mardi 17 septembre 2024

Tu seras seul, d'Alain Rox [Marcel Rottembourg], Mémoires d'un homosexuel de la Belle Époque aux Années Folles

Je poursuis mon travail de réédition de textes de la culture gay, devenus introuvables, toujours avec l'aide précieuse et bienveillante de mon éditeur, Patrick Cardon, des éditions GayKitschCamp.

Vient donc de paraître :

Tu seras seul, d'Alain Rox [Marcel Rottembourg], Mémoires d'un homosexuel de la Belle Époque aux Années Folles, avec une présentation, des notes et un dossier par moi-même.


Lorsque Marcel Rottembourg (1889-1944) écrit ses mémoires dans les années trente, publiés en 1936 sous le titre un peu amer de Tu seras seul, il nous livre un témoignage riche et passionnant sur vingt-cinq ans de la vie d’un homosexuel de la Belle Époque aux Années folles. C’est une archive sans équivalent sur la découverte de l’homosexualité, le difficile dévoilement à soi-même et aux autres, l’acceptation de sa différence par lui-même, ses parents et ses amis. C’est aussi un tableau vivant de la vie gay à Paris, dans les années vingt, entre bars, rencontres et amours.

La publication de ce texte est complétée de nombreuses notes sur la vie de Marcel Rottembourg, éclairant ses origines, son milieu et son histoire personnelle. Elle comprend aussi un dictionnaire des lieux qu’il a fréquentés, ce qui contribue à enrichir la géographie du Paris gay des années vingt avec des établissements rarement étudiés ou cités jusqu’à maintenant : Chez ma Belle-sœur, Le Tanagra, Le Thé Récamier, La Taverne liégeoise, etc.

Je présenterai ce livre le vendredi 25 octobre, à 19 h, à la librairie Les Mots à la bouche, 37, rue Saint-Ambroise, 75011 Paris.

Pour le commander : https://www.helloasso.com/associations/gaykitschcamp-cardon/boutiques/catalogue

Le dessin de couverture a été réalisé par un jeune graphiste, João Delfim, dont j'avais déjà parlé sur ce blog : cliquez-ici.

J'ai découvert ce livre lorsque je travaillais sur la réédition d'Adonis-Bar et l'histoire du cabaret La Petite Chaumière. Je l'ai parcouru pour la première fois à la Bibliothèque nationale. Certains ouvrages, comme celui-ci, ne sont consultables que sous forme de microfiches, ce qui en rend la lecture très pénible, voire rebutante. J'avais trouvé le passage où Roland Terrier (le nom du personnage dans le livre) se rend dans le cabaret. Malgré l'inconfort de cette découverte du texte, j'avais déjà senti qu'il y avait quelque chose dans ce livre qui méritait d'aller au-delà d'une simple référence documentaire pour l'histoire d'un cabaret parisien.

Après quelques recherches, j'ai appris qu'il existait un autre exemplaire dans une bibliothèque publique, la bibliothèque du Saulchoir, à Paris, qui conserve les collections de la province dominicaine de France, autrement dit une bibliothèque religieuse. J'y suis donc allé un matin de juin 2023 et j'ai passé quelques heures à découvrir véritablement ces mémoires. J'ai trouvé cette confession si belle et si riche, avec une qualité littéraire telle, qu'il m'a paru évident qu'il fallait faire connaître cette œuvre. Rapidement, j'ai eu le pressentiment qu'au-delà de la mise au jour d'un beau texte, bien écrit, fin, émouvant, il y avait aussi un intérêt documentaire à l'étudier et le partager. Comme je crois aux signes, quelques semaines plus tard, je trouvais un exemplaire dans un lot de livres que je venais d'acheter, provenant de la bibliothèque d'un érudit de notre histoire gay. J'avais maintenant cet ouvrage chez moi et il devenait évident que je devais le publier. En septembre de l'année dernière, j'ai commencé le travail souvent long et laborieux de transcription du texte (plus de 400 pages !), même si les outils de scan et de reconnaissance de caractères allègent une partie de la charge. Ensuite, j'ai commencé les recherches d'identification de l'auteur, puis, ayant trouvé une piste, je me suis lancé dans un patient travail pour reconstituer sa vie, son entourage, les lieux qu'il avait fréquentés, etc.

C'est le résultat de dix mois de travail que j'ai le plaisir de vous présenter aujourd'hui. À la différence de mes précédentes rééditions, j'ai fait le choix de renvoyer toutes les notes à la fin du l'ouvrage. Je souhaite que le lecteur, comme moi, découvre ce texte tel qu'il nous a été donné à lire en 1936. Pour ceux qui veulent aller plus loin, savoir qui était tel ou tel personnage, ou quel était tel ou tel lieu où il avait l'habitude de se rendre, il pourra approfondir la lecture avec les notes, les annexes et les documents que je mets à sa disposition.

J'espère toujours que le lecteur percevra toute la charge émotionnelle qui se cache derrière chacune des découvertes qui permettent de dévoiler tout ce qui était initialement caché dans ce texte. Lorsque j'ai trouvé l'acte de mariage de Marcel Rottembourg dans l'état civil parisien, j'ai compris que je venais de découvrir la clef d'entrée dans l'identification du personnage principal. À charge pour moi, ensuite, de poursuivre le chemin et de dérouler les investigations. Lorsque j'ai découvert ses bulletins scolaires aux archives de Paris, que j'ai identifié ses articles sous le pseudonyme de Maurice Romain, que j'ai déniché une photo de classe de Première du collège Rollin, où je sais qu'il apparaît, sans savoir qui il est, à chaque fois, cela a été une émotion et un plaisir. Peu à peu, pièce après pièce, je reconstituais une vie, je faisais revenir à la lumière Marcel Rottembourg. Tous ceux qui font des recherches connaissent cette satisfaction si particulière de découvrir dans un dossier d'archives la preuve et la reconnaissance que toutes les hypothèses que l'on pouvait avoir posées se voient confirmées. En effet, Alains Rox, qui a nommé son double Roland Terrier dans son ouvrage, est le pseudonyme de Marcel Rottembourg qui a aussi choisi un autre nom d'auteur, Maurice Romain. Dans ce jeu d'identités, il y avait des risques de confusion ou d'erreur. Lorsqu'en juillet dernier, aux Archives nationales, j'ai ouvert, avec une légère appréhension, le dossier de Maurice Romain dans le fonds de la Société des Gens de lettres, j'ai eu la confirmation indubitable que Marcel Rottembourg était bien Maurice Romain et Alain Rox, l'auteur de Tu seras seul. J'ai aussi eu la chance de trouver le "prière d'insérer" du livre, le type même de documents éphémères qui ont souvent disparu.

Je me suis pris de sympathie pour Marcel Rottembourg dont la vie s'est probablement tristement terminée à Auschwitz. Je dis probablement car je n'ai pas trouvé de preuves irréfutables de cette mort. Il disparaît après son départ de Drancy dans le convoi 75, le 30 mai 1944, où, d'ailleurs, il est identifié sous le nom de Maurice Romain. Là-aussi, j'ai appris que de nombreux morts en déportation n'avaient même pas un dossier ou un acte de décès pouvant certifier leur disparition. J'ai décidé de poursuivre les recherches, comme un devoir de mémoire pour rendre sa mort à cet auteur qui m'a accompagné pendant presque un an. Ce sont des recherches longues et laborieuses. Je n'ai pas voulu retarder la parution de l'ouvrage.

Marcel Rottembourg est présent sur cette photo de la classe de Première D, du collège Rollin, année scolaire 1904-1905 (source : Archives de Paris).
Malheureusement, rien ne permet de l'identifier. J'ai tout de même choisi, parmi tous ces élèves, celui qui était le plus proche de l'idée que je m'en faisais. À vous de vous livrer au même exercice.



vendredi 7 juin 2024

Wilhelm von Plüschow

Nicole Canet poursuit son travail d'historienne de l'image masculine en publiant un très bel ouvrage, tant par le contenu que par la qualité des reproductions sur le photographe Wilhelm von Plüschow :


Ce livre de 256 pages et 176 photographies révèle le parcours très singulier de Wilhelm von Plüschow (1852-1930) qui nous entraîne aussi bien dans les sites archéologiques de Pompéi, de Grèce, que sur les terrasses de ses maisons-ateliers de Naples et de Rome ou sur l’île refuge de Capri, témoin des amours interdites de l’intelligentsia européenne pour finir sous le charme de l’Orient avec ces clichés de l’Égypte, de la Tunisie, qui nous emmènent au travers de ces pages jusqu’à Alger.
Une exposition-vente se déroulera à la Galerie Au Bonheur du Jour à Paris.

Lien vers le livre : Wilhelm von Plüschow pour commander.




jeudi 15 février 2024

Glane

 


Selon le catalogue de la maison de vente aux enchères : Ecole française vers 1820.

dimanche 7 janvier 2024

Innocence perdue

Comme cela m'arrive tous les dix ou quinze ans, j'ai entrepris de ranger ma bibliothèque. C'est toujours l'occasion de redécouvrir des livres que j'avais oubliés. En feuilletant ce catalogue publié à l'occasion d'une exposition du musée d'Orsay, Masculin/Masculin, l'homme nu dans l'art de 1800 à nos jours, mon œil s'est arrêté sur cette photographie, un daguerréotype de 1851, attribuée à Louis Jules Duboscq : étude d'homme nu. Je songeais en voyant ce corps qui m'a ému que nous avons perdu une forme d'innocence dans notre fascination devant la beauté masculine lorsqu'elle se présente ainsi, dénuée de tout artifice. Cet homme, probable modèle d'atelier, a un corps sculpté par l'usage qu'il en fait au quotidien. Peut-être est-il aussi manœuvre, terrassier ou simplement est-il un de ces nombreux commissionnaires ou hommes de peine qui, à force de porter des charges dans Paris, voit son corps se muscler naturellement.


Que l'on est loin des corps que l'on nous montre, que l'on nous impose, construits artificiellement dans des salles de "body-building". 

Les couvertures de cet excellent catalogue :




lundi 1 janvier 2024

2024


C'est avec cette composition graphique d'un jeune artiste que je vous souhaite une
Bonne année 2024
Pour ma part, si je devais faire un seul vœu, ce serait de toujours partager avec vous mes découvertes.
Et que ces découvertes soient l'occasion de rencontres et d'échanges.



samedi 23 décembre 2023

Le Temps d'aimer

Dans la très (trop ?) riche production de films et de séries LGBT, j’ai eu envie de voir Le Temps d’aimer, de Katell Quillévéré, avec Vincent Lacoste et Anaïs Demoustier. Pourquoi ? Parce que ce film traite d’un pan de l’histoire homosexuelle de la fin de la dernière guerre jusqu’aux années soixante. En deux mots, l’histoire est celle de Madeleine, serveuse dans un hôtel-restaurant et mère d'un petit garçon qu’elle a eu d’un officier allemand disparu. Elle rencontre François, un jeune étudiant riche et cultivé, dont on finit par apprendre qu’il a déjà vécu une expérience homosexuelle. Ces deux êtres avec leurs secrets et le poids de l’opprobre publique unissent leurs destins. Ensuite, c’est la vie chaotique de ce couple où Madeleine vit une relation difficile, entre amour et déni, pour son fils Daniel et où François, malgré l’amour qu’il porte à sa femme, continue à être habité par son attirance pour les hommes, jusqu’à la « chute » tragique de la fin du film.


C’est un beau film, que j’ai eu du plaisir et de l’émotion à voir, même si j’ai trouvé que tout y était trop sage : trop sage la mise en scène, trop sages les idées un peu convenues de cette histoire, trop sage le jeu des acteurs. En définitive, une démonstration trop sage de conflits intimes dans une France puritaine à la sortie de la guerre et de la collaboration. Probablement que le choix de Vincent Lacoste était le plus mauvais possible pour incarner François. Cet acteur inexpressif est incapable de rendre la violence du conflit intime qui habite son personnage. Au passage, je ne comprends pas l’estime dont il bénéficie. Certes, dans Plaire, aimer et courir vite, Vincent Lacoste était dans le ton, mais ce n’était pas difficile car son rôle collait à sa personnalité d’acteur. Heureusement, la grâce rayonnante d’Anaïs Demoustier est là pour donner de la vie à ce film. Et, Paul Beaurepaire, jeune acteur qui incarne Daniel à la fin du film nous apporte aussi sa beauté et son charme auxquels je n’ai pas été insensible.


Malgré tout, j’ai été gêné par quelques négligences ou approximations dans ce film qui se veut en même temps cultivé et historique. Détail, mais lorsque François explique qu’il est archéologue et montre, pour appuyer son propos, un fossile, on se dit que le scénariste confond l’archéologie et la paléontologie. Détail, mais lorsque François présente un sarcophage en expliquant que la scène sculptée sur le côté est la trahison de saint Pierre, on se dit que le scénariste ne sait pas qu’il s’agit en réalité du reniement de saint Pierre (et pour ceux que la culture religieuse intéresse encore, c’est Judas qui trahit le Christ et non saint Pierre). Ce manque de rigueur culmine dans une scène où un policier affirme que l’homosexualité est un délit. Et ce n’est pas un détail. Il faut probablement encore répéter que l’homosexualité n’a jamais été un délit en France. Lorsque François est poursuivi par la police dans le film, c’est au titre de l’excitation habituelle d’un mineur à la débauche, aggravée par l’application du décret de Vichy qui fixait une majorité sexuelle spécifique à vingt-et-un ans dans le cas des relations homosexuelles alors qu'elle était auparavant à quinze. Certes, c’est un peu plus compliqué à expliquer que de dire de façon abrupte que l’homosexualité est un délit en France. Pourtant, de nombreux historiens travaillent et ont travaillé sur la répression de l'homosexualité masculine. Je renvoie à cet article de Régis Revenin qui est une bonne synthèse sur ce sujet, au sein d’une étude intéressante sur le vécu homosexuel des jeunes hommes des classes populaires à cette même époque : Les jeunes « pédés » parisiens d’avant 1968. On peut aussi citer les travaux en cours de R. Schlagdenhauffen sur la répression policière et pénale de l’homosexualité, en l’absence d’un délit correspondant. Le sujet a été récemment évoqué dans une émission de France-Culture consacrée au vote par le Sénat d'une loi de réparation : Quelle réparation pour les politiques de criminalisation de l'homosexualité ? Autre ouvrage, très intéressant et documenté, de Romain Jaouen : L’inspecteur & l’« inverti ». La police face aux sexualités masculines à Paris, 1919-1940, qui explique bien comment, sur une période antérieure à celle qui nous intéresse aujourd’hui, l’utilisation abusive, voire dévoyée, de l’outrage public à la pudeur et de l’excitation habituelle des mineurs à la débauche représentait déjà un arsenal juridique suffisant pour poursuivre les manifestations des amours homosexuelles dès qu’elles sortaient de la chambre à coucher et qu'elles ne concernaient pas deux adultes majeurs. Pour finir sur ce thème, vous pouvez aussi consulter les billets d'Antoine Idier sur son blog : ici. C’est aussi en cela que je trouve le film trop sage. Il ne cherche pas à restituer la complexité du réel et préfère les raccourcis faciles.

Je rappelle à ce propos que j’aborde aussi ce sujet dans mon dernier livre, la réédition d'Adonis-Bar, de Maurice Duplay, paru en 1928, dont j'ai pris en charge la présentation, les notes et, surtout, un dossier important sur La Petite Chaumière  (1921-1939), le premier cabaret de travestis à Paris. J'y aborde la répression policière et juridique qu'a subie le cabaret et tous les moyens légaux ou illégaux utilisés pour cela. Ce titre est toujours disponible aux éditions GayKitschCamp, comme le reste du catalogue:

https://www.helloasso.com/associations/gaykitschcamp-cardon/boutiques/catalogue


Dernière petite remarque, le filme passe un peu vite sur les obstacles qu’il fallait vaincre en 1947 (et probablement encore plus aujourd’hui), pour qu’un fils d’industriel du Nord épouse une serveuse fille-mère de Bretagne. Rien que cela aurait suffi à constituer le sujet d’un film.

Une fois n'est pas coutume :


dimanche 3 décembre 2023

Der Mann in der Photographie. I, Le Cercle, 1954

En 1952, la revue homosexuelle suisse Der Kreis (Le Cercle) fête ses vingt ans d'existence. Publiée à Zürich depuis 1932, elle est devenue plus spécifiquement consacrée à l'homosexualité masculine depuis 1942, lorsque l'acteur Karl Meier, sous le pseudonyme de Rolf, en devient le rédacteur en chef. A l'occasion de cet anniversaire, la revue publie à destination exclusive de ses lecteurs, une sélection de 100 photos sous forme d'un ouvrage, sous le titre allemand de Der Mann in der Photographie.

Un texte en 4 langues (allemand, français, italien et anglais), en avant-propos, présente l'ouvrage :

Au terme de la vingtième année de parution de notre périodique « Le Cercle », nous vous offrons une collection des plus belles photos publiées durant ces dix dernières années. Ce recueil ne doit pas être considéré comme une publication indépendante mais, au contraire, comme la réunion en une sorte de bouquet d'anniversaire des clichés particulièrement artistiques présentés par notre revue.[...]
Ce livre ne sera pas vendu en librairie et doit demeurer une publication privée et réservée à nos amis du monde entier. Nous devons aussi insister sur le fait qu'il ne faut pas considérer les modèles comme appartenant à notre sphère. Ils ont été choisis uniquement pour illustrer la grâce de l'adolescence et la beauté masculines. Nous croyons que, dans leur diversité, ces images apportent leur contribution à l'Hymne au corps masculin qui, depuis l'Antiquité jusqu'à nos temps modernes ne cesse d’être chanté par les poètes.

La jaquette de couverture est illustrée par une photo de Roberto Rolf, qui est le pseudonyme de George Platt Lynes (1907-1955). C'est le photographe le plus représenté dans cette sélection, avec vingt-et-une photos sur cent. Il est suivi par Tan Hin Kong, d'Amsterdam, avec sept photos et la Western Photography Guild, de Denver, avec quatre photos.

Pour ma part, j'ai choisi douze photos parmi les cent, qui sont celles qui m'ont le plus touché. J'y ai ajouté la n° 25, peut-être moins belle, mais qui montre une certaine diversité dans les styles et les situations des photos publiées dans la revue. On constatera qu'à côté de quelques noms encore célèbres, Der Kreis n'hésitait pas à ouvrir ses pages à des amateurs talentueux.

10 : Roberto Rolf (George Platt Lynes), New York

11 : Roberto Rolf (George Platt Lynes), New York

22 : Prof. Rudolf Koppitz, Allemagne

24 : Tan Hin Kong, Amsterdam

25 : Jos. Nemeth, Budapest

33 :  photographe amateur, Suisse

53 : Schweiz, Pressephoto

65 : photographe inconnu américain

67 : photographe amateur, Allemagne

79 : Roberto Rolf (George Platt Lynes), New York  

96 : Albert, Johannesburg

99 : M. Bourke-White, USA  

Il existe un excellent film sur Le Cercle (Der Kreis) sorti en 2014, qui porte le même nom. Il raconte le destin de deux jeunes homosexuels, à Zürich en 1958, l'un étant professeur et l'autre coiffeur, et surtout chanteur travesti (drag-queen, en français), dans un cabaret zurichois. Ils appartiennent tous deux au Cercle et le film permet de faire quelques portraits d'homosexuels de ces années-là, dont celui de Rolf, pseudonyme de l'acteur Karl Meier, l'animateur de cette association et de sa revue. L'originalité de ce film est d'être à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. La trame de l'histoire est celle de ces deux hommes, Ernst Ostertag et Röbi Rapp, qui interviennent aussi dans des séquences actuelles de témoignage. Ces allers-retours entre le passé reconstitué et le présent des entretiens est très intelligemment fait. Il permet de mesurer le chemin parcouru et aussi la permanence des engagements de ces deux hommes depuis l'époque de leur jeunesse jusqu'à nos jours, engagement pour la lutte homosexuelle et engagement mutuel dans une histoire d'amour de plus de soixante ans. Dans une séquence, Röbi Rapp, âgé de plus de quatre-vingts ans, reprend, en travesti, la chanson qu'il interprétait dans les années cinquante et qui est aussi interprétées par Sven Schelker, le jeune acteur qui le joue. Une telle confrontation aurait pu être artificielle, maladroite, voire gênante. Il n'en est rien, au contraire. C'est un beau pont lancé à travers le temps. Ce film permet de mesurer le poids de la répression alors subie par les homosexuels, même lorsqu'aucune loi ne réprimait ni ne punissait l'homosexualité. La simple pression policière faite de descentes de police, d'interrogatoires, de contrôles d'identité suffisait à créer une atmosphère d'insécurité et, pour les plus fragiles, de terreur qui, dans un cas, conduit jusqu'à la mort. Il montre bien la dissimulation et la double-vie que devaient mener ces hommes, avec toutes les nuances depuis Röbi Rapp qui est presque officiellement admis comme homosexuel, y compris par sa mère (jouée par une revenante, Marianne Sägebrecht), jusqu'au proviseur qui mène clandestinement une vie de drague dans les pissotières alors qu'il a une femme et des enfants et une stature sociale. Ernst Ostertag est dans une position intermédiaire. Il se dissimule, ce qui est lui indispensable pour obtenir sa titularisation de professeur et vit dans le non-dit avec ses parents et sa sœur, mais, par ailleurs, il s'assume comme homosexuel aussi bien par sa participation à l'association Le Cercle que dans ses amitiés et ses amours. Il ne s'invente pas une vie honorable.

Röbi Rapp et Ernst Ostertag

Pour faire un lien avec ce message, au début du film, lorsque Ernst Ostertag se rend pour la première fois dans les locaux du Cercle, Rolf lui montre la bibliothèque et lui présente un des livres de photographies de cette série qu'Ernst feuillette. On y distingue rapidement quelques-unes des photos en noir et blanc qui illustrent le volume, en tout point similaires par le style à celles de ce premier volume.

Description de l'ouvrage


Der Mann in der Photographie. I
100 photos 1941-1952
Zürich, Lesezirkel « Der Kreis », 1954, in-8° (225 x 155 mm), [8] p. - 100 planches photographiques en noir et blanc - [4] p.
Couverture entoilée verte de l’éditeur sous jaquette illustrée.


Une citation de Novalis introduit l'ouvrage :
Es gibt nur einen Tempel in der Welt
und das ist der menschliche Körper.
Nichts ist heiliger als diese hohe Gestalt.
Man berührt den Himmel, wenn man
einen Menschenleib berührt.

« Il n’y a qu’un seul temple au monde et c’est le corps humain. Rien n’est plus sacré que cette forme sublime. […] C’est le ciel que l’on touche lorsque l’on touche le corps humain. »
Cette première publication a été suivie de trois autres volumes :
- Der Mann in der Photographie, II, 1942-1954, 1954.
- Der Mann in der Photographie, III, 1955-1958, 1958.
- Der Mann in der Photographie, IV, 1959-1961, 1962.
De ce que j'ai pu voir des exemplaires en vente sur Internet, ils sont tous sur le même modèle, certains étant sous couverture souple comme l'exemplaire qui est montré dans le film (qui n'a pas sa jaquette). 

Si vous souhaitez consulter un de ses livres, il faudra franchir les frontières pour aller à Dresde qui semble être la seule bibliothèque au monde qui possède les quatre (selon Worldcat). Quelques autres bibliothèques en détiennent des exemplaires, mais aucune en France…