lundi 25 octobre 2021

Jean Boullet et Max Jacob, un dessin et une amitié


Ce beau dessin est un double témoignage. C'est d'abord la preuve du talent de Jean Boullet qui préparait son premier ouvrage illustré, Tapis volant, paru en 1945. C'est surtout une belle illustration de l'amitié qui liait le poète Max Jacob (1876-1944) et Jean Boullet. La dédicace est une marque de gratitude du jeune homme à son aîné : 
Très humblement pour Max Jacob qui a pensé à moi le matin de mon premier vernissage. Avec un grand merci. Il sait mon amitié. Jean Boullet
Quarante-cinq ans séparaient les deux hommes. Pourtant, ils semblent avoir été très proches, même s'il n'en existe que fort peu de preuves. Ce dessin de Max Jacob pour Jean Boullet, démontre aussi l'estime qu'il lui portait : 
 
© Galerie "Au bonheur du jour"

Humblement à Jean Boullet une des plus rares sensibilités que j’aie rencontrée - son ami
Max Jacob, 1941
Une lettre de Jean Boullet, à Jean Cocteau, envoyée depuis la prison de la Santé, à une date indéterminée, mais très probablement après la mort de Max Jacob (mars 1944), nous permet de comprendre que ce dernier était suffisamment intime avec Jean Boullet pour connaître et estimer sa mère :
Cher Jean [Cocteau]
Un mot de ma mère me dit que vous avez eu la bonté de la recevoir. C’est une femme assez bonne qui m’adore et que le pauvre MAX avait en grande Estime.

[Cette lettre est reproduite p. 290, de Passion et subversion, de Nicole Canet.]

Enfin, on trouve la mention que le jour de l'arrestation de Max Jacob, le 24 février 1944, un gendarme a prévenu par lettre anonyme le peintre Jean Boullet. Patricia Sustrac, qui rapporte ce fait, ajoute : « On ne connaît aucune action significative de Jean Boullet dans cette affaire. On peut s’étonner également de l’envoi de cette lettre anonyme à une relation de Jacob très éloignée du cercle étroit de ses amis. Il n’a pas été possible de retrouver la famille de ce gendarme qui aurait pu sans aucun doute nous aider à comprendre comment l’adresse de Jean Boullet lui était connue. »

Il semble pourtant que Jean Boullet était plus proche de Max Jacob que le silence des sources peut le laisser penser. Certes, dans sa biographie de référence, Jean Boullet, le Précurseur, Denis Chollet n'en parle pas. Cependant, Michel Déon rappelle dans la préface de ce livre qu'après avoir chroniqué une exposition de dessins de Jean Boullet, à la fin de 1944, celui-ci lui « écrivit pour me remercier et m’inviter chez lui, avenue d’Italie. Il habitait sur cour un appartement avec trois pièces d’enfilade bourrées d’objets baroques, de très belles gravures, de dessins de Jean Cocteau, de Max Jacob. »

En définitive, la plus belle preuve de l'amitié ou de l'estime mutuelle qui liaient les deux hommes est sûrement ce portrait émouvant de Max Jacob à l'étoile jaune, qui est aujourd'hui conservé au musée de Quimper :

Jean Boullet (1921-1970) - Portrait de Max Jacob à l’étoile jaune, 1943
Encre de Chine sur papier, 30 x20 cm - Musée des beaux-arts de Quimper
© Musée des beaux-arts de Quimper

Pour revenir au dessin qui nous occupe, c'est une des esquisses du travail préparatoire au recueil Tapis volant. Publié en 1945, avec l'aide de Jean Cocteau, et composé de 33 dessins - celui-ci n'a pas été repris -, cet ensemble représente un hommage à la beauté adolescente. A ce titre, il est un peu à part dans la production de Jean Boullet qui, par la suite, préférera dessiner des garçons sensiblement plus musclés et virils et, partant de là, légèrement plus âgés. Ce dessin, comme ceux du recueil, n'avait pas encore ce trait précis et très marqué qui le caractérisera par la suite. Le choix du crayon donne plus de flou et plus d'aérien aux dessins. Et, de mon point de vue, plus de sensualité.
 
 
Une sélection de huit planches de l'ouvrage :








 
Lien vers un message de ce blog à propos de Tapis volant.

L'acte de naissance de Jean Boullet

En préparant ce billet, je me suis étonné de ne pas trouver le lieu et la date de naissance de Jean Boullet, hormis cette unique mention répétée partout qu'il serait né à Paris en 1921. Une rapide recherche m'a permis de trouver son acte de naissance dans les archives en ligne de Neuilly-sur-Seine. Il a donc vu le jour le 12 décembre 1921, au n° 37, boulevard du Château. Ses parents habitaient alors au n° 12, rue Angélique Vérien, dans un immeuble cossu comme il y en a tant dans cette ville.

Source : Archives départementales des Hauts-de-Seine

La mention marginale nous informe aussi que la date officielle de son décès est le 2 novembre 1970 à Annaba, en Algérie (l'ancienne Bône). Là-aussi, on trouve souvent la mention d'un décès à Tébessa, en décembre 1970.
 
On va bientôt commémorer les 100 ans de la naissance de Jean Boullet. Je vous rappelle l'exposition en cours à la galerie Au Bonheur du Jour et ce beau livre, paru en 2013 : Passion et Subversion
 

 

3 commentaires:

Jean-Claude Féray a dit…

Excellente enquête sur les relations Jean Boullet-Max Jacob ainsi que sur Jean Boullet lui-même. Vous corrigez l’information donnée par Roger Peyrefitte selon laquelle Jean Boullet serait mort assassiné au Maroc (Propos secrets 2, p. 308) en apportant la preuve que le lieu de décès est l’Algérie et non le Maroc.

Bibliothèque Gay a dit…

Merci. Je pense qu'il y a peut-être des lettres publiées dans la correspondance de Max Jacob, mais je n'ai que le premier tome qui s'arrête en 1933.

Silvano a dit…

Cher Jean-Claude, les propos secrets de la commère Peyrefitte, n'est-ce-pas...
J. Marc : ce billet me donne de précieuses indications dont je tirerai profit dans l'élaboration de mon nouvel opus, lequel couvre cette période.
Il faudrait en discuter "en réel", non ?