Il faut saluer le travail de réédition des Cahiers GayKitschCam qui, inlassablement, donnent à lire des ouvrages anciens ou oubliés sur l'homosexualité. Une des dernières parutions est un ouvrage que j'ai toujours mis à part, par son intérêt et par ce qu'il fait comprendre de la vision de l'homosexualité dans l'entre-deux-guerres. Il s'agit du 3e sexe, de Wily, pseudonyme d'Henry Gauthier-Villars. Possédant l'édition originale, je voulais le chroniquer depuis longtemps. L'occasion m'en est donnée.
Après avoir lu Le 3e sexe de Willy, il me vient spontanément à l’esprit cette association de mots : une bienveillance goguenarde.
Après avoir lu Le 3e sexe de Willy, il me vient spontanément à l’esprit cette association de mots : une bienveillance goguenarde.
Avant de développer, un rapide rappel. Après l’enquête sur l’homosexualité de la revue Les Marges en avril 1926, enquête qui faisait suite à la publication quasi simultanée du Corydon de Gide (première édition publique en 1924) et du Sodome et Gomorrhe de Proust (1921-1922), le chroniqueur mondain Henry Gauthier-Villars, dit Willy, a voulu apporter sa contribution à la connaissance de l’univers homosexuel dans les années 1920. Il en est résulté cet ouvrage, paru en 1927, qui est un panorama des mœurs et coutumes des homosexuels en France, avec des incursions "par dessus les Frontières" (c'est le premier chapitre) en Italie, en Amérique, mais surtout en Allemagne. Rappelons que l’Allemagne, avec l’action militante de Hirschfeld, était en pointe dans le combat pour la reconnaissance de la dignité homosexuelle. C’est d’ailleurs Hirshfeld qui a popularisé cette notion de 3e sexe, que l’on trouve aussi chez Proust, notion vieillie, mais qui était largement utilisée comme on le voit dans l’ouvrage de Willy. La description du monde gay du Paris de cette époque par Willy s'appelle "La tournée des curieux". On y retrouve les grands classiques : les bals, les bars de Pigalle, les bains, mais aussi une rapide allusion à la vie en province, "la chaste province". Pour faire référence à ce que je disais plus haut, il consacre un chapitre spécifique à "Quelques chefs de file" où l'on retrouve Oscar Wilde, Jean Lorrain, Marcel Proust, Maurice Rostand, Verlaine et Rimbaud, ainsi qu'un chapitre consacrée à la "Littérature androgyne", où le mot androgyne doit s'entendre comme un synonyme de "homosexuelle". On peu s'en étonner, mais Henry Gauthier-Villars ne se départ pas d'une vision de l'homosexualité, aujourd'hui vieillie, où l'homosexuel est toujours un homme qui abrite en lui une femme, ou vice-versa.
Pour avoir lu d’autres ouvrages contemporains sur le sujet, je trouve que Willy fait preuve de beaucoup de bienveillance vis-à-vis du monde homosexuel. Cette bienveillance est clairement nuancée par un ton goguenard, qui se traduit par des plaisanteries parfois douteuses sur les homosexuels. Pour un lecteur moderne qui lirait cet ouvrage avec sa grille de valeurs de 2014, certaines des plaisanteries ou prises de distance de l’auteur seraient clairement assimilées à des propos homophobes. Je crois que si l’on veut comprendre ce livre, il faut le lire en oubliant certaines de nos crispations actuelles.
Ce préambule pour introduire cette réédition bienvenue de ce texte par les cahiers GayKitshCamp. L’édition de 1927 n’est pas difficile à trouver, mais il reste moins coûteux de le lire dans cette réédition. L’autre avantage est que l’ouvrage lui-même a été enrichi de notes et de documents annexes qui en décuplent l’intérêt. Les notes qui complètent le texte facilitent grandement la compréhension en décryptant les allusions, en situant les personnages, souvent complétement oubliés aujourd’hui et les faits. Les documents annexes sont des extraits de textes contemporains sur le même sujet. La lecture du texte de Georges-Anquetil, extrait de Satan conduit le bal (1925) permet d’ailleurs de bien situer la frontière entre une vision clairement dépréciative des homosexuels et la vision que j’ai qualifiée de bienveillante de Willy. C’est peut-être un biais induit par le choix des textes, mais le monde homosexuel est surtout décrit à travers ses fêtes (les bals travestis, comme le le bal du Magic-City), ses lieux festifs ("La Petite Cabane", à Montmartre) et ses rituels, avec parfois le côté excessif et provocateur de ces événements. Cela explique aussi les réactions négatives des auteurs de ces textes qui se trouvent directement confrontés à un monde qu’ils ne connaissent pas ou ne veulent pas connaître. Les aspects plus cachés du monde homosexuel de l’époque, car plus privés et intimes, ne sont pas abordés, car probablement cela n’intéressait pas les auteurs. La vie personnelle d’un homosexuel des années 20, la façon dont il le vit, tout cela est moins spectaculaire qu’un bal d’hommes travestis, mais surtout plus dérangeant car c’est là, dans la vie personnelle de chaque homosexuel, que se trouve la réalité des choses. Signalons que Willy a le même biais. Ce n’est pas en lisant son livre que l’on sait répondre à la question : « qu’est que cela veut dire être homosexuel en 1927 ». Cet aspect des choses peut rendre frustrantes ces lectures et finir par laisser penser que seule une approche anecdotique de l’homosexualité était possible à l’époque.
Henry Gauthier-Villars, dit Willy (1859-1931), est surtout connu aujourd’hui pour avoir été le mari de Colette et l’avoir lancée en signant de son nom la série des Claudine. C’était une de ses personnalités brillantes et recherchées de la Belle époque, en même temps chroniqueur, écrivain, mondain, etc. Touche-à-tout, il a laissé de nombreux livres, mais peu d’entre eux ont accédé à la postérité. Paradoxalement, alors que ce thème est mineur dans son œuvre, son ouvrage sur le 3e sexe est un des rares livres dont on parle encore (cette chronique et cette réédition en sont la preuve).
Justement dans cette réédition, il y a un article fort intéressant qui se termine par la question : « Willy est-il un auteur gay ? » La réponse est positive, car de nombreux éléments sont rassemblés sur les ambiguïtés du personnage à ce sujet (il signait ses chroniques théâtrales : « L’Ouvreuse ») et son intérêt pour le monde homosexuel. On peut rappeler qu’il est l’auteur avec Suzanne de Callias, sous le pseudonyme de Ménalkias, de deux romans sur le sujet : L’Ersatz d’amour, en 1923 et Le Naufragé, en 1924, aussi réédités par Cahiers GayKitschCam. Je vous laisse découvrir cette approche inhabituelle du personnage, en général vu comme un homme à femmes, loin de ce monde et de cette sensibilité. J’apporte juste au dossier cette photo que je possède dans ma collection, au format carte postale.
Willy avec son petit bouledogue français dans les bras vous paraît-il vraiment comme le parangon de l’homme viril XIXe siècle ?
Autre image de Willy : un portrait par Boldini, qui met en valeur un aspect plus dandy du personnage.
Pour finir, une lettre de Willy, sur un joli papier violet ! (lettre de ma collection personnelle qui accompagne l'envoi de la photo ci-dessus)
Pour en savoir plus sur Willy, cliquez-ici.
3 commentaires:
Merci, une fois de plus, pour vos très intéressants articles et votre belle culture.
Un détail sans aucune importance : le chien auprès de Willy est plutôt un bouledogue français qu'un bichon. Cette race, le bouledogue français est plutôt sur représentée de nos jours chez les homosexuels masculins.
Franck
Faucigny
Merci pour le commentaire et la précision.
J'assume mon inculture totale sur les races de chiens. Je trouvais que "bichon" illustrait bien mon propos, par le mot lui-même. Je viens de voir qu'un bichon n'a rien à voir avec le chien que Willy tient dans les bras. Avec ce que vous me dites sur le bouledogue français (ce que j'ai pu constater moi-même à Paris), cela illustrait encore mieux mon propos. J'ai donc corrigé.
Jean-Marc
Merci, c bien vu ! Je partage à qui mieux mieux !
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