mercredi 12 septembre 2018

Le bel âge, André du Dognon, 1958

André du Dognon est un écrivain mineur de la culture homosexuelle, mais il est la preuve que l'on pouvait écrire et publier des textes sur l'amour des hommes dans les années 1950. Paru en 1958, ce livre ferme la trilogie des Amours buissonnières, dont le premier ouvrage a paru en 1948. La lecture du Bel Age - je ne connais pas les deux autres ouvrages - m'a convaincu qu'André du Dognon ne risquait pas de choquer les bonnes âmes de l'époque tant pas sa prudence dans la description des sentiments amoureux, que par son évocation très allusive des scènes d'amour physique. Quant à une réflexion sur la dimension morale, voire politique, de l’homosexualité, ce n'était guère le moment. C'était probablement le prix à payer pour être édité et ne pas être interdit. Tout le monde ne peut pas être Eric Jourdan.

Cet ouvrage a été publié par les Éditions du Scorpion, fondées par Jean d'Halluin, une maison d'édition innovante et favorable aux jeunes talents. Rappelons que leur coup d'éclat a été la publication du premier livre de Boris Vian, sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, J'irai craché sur vos tombes.


Le dessin de couverture est signé par Jean Boullet. L'éditeur avait déjà fait appel à lui pour illustrer le livre de Boris Vian. André du Dognon le connaissait sûrement et l'avait croisé à Arcadie. Jean Boullet nous donne ici une de ses images presque archétypales de la beauté masculine comme il les affectionnait. 

Pour vous faire découvrir cet auteur, j'ai choisi ces deux extraits, qui nous donnent une idée de son style. On voit aussi les limites que l'auteur s'est imposé pour rester dans les bornes de la décence et peut-être du bon ton.
Cette phrase : « les canards sont toujours là » avait pour moi une signification particulière. Jimmy me l'avait dictée en me disant qu'elle avait un sens caché. Elle voulait dire: « Tu peux venir à Chanage, il y a un garçon pour toi! ». Cette révélation m'avait empli le coeur d'une douce émotion en même temps que d'une certaine crainte car Jimmy avait ajouté que Ralph Tenceville exigeait ce que j'appelais alors le sacrifice supérieur, le don suprême auquel je ne m'habituai que par la suite et que ce sacrifice, étant donné que la nature n'avait pas été ladre avec lui, n'était pas sans inconvénients. J'en étais malade rien que d'y penser, un peu comme une jeune vierge qui est attirée par la virilité autant qu'elle la redoute.


Quand je reçois mes visites, Nouar passe et repasse selon les besoins de son service et me jette des regards furtifs. Le sous-officier de qui il faisait la chambre avec beaucoup de soin fermait les yeux quand il parvenait à m'y attirer. De silencieuses caresses me liaient à ce grand corps brun qui, un jour, rentra malade alors qu'il était allé au bordel. D'abord, il avait paru m'éviter pour simuler une simple fâcherie et il avait réussi à piquer ma curiosité, puis je fus instruit de son état par un autre infirmier et quand je montrai à Nouar que je savais le secret de sa froideur, il rougit sous son hâle, ne sut plus où se cacher et, de loin, surveillait les allées et venues des autres infirmiers quand ils m'appelaient.
Comme je me sens bien quand j'ai trouvé ma place dans le plaisir d'un plus fort ! Comme je me sens, alors, en règle avec l'humanité !
« Vous aimez le péché... », m'écrivait mon confesseur dans sa dernière lettre, et maman, à
qui je l'avais donnée à lire, soulignait cette phrase à mi-voix. J'aime si peu le péché que je ne fais l'amour qu'avec des gens qui ne pensent pas.
C'est un auteur aujourd'hui bien oublié, coincé, si j'ose dire, entre les grandes figures contemporaines, comme Gide ou Genet, et la nouvelle génération des années 1970. Je reproduit la notice de Didier Eribon dans le Dictionnaire des cultures Gays et Lesbiennes, qui est, à ma connaissance, la seule synthèse existante sur sa vie. On trouve des informations similaires dans le livre de Julian Jackson sur l'histoire d'Arcadie.
Du Dognon André
André Du Dognon de Pomerait
Écrivain français (Nancy, 1910 - Paris, 1986)
Figure, avec son ami Jacques de Ricaumont, du Paris gay mondain des années 1950 et 1960, André Du Dognon fait partie, avec lui, du groupe qui soutient en 1954 la fondation d'Arcadie par André Baudry (il signe un article dans le premier numéro de la revue). Publié en 1948, son roman les Amours buissonnières peint la vie gay des années 1930 à Montmartre et le mélange des classes qui s'y opérait. Le personnage principal, aristocrate de vingt-quatre ans, efféminé et maquillé, vit une relation amoureuse avec un ancien marin qui se prostitue après avoir fait de la prison pour insubordination. À la fin de l'ouvrage, la jeune « beauté d'azur» (terme employé ici pour désigner les homosexuels masculins) tente de se suicider, car son amant, qui est «normal», est attiré par une femme. Le jeune homme survit pourtant et on le retrouve dans le Monde inversé (1949), qui décrit cette fois les milieux gays privilégiés sous l'Occupation, où l'envie de coucher avec des soldats allemands l'emportait largement sur les sentiments patriotiques. Un troisième volet, le Bel Âge, clôt, en 1958, la série des Amours buissonnières. En 1950, Du Dognon fait publier et préface le récit de Philippe Monceau le Dernier Sabbat de Maurice Sachs, dont la fin, sur la mort de Sachs, sera contestée par d'autres témoignages. Il est également l'auteur de Peyrefitte démaquillé (1976), biographie plutôt acerbe de l'auteur des Amitiés particulières, dans laquelle on trouve de nombreux renseignements sur l'histoire gay du XXe siècle.
Malgré mes recherches sur Internet ou dans ma documentation, je n'ai pas trouvé de photo d'Anré du Dognon. Je reproduis donc l'image de fort mauvaise qualité qui est en 4e de couverture :


Jacques Ars se montre beaucoup plus enthousiaste que moi, mais c'est à propos d'un livre d'André du Dognon que je ne connais pas, L'Homme-orchestre. Je vous renvoie vers sa bibliographie : cliquez-ici.

6 commentaires:

Jean-Claude Féray a dit…

Il n’est pas inintéressant, pour la biographie d’André du Dognon, de savoir qu’il était né André Lucien Bossler (fils d’un employé de commerce nommé Arthur Camille Bossler) et que son nouveau nom lui a été officiellement accordé en 1944 en raison de son adoption par Jean-Marie-Paul Vidaud du Dognon de Pomerait. Bien avant l’acte officiel, il avait commencé à utiliser son futur nom d’André du Dognon (alors pseudonyme) pour ses publications.

Jean-Claude Féray a dit…

J’ajoute qu’une photo récente d’André du Dognon figure en couverture de sa biographie de Peyrefitte publiée en 1976 chez Jean-Pierre Ollivier. On y voit Peyrefitte assis en costume de diplomate et du Dognon en maquilleuse (?), debout, un coton à la main qu’il pose sur le visage de Peyrefitte. Dans l’autre main il tient un flacon qui porte l’étiquette « acide ». Titre du livre : Peyrefitte démaquillé.

Bibliothèque Gay a dit…

Merci pour ces précisions. J'avais lu la mention de cette adoption dans le livre de Julian Jackson, mais n'ayant pu la vérifier, je n'ai pas souhaité y faire référence. Avec les informations précises que vous me donnez, les faits sont bien établis. Quant au livre sur Peyrefitte, je le chercherai à l'occasion, plus par curiosité.

Jean-Claude Féray a dit…

André du Dognon parle abondamment de lui-même, comme en contrepoint, dans son Peyrefitte démaquillé, qui est une attaque feutrée contre l’auteur des Amitiés particulières.

À noter aussi que Julian Jackson comme Didier Éribon ne donnent pas la date correcte de naissance d’André du Dognon : André Lucien Bossler est né à Nancy en 1909 et non en 1910, et cette erreur est répétée par plusieurs sources.

Bibliothèque Gay a dit…

Merci pour ces compléments. J'ai trouvé mention de sa naissance à Nancy le 24 janvier 1909. J'ai aussi trouvé mention d'un accident de vélo en 1929. Il habitait alors avec ses parents à Fillières, en Meurthe et Moselle. Est-ce lui qui collabore à La Revue du Siècle en 1927, sous le nom d'André Bossler-Borghèse ? Qui a donné des nouvelles au Pays lorrain, en 1927 sous le même nom ?

Jean-Claude Féray a dit…

Vous avez sans doute fait une trouvaille avec le nom d’André Bossler-Borghèse, qui a effectivement collaboré par deux nouvelles confiées au Pays Lorrain en 1927 comme vous le signalez, et qui est mentionné comme habitant à Fillières. Ce nom figure comme abonné à cette revue jusqu’en 1931.

J’aurai l’occasion de dire le peu que je sais sur André du Dognon dans le Bulletin trimestriel Quintes-feuilles de novembre par un article analysant sa dispute avec Roger Peyrefitte. J’espère retrouver d’ici là dans mes archives la copie de l’acte de naissance d’André Lucien Bossler que je m’étais procurée il y a bien longtemps.