Pour faire suite au message sur le Tirésias, de Marcel Jouhandeau, illustré par Elie Grekoff, deux belles images qui m'ont été communiquées suite au message précédent :

Amateur de beaux livres, passionné par la culture homosexuelle, je partage ma passion sur ce blog. Je propose une promenade au sein d'une bibliothèque personnelle, en espérant que cela créera de l'échange et fera découvrir à certains la richesse de la culture littéraire homosexuelle. J'espère vous offrir de nombreuses découvertes dans l'immense continent de la littérature et de l'histoire homosexuelles, notre patrimoine commun.
Lorsque l'amour des livres rencontre l'amour des garçons !




J'aime cette image de la paternité :





Marcel Jouhandeau, né en 1888, a laissé une œuvre romanesque importante, dans la tradition des grands moralistes. L'homosexualité, centrale dans sa vie, n'est que peu à peu abordée, d'abord par des allusions dans son Eloge de l'imprudence (1931), puis de façon de plus en plus claire dans De l'abjection, paru anonymement en 1939, réédité en 1951 avec son nom d'auteur. Suivront Chronique d'une passion (1944), Les funérailles d'Adonis (1948) ou L'école des garçons (1953) et Du pur amour (1955), qui abordent l'homosexualité plutôt sous l'angle de la passion amoureuse, que de la sexualité en tant que telle. C'est avec Tirésias, paru anonymement en 1954 dans un tirage de 150 exemplaires, qu'il aborde le sexe entre hommes. C'est probablement pour cela que le texte restera anonyme et qu'il sera toujours réticent à le reconnaître. Il faut imaginer qu'en 1954, pour un écrivain reconnu, parler ouvertement de sodomie et de plaisir partagé était encore de l'ordre de l'inimaginable. Certes, Jean Genet l'avait fait dans Notre-Dame des Fleurs et Le miracle de la rose, mais il était peu connu, au delà d'un cercle restreint autour de Cocteau, puis Sartre.



"Il ne me prend qu'agenouillé, mes jambes passées autour de son cou. Ainsi son visage demeure exposé au-dessus de moi, les paupières baissées, jusqu'au moment où le bonheur le saisit et m'envahit. Alors il ouvre ses yeux, tout grands, de grands yeux couleur de pervenche, dont la tendresse à ce moment-là est d'autant plus poignante que sa bouche cruellement se chiffonne,se rétracte, un peu comme l'huître encore vivante, quand on la dérange dans son repaire. Après, je n'ai qu'à lui parler de ce regard et de cette grimace pour qu'il sourie, mais comme le paraissent faire seulement les animaux endormis au rappel en rêve de la volupté."


"Dès que je vais être prêt, il vient me chercher, m'attire à lui et je commence à trembler, à geindre de peur, à supplier qu'il me ménage, qu'il ne soit pas brutal, trop dur, comme le volatile, que guette un vautour ou le couteau du sacrificateur. Alors, il me donne de doux noms par monosyllabes ensalivés, dont je comprends moins le sens (il parle un argot à lui) que la gentillesse volontaire ou l'ironie, quand il ne les pimente pas tout d'un coup de grossièretés, cette fois claires, ou de quelque menace qui me glace de terreur. En même temps sa main me touche au bon endroit, sa caresse m'excite et m'apaise, il m'entoure peu à peu la taille de son bras massif qui pèse sur ma hanche et tout d'un coup me ceinture et me broie. Son visage s'éclipse, je le sens descendre le long de mes reins,à la recherche de profondeurs qu'il visite comme chez lui. Au passage de son doigt, puis de sa langue, je m'épanouis. La confiance naît. A peine ai-je senti sa chaleur installée en moi, son visage remonte des abîmes. Comme s'il frôlait chacune de mes vertèbres l'une après l'autre au passage et c'est quand il me mord la nuque et que je sens son corps allongé le long du mien, ses tétins sensibles au-dessus de mes épaules, que la pointe carrée de son phallus, battant mes fesses, comme exprès pour me faire éprouver sa raideur, hésite encore une fois sur le seuil et enfin me pourfend. Bien en selle, après une longue promenade au trot, d'un coup de rein, il me retourne et mes jambes passées comme un collier autour de son cou, je peux contempler, entre ses deux épaules qui me cachent toute la pièce, une Face de Titan maussade qui se balance, passant de l'insulte la plus cruelle à la câlinerie, d'une expression de douleur à la béatitude, avant de se fondre de bonheur. Sa bouche à la mienne attachée, nos yeux se ferment en même temps que sa sève brûlante m'inonde et que la mienne se répand entre nos deux cœurs, débâcle saluée par des râles sans fin, comme il n'arrive qu'aux bêtes fauves qui s'accouplent dans les forêts."





L'achevé d'imprimer est du 23 mars 1954. Selon la BNF, il a été imprimé à Paris par M. Sautier.






Messages, qui présentent deux autres exemplaires, avec des dessins originaux :