Je vais parler longuement de mon corps.
Le matin d'un des derniers jours (nous étions au milieu d'avril) j'osai plus. Dans une anfractuosité des rochers dont je parle, une source claire coulait. Elle retombait ici même en cascade, assez peu abondante, il est vrai, mais elle avait creusé sous la cascade un bassin plus profond où l’eau très pure s’attardait. Par trois fois j'y étais venu, m'étais penché, m'étais étendu sur la berge, plein de soif et plein de désirs; j'avais contemplé longuement le fond de roc poli, où l'on ne découvrait pas une salissure, pas une herbe, où le soleil, en vibrant et en se diaprant, pénétrait. Ce quatrième jour, j'avançai, résolu d'avance, jusqu'à l'eau plus claire que jamais, et, sans plus réfléchir, m'y plongeai d’un coup tout entier. Vite transi, je quittai l’eau, m'étendis sur l'herbe, au soleil. Là, des menthes croissaient, odorantes ; j'en cueillis, j'en froissai les feuilles, j'en frottai tout mon corps humide mais brûlant. Je me regardai longuement, sans plus de honte aucune, avec joie. Je me trouvais, non pas robuste encore, mais pouvant l'être, harmonieux, sensuel, presque beau.
4 commentaires:
Bel extrait d'un des livres les plus lus (et des plus datés) d'un écrivain qui eut une très grande influence sur la jeunesse de son temps. Il semble que Gide ait fasciné plus par sa personne que par son œuvre. On attendît longtemps et en vain le "grand livre" qui devait marquer son immortalité. Lui-même attendit longtemps le Nobel que Roger Martin du Gard avait reçu 10 ans avant lui. La publication récente du journal intégral de Green (jusqu’en 1940), témoigne à la fois de la stature de l’intellectuel mais aussi des petits côtés d’un bourgeois bourré de contradictions et d’insatisfactions que nous avons peine à apprécier avec nos critères actuels. Il demeure que sur le plan politique, il fut un des premiers à revenir sur son engouement pour le régime soviétique.
C'est un livre que j'ai lu, relu, et relirai. Comme "Si le grain ne meurt", il est toujours à portée de main dans ma chambre.
Ludovic, vous paraît-il possible que plusieurs "excellents" (et un peu plus, tout de même) livres reliés l'un à l'autre deviennent le "grand livre" ?
Si les éditions en photo sont les vôtres, cher voisin blogueur, je suis vert de jalousie, moi qui ne possède que des "poches".
Cher Silvano, c'est certainement ce que le jury Nobel a pensé en couronnant l'ensemble de son œuvre. L'apport de Gide a certainement été considérable pour faire évoluer les mentalités au passage du 19eme au 20ème siècle. Mais nombre de ses contemporains ont attendu un apport aussi important à la littérature sous forme d'un livre vraiment décisif sur l'évolution irréversible à la fois de la société et de la forme littéraire. N'oublions pas que Gide à refusé Proust à la NRF. ça me parait très symptomatique du fait qu'il manquait du caractère visionnaire qu'on attend d'un grand écrivain comme ceux qui allaient prendre la relève,je pense à Malraux et surtout à Camus.
Merci pour cet échange en l'honneur de Gide. Je ne sais pas ce qu'est le "grand" livre attendu de Gide. Ce que je sais est que j'ai toujours du plaisir à lire, même datés, Si le Grain ne meurt, l'Immoraliste et les Nourritures terrestres.
Les photos sont bien celles d'un exemplaire de l'édition originale qui a rejoint ma bibliothèque il y a quelques mois. J'aime avoir entre les mains ces reliures magnifiques. Le toucher du maroquin qui recouvre cet exemplaire est, en soi, un plaisir sensuel. A cela s'ajoute le toucher du papier, ces papiers qui n'ont malheureusement plus rien à voir avec nos papiers actuels. A l'heure de relire l'ouvrage, je préfère malgré tout prendre mon édition de poche, d'autant que je lis beaucoup dans les transports en commun.
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