui attribuer des contributions importantes dans les 4 numéros d'Inversions et un rôle de premier plan dans L'Amitié est du roman, et pas de l'histoire. Et je ne parle pas d'hypothétiques manœuvres conduites par Claude Cahun – on ne prête qu'aux riches ! – pour « éliminer » Camille Spiess. Certes, cet étrange personnage fort peu sympathique avait probablement rien à faire dans une telle revue, mais, à défaut d'autres preuves, je pars du principe que ce sont ceux qui ont créé la revue qui ont eu assez de maturité pour cesser de solliciter sa contribution.
C'est ainsi que je souhaite rendre hommage à Gutave Beyria et Gaston Lestrade. Ils ont tout le mérite de la création et de l'animation de cette revue pionnière, pour laquelle ils ont injustement payé. Claude Cahun a d'autres titres de mérite dans l'histoire homosexuelle, pour ne pas chercher à lui en attribuer d'autres.
Pour élargir les points de vue sur l'histoire de cette revue, il est conseillé de lire les autres études accessibles, comme l'article d'Olivier Jablonski in Dictionnaire des cultures gaies et lesbiennes, Paris, 2003, l'étude de Mirande Lucien, Inversions 1924-1925. L'Amitié 1925. Deux revues homosexuelles française, Lille, GKC, coll. « Cahiers GKC » (n° 58), 2006 ou, de la même : Les deux premières revues homosexuelles de langue française : Akademos (1909) et Inversions/L’Amitié (1924-1925) in La revue des revues, n° 51, 2014.
La majorité des articles sont signés de pseudonymes, mais on sait que, en plus de nos 2 auteurs, Eugène Whilhelm (Numa Praetorius), Louis Estève, Camille Spiess, Pierre Guyolot-Dubasty (Axieros), etc. ont contribué. Certes, quelques uns des grands noms de l'époque : André Gide, Jean Cocteau, Willy sont absents, alors qu'ils auraient pu apporter leur contribution, voire même leur protection, mais on ne sait pas s'ils ont été sollicités.
Suite aux poursuites engagées, la revue devient L'Amitié. Dans le seul et unique numéro paru en avril 1925, sont publiées quelques contributions de soutien qui avaient été sollicitées dans le dernier numéro d'Inversions, sous forme de 3 questions dont la dernière est : « Quel est votre opinion sur l’homosexualité et les homosexuels ? ». On voit apparaître des signatures plus prestigieuses comme Havelock Ellis, Henry-Marx, Camille Spiess, Claude Cahun, Suzanne de Callias et Georges Pioch. Le revue disparaît ensuite.
Cette histoire, ainsi que le contenu même de la revue, est mis à notre disposition, contribuant à une meilleure connaissance de notre histoire homosexuelle.
Il y a cependant deux remarques à faire.
Dans le sous-titre : « Une autre histoire de la première revue gay française », dans le texte lui-même, il est répété qu'il s'agit de la première revue homosexuelle. Pourquoi une telle affirmation ? Tout le monde sait que la première revue française est Akademos. Comme celle-ci était d'un esprit un peu différent, peut-être un peu moins militant, j'imagine que Michel Carassou lui dénie le titre de première revue au profit d'Inversions. Mais ce n’est que supposition de ma part. Il est tout de même dommage qu'une telle erreur soit mise en avant. Ce qui est le plus étrange est que la revue Akademos est citée plusieurs fois, en particulier dans la bibliographie.
Mais, ce qui m'a le plus dérangé est l'injustice qui est faite aux deux piliers de cette revue, Beyria et Lestrade. Ils ont été condamnées à de la prison ferme. Ils n'imaginaient pas qu'en plus, dans cette réédition, on les déposséderait de leur initiative et de leur travail en attribuant un rôle central à Claude Cahun dans l'histoire de la revue, en particulier dans le dernier numéro où il est avancé, sans preuves : « cette livraison de L'Amitié a été conçue et dirigée par Claude Cahun. » (p. 30). L'avantage des publications sous pseudonyme est que cela permet de donner libre court à son imagination pour tenter d'identifier les auteurs. C'est ainsi que par un jeu de déductions aussi subtiles que fragiles, Claude Cahun se retrouve projetée, si j'ose dire, au-devant de la scène. Pourtant, la seule chose certaine est qu'elle a contribué en envoyant un texte de soutien pour le numéro unique de L'Amitié. Au-delà, lui attribuer des contributions importantes dans les 4 numéros d'Inversions et un rôle de premier plan dans L'Amitié est du roman, et pas de l'histoire. Et je ne parle pas d'hypothétiques manœuvres conduites par Claude Cahun – on ne prête qu'aux riches ! – pour « éliminer » Camille Spiess. Certes, cet étrange personnage fort peu sympathique avait probablement rien à faire dans une telle revue, mais, à défaut d'autres preuves, je pars du principe que ce sont ceux qui ont créé la revue qui ont eu assez de maturité pour cesser de solliciter sa contribution.
C'est ainsi que je souhaite rendre hommage à Gutave Beyria et Gaston Lestrade. Ils ont tout le mérite de la création et de l'animation de cette revue pionnière, pour laquelle ils ont injustement payé. Claude Cahun a d'autres titres de mérite dans l'histoire homosexuelle, pour ne pas chercher à lui en attribuer d'autres.
Pour élargir les points de vue sur l'histoire de cette revue, il est conseillé de lire les autres études accessibles, comme l'article d'Olivier Jablonski in Dictionnaire des cultures gaies et lesbiennes, Paris, 2003, l'étude de Mirande Lucien, Inversions 1924-1925. L'Amitié 1925. Deux revues homosexuelles française, Lille, GKC, coll. « Cahiers GKC » (n° 58), 2006 ou, de la même : Les deux premières revues homosexuelles de langue française : Akademos (1909) et Inversions/L’Amitié (1924-1925) in La revue des revues, n° 51, 2014.
1 commentaire:
Michel Carassou esr aussi juste avec les créateurs de la revue qu'envers moi. Il est facile et légitime de reproduire un texte, plus exigeant de le commenter en faisant des recherches...
Mirande Lucien
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