samedi 4 juillet 2015

Lettres à Ibis, Jean Genet

Une célèbre maison de ventes aux enchères a proposé le 25 juin un ensemble de lettres écrites par Jean Genet, connu et publié sous le titre "Lettres à Ibis".



Il s’agit d’une correspondance qui s’étend de 1933 à 1948. En 1933, le jeune Jean Genet (il n’a que 22 ans au moment où il écrit sa première lettre), se rapproche d’un groupe de jeunes gens, du même âge que lui, sur la base d’une communauté de vue sur la littérature, les arts et la politique. La destinataire des lettres est Andrée Plainemaison (1910-1978), dite Pragane, dite Ibis. Avec quelques amis, elle avait fondé une revue Jeunes qui se voulait le moyen d'expression d'« un groupe de jeunes, dégoûtés d'une civilisation basée sur la violence, la propriété, l'injustice et l'hypocrisie [...] un groupe de jeunes qui voulons essayer d'aider nos frères, jeunes comme nous, à construire une société nouvelle, plus harmonieuse et surtout plus juste. »

Tout juste sorti de ses engagements militaires, qui lui ont fait connaître la Syrie et le Maroc, il entre en contact avec eux et plus particulièrement Ibis qui était l'animatrice de ce groupe.
 

Retrouvés par le fils d'Andrée Plainemaison, ces documents ont été publiés en 2010 :
Lettres à Ibis
Collection L'arbalète/Gallimard, Gallimard, 2010, 128 pages et 8 pages planches hors texte avec 15 illustrations, couverture illustrée.


On a longtemps eu l’image d’un Jean Genet dont la vie se construit autour d’un avant et d’un après. L’avant, c’est toute la période qui va de sa naissance jusqu’à sa première œuvre publiée en 1942, le Condamné à mort. L’avant, c’est la période de vie obscure, de vie vagabonde et, longtemps, de vie sans littérature. L’après, c’est la période publique depuis sa première œuvre, en 1942, suivie de toutes celles que l’on connaît. Ce sont aussi ses engagements, ses prises de parole, son film, etc. Jean Genet a lui-même cultivé, construit cette image qu’il renvoyait de sa vie, en particulier dans Le Journal d’un voleur.

La vérité de sa vie, paradoxalement plus riche et plus complète que le « roman » qu’il en a donné, est qu’il a, très tôt, eu l'ambition d’une entrée en littérature et le désir de se rapprocher de personnes avec lesquelles il se trouvait en communauté de pensées et de goûts. C’est ce que montrent très bien ces lettres, dans lesquelles on trouve déjà les thèmes littéraires qui le guideront tout au long de sa vie. On y trouve aussi le récit d’un amour pour Jean, amour difficile, mal partagé, mais néanmoins dit à sa confidente. On est loin de la mythologie des amours pour les voyous et les marins, mais, me semble-t-il, plus proche de la vérité, au moins à ce moment-là, de son amour pour les garçons. Dès la première lettre, il se déclare, semblant espérer qu'Ibis fasse l'intermédiaire entre lui et Jean :
« Ibis, je vais vous faire une confidence, et vous jugerez d'après cela si je vous affectionne et si j'ai confiance en vous. L'avez-vous vu : j'aime Jean. Voilà, j'ai dit les choses et je suis bien plus à mon aise. » Il poursuit : « Trouvez cela honteux, laid, répugnant, : bah ! je suis voué à la répulsion, à la laideur décrétée. Il n'en ai pas moins que j'ai au fond du cœur le sentiment le plus beau et le plus vaste. Oh ! Ibis, si vous saviez, mon amour pour lui est un soleil. Maintenant, je ne suis plus un être quelconque, je suis tout amour. »

Cette proximité pendant quelques années avec ce « groupe de jeunes » aurait pu déboucher sur une collaboration littéraire, si le journal n'avait pas rapidement cessé de paraître pour raison financière. Il en reste une texte Lettre à Ibis reproduit dans ce recueil. C'est le premier texte littéraire de Jean Genet, dans lequel se mêle prose et poésie. Se présentant d'abord comme le compte-rendu de l'ouvrage Samara, de Michel Vieuchange, sur son expérience d'explorateur à travers l'Afrique jusqu'à la cité du même nom dans le Sud-Marocain, c'est surtout le prétexte, ou l'occasion, d'évoquer l'accomplissement de soi, le voyage, le dépassement, la mort, une certain forme de mysticisme (« Je ne puis du livre vous dire rien. Il n'est qu'une attente de l'Instant. ») C'est un très beau texte, très littéraire, où l'on retrouve les prémices du Jean Genet qu'on lira beaucoup plus tard dans un livre comme Un captif amoureux. On y voit une forme littéraire qui se crée, chez un homme jeune – il n'a que 22 ou 23 ans – dont on peut se demander où et comment il a acquis cette maîtrise littéraire.



Aller ! Toujours! Savoir que tout est semblable et vouloir plus loin.
Aller seul, très pensif, se noircir au soleil et crever sous la lune !
Le voyage de Michel Vieuchange l'ayant mis en contact avec le peuple des Chleuhs, j'ai choisi ce beau portrait pour illustrer mon message, peint justement l'année de la parution du livre de Michel Vieuchange.


Jeune homme Chleuh, Marrakech, 1932
Zinaida Evgenieva Serebriakova (1884-1967)

Le recueil se clôt sur la lettre écrite par Jean Genet en mars 1984, en réponse au courrier de Jacques Plainemaison annonçant le décès de sa mère et l'existence de cette correspondance. Il termine sa lettre par ces quelques mots, simples et magnifiques :
Je suis très vieux. Et très seul mais très heureux : d'être seul et vieux ? Peut-être.

3 commentaires:

Celeos a dit…

Passionnant billet, Jean-Marc.

Bibliothèque Gay a dit…

Merci.

Emile Karl a dit…

Avec ce blog je vais découvrir de lectures bien excitantes : http://drawingwithmyfrienddick.blogspot.fr/2015/07/surprise-lisez-il-y-des-lectures-tres.html