La réédition récente de la série
des Fredi par GayKitschCamp, ainsi que l'acquisition presque
simultanée de l'édition originale et de quelques orignaux des
illustrations, m'ont amené à lire ces 3 volumes qui racontent
l'éveil à l'amour et à la sexualité, puis la vie sentimentale et
sexuelle du jeune Fredi.
Probablement par esprit d'équilibre, le 4e
de couverture de la réédition rapporte les avis contrastés de
l'indispensable catalogue Archives gaies de Jacques Desse : « Le style est abominable, les dessins
croquignolesques, sans parler de l'idéologie. Bref, un monument de
kitsch assez singulier pour l'époque » et de l'annonce de l'éditeur
lui-même :« Un roman d'apprentissage assez
troublant, miroir au masculin de la série à succès des Claudine de
Colette Willy. On y retrouve les thèmes vivifiants et modernes de
l'insatisfaction et du triolisme. »
Pour acheter la réédition, cliquez-ici.
Cet ouvrage ne me semble mériter ni
tant de sévérité, ni tant d'éloges. Il ne faut pas croire qu'il
puisse éveiller le « voyeurisme » du lecteur en quête
de curiosités sexuelles. Certes, triolisme il y a, mais toute la
sexualité est traitée sur un mode allusif, probablement pour passer
en dessous des radars de la justice et de son terrible « délit
d'outrage aux bonnes mœurs ».
Quant à la présentation du livre, je reprends
le 3e texte du 4e de couverture qui est un bon
résumé du contenu (Catalogue de la Librairie Artistique,
1935) :
La série des Fredi en trois volumes est une étude sincère et consciencieuse de l'inversion sexuelle. Dans Fredi à l'école, c'est le début de l'inversion, sa marche lente et indécise, l'état particulier du jeune inverti, sa mentalité complexe, puis la manifestation des premiers rapprochements ; Fredi s'amuse. Fredi est sorti de l'école ; il est étudiant, il vit libre. Les femmes le recherchent, mais il sort de leurs mains absolument désenchanté et retourne à sa satisfaction réelle ; Fredi en ménage. Dans ce tome dernier, c'est le complet épanouissement de l'inversion. Fredi rêve de se créer un foyer, de posséder un ménage, mais, bien entendu, hors la loi naturelle.
Certains aspects de cet ouvrage me
semblent avoir encore une certaine actualité à notre époque. Il est
probablement de toutes les époques que l'homosexualité oblige à
une découverte de soi, de ses sentiments, de son corps, qui est, par
nature, un cheminement particulier et radicalement différent de
celui de l’hétérosexualité. Certes, les conditions actuelles,
voire celles des années où j'ai moi-même parcouru ce chemin, sont
différentes de celles qui forment le cadre de l'ouvrage Fredi. En
revanche, le livre, dans son premier volume, rapporte bien cette
période d'indécision sur son orientation sexuelle, qui était
probablement plus longue alors pour au moins deux raisons. La
première est qu'il existait une sorte d’homosexualité passagère
de collège, qui permettait un premier éveil sexuel dans ces univers
uniquement masculins. Ce sont les relations que Fredi vit avec
Bertrand, Vernelle, Arcine, etc. Ces relations de collégiens
pouvaient masquer aux yeux d’un jeune homme sa tendance profonde,
en laissant penser que cette attirance et ses amours de collèges
étaient, pour ainsi dire, « normales », car appartenant
au parcours d’un adolescent de l'époque. La deuxième différence
est que le monde dans lequel vivait Fredi ne faisait pas de
l'interrogation et de la connaissance de soi-même une obligation
comme nous le vivons. L'injonction du « sois toi-même »
ne semble pas avoir encore atteint le jeune Fredi et le message
libérateur des « Nourritures terrestres » n'avait pas
encore franchi les portes des collèges ni des familles
petites-bourgeoises de province. En revanche, ce que l'attirance
sentimentales et sexuelle pour ses jeunes camarades peut amener de
désillusions et de souffrances me semble bien décrit.
Dans la découverte de sa sexualité,
il y a aussi, me semble-t-il, quelque chose qui traverse les époques.
Car, au-delà de se découvrir homosexuel, encore faut-il trouver les
formes sexuelles qui sont celles qui nous permettent d'arriver à une
forme de plénitude personnelles. Entre les premières expériences
sexuelles de l'élève Fredi et la forme de satisfaction sexuelle à
laquelle il parvient à la fin du 2e volume, il y a un
cheminement qui, là aussi, était probablement plus long
qu'aujourd'hui, mais qui reste vrai. Si on me permet d'utiliser cet
anachronisme, le 2e volume décrit une démarche de
développement personnel qui permet à Fredi d’arriver jusqu'à
arriver au « complet épanouissement ». Dans son cas,
cela passe par une période « féminine » qui lui permet
de prendre définitivement conscience que les femmes ne l’attirent
pas.
Le 3e volume décrit comment
Fredi se construit un monde à lui, qui lui permet d'atteindre une
forme d'équilibre personnel. Ce « ménage » dont parle le titre,
est formé de 3 personnes (d’où l’allusion au triolisme). La
personne centrale est évidemment Fredi. La deuxième est l'ami de cœur,
Xavier, qui l'a accompagné dans sa découverte de l'homosexualité
lors de son arrivée à Paris, ce qui est raconté dans le 2e
volume. J'ai d'ailleurs trouvé touchant cette fidélité à l'ami
plus âgé, avec lequel il ne peut pas atteindre une vie
homosexuelle harmonieuse, puisqu'ils sont tous les deux à la
recherche de partenaires actifs. Malgré cela, Xavier représente
comme un point d'appui et un soutien dans ce récit de vie. Le 3e
compère du ménage est un certain Stéphane, qui représente plutôt
l'autre dimension de cet épanouissement, celui de ses goûts
sexuels, passifs comme nous l'avons dit. Il fait suite à de nombreux
amants, qui lui ont peu à peu permis de s’épanouir.
A la toute fin du 3e volume,
Fredi accueille aussi sa mère dans ce foyer d'hommes. Le rapport au
père et à la mère traverse tout le livre. L'image du père, certes
caricaturale, est l'archétype d'un mélange de virilité
conventionnelle et de médiocrité personnelle qui ne permet guère
au jeune adolescent de se construire, si ce n'est en opposition
vis-à-vis du père. D'ailleurs, il sort peu à peu du paysage,
d'abord en devenant absent et alcoolique, puis en mourant. Fredi peut
alors retrouver sa mère, pour laquelle il a toujours eu des
sentiments d'attachement filial. Je ne parle pas d'amour filiale car
on n'est pas dans l'adoration aveugle d'un Marcel Proust pour sa
mère. Lorsque la mère de Fredi découvre que son fils homosexuel,
elle en conclut : « C’est mieux ainsi, come cela, il ne
se mariera pas et me restera ».
Cela me rappelle cette phrase de
Céline, à propos de Gide, qui dit les choses plus crûment :
« Gide a aussi droit à toute la reconnaissance des jeunes
bourgeois ou ouvriers que l'anus tracasse. ”Oh ! tu vois maman,
Gide notre plus grand écrivain français trouve que se faire enculer
est, parfaitement légitime, louable, artistique, convenable...”
”Très bien mon fils, je t'en bénis”, répond la mère, qui au
fond ne demande pas mieux. Tous les homosexuels sont d'admirables
fils. »
En revanche, d’autres aspects du
livre datent beaucoup. D’abord, une idée parcourt tout le premier
volume. L'homosexualité n'est que la conséquence d'une éducation
imparfaite dans les premières années de l'adolescence, ce qui est
annoncé dans la préface du premier volume. Cette idée est
plusieurs fois reprise, avant d'être totalement abandonnée dans les
2 volumes suivants. Peut-être était-ce la caution morale
indispensable pour rendre l'ouvrage acceptable. On peut d'ailleurs
relever certaines contradictions entre cette idée d'une
homosexualité que l'on peut soigner ou éviter et une représentation
de l’homosexualité comme un comportement presque normale ou
naturelle dans les 2 volumes suivants.
L'autre aspect qui a lui-aussi beaucoup
vieilli est l'idée que l'homosexualité amènent les homosexuels à
se situer par rapport à des comportements très stéréotypés entre
les hommes et les femmes. L'homosexuel actif, le Louis ou le Bertrand
de l'histoire (2e volume), se doit d'être viril,
dominant, voire violent. En revanche, l'homosexuel passif comme Fredi
se conforme à des comportements considérés comme féminin :
la soumission, le besoin de soumission, voire l'hystérie. Fredi
n’hésite pas à se rouler par terre dans des crises qui sont aussi
des appels à une sévère correction de la part de « son
homme ». On retrouve les clichés sur la coquetterie et la
« mollesse » de l’homosexuel passif. A la décharge de
l'auteur, rappelons que Proust a parlé de l'homosexuel comme un
« homme-femme » :
« Je suis une femme », pourtant en lui, avec quelles ruses, quelle agilité, quelle obstination de plante grimpante, la femme inconsciente et visible cherche-t-elle l’organe masculin. On n’a qu’à regarder cette chevelure bouclée sur l’oreiller blanc pour comprendre que le soir, si ce jeune homme glisse hors des doigts de ses parents, malgré eux, malgré lui ce ne sera pas pour aller retrouver des femmes. Sa maîtresse peut le châtier, l’enfermer, le lendemain l’homme-femme aura trouvé le moyen de s’attacher à un homme, comme le volubilis jette ses vrilles là où se trouve une pioche ou un râteau. Pourquoi, admirant dans le visage de cet homme des délicatesses qui nous touchent, une grâce, un naturel dans l’amabilité comme les hommes n’en ont point, serions-nous désolés d’apprendre que ce jeune homme recherche les boxeurs ?
Certes, cela est plus puissamment
tourné que le style un peu plat et terne de Fredi, mais les idées
ne sont pas loin d'être les mêmes. Dans le même ordre d'idée,
dans les années 1920, Magnus Hirschfeld théorisait le concept de
« troisième sexe », intermédiaire entre les deux genres
bien marqués d'homme et de femme.
A la lecture de
ce compte-rendu, certains pourraient penser que je fais preuve d'un
enthousiasme exagéré pour ce livre qui, objectivement, reste une
œuvre mineure. À cela je répondrais d'abord que c'est un
témoignage intéressant et bienveillant sur les homosexuels dans ces
années-là. Avec du recul, il n’y en a pas tant que cela. Quitter
les grands auteurs de l’homosexualité de l'entre-deux-guerres –
Gide, Proust, Cocteau – et prendre les chemins de traverse de la
littérature « populaire » permet de percevoir plus
directement la vision que l'on pouvait en avoir alors. Enfin, ayant
parfois l'occasion de lire de la littérature homosexuelle
contemporains, je ne suis pas sûr que l'on atteint aujourd'hui un
niveau bien supérieur. Le cheminement : premiers émois,
découverte de l'homosexualité, premières amours et, parfois, vie
sentimentale et sexuelle épanouie se retrouve encore, presque
invariant, seuls le contexte et les représentations de
l'homosexualité changent.
Les illustrations
Chacun des 3 volumes est illustré de gravures dans le texte, fort médiocrement imprimées, et d'eaux fortes sur feuillet libre. Cela explique sûrement qu'il soit difficile de trouver les volumes complets de ces eaux fortes. Quelques unes des eaux fortes :
Les illustrations sont de Gaston Smit. Seules les illustrations de couvertures sont signées, soit G. Smit, pour les deux premiers volumes, soit G. S pour le 3e. J'ai eu la chance de trouver les dessines originaux, à l'encre noire, des 11 illustrations du 2e volume. Le dessin original de la couverture est reproduit en début de message. Les 10 autres dessins sont d'un format supérieur à la reproduction qui en est donnée dans les ouvrages :
Les illustrations sont de Gaston Smit. Seules les illustrations de couvertures sont signées, soit G. Smit, pour les deux premiers volumes, soit G. S pour le 3e. J'ai eu la chance de trouver les dessines originaux, à l'encre noire, des 11 illustrations du 2e volume. Le dessin original de la couverture est reproduit en début de message. Les 10 autres dessins sont d'un format supérieur à la reproduction qui en est donnée dans les ouvrages :
Description des ouvrages
Fredi à l'Ecole. Le roman d'un inverti.
Paris, Librairie artistique, F. Brenet, éditeur, 1929, in-8° (203 x 130 mm), 215-[1] pp., couverture en 2 couleurs illustrée d'une gravure, 9 gravures en pleine page dans le texte, 4 eaux-fortes hors texte.
Fredi s'amuse.
Paris, Librairie artistique, P. Brenet, éditeur, 1929, in-8° (203 x 130 mm), 215-[1] pp., couverture en 2 couleurs illustrée d'une gravure, 10 gravures en pleine page dans le texte, 4 eaux-fortes hors texte.
Fredi en ménage.
Paris, Librairie artistique, P. Brenet, éditeur, 1930, in-8° (203 x 130 mm), 207-[1] pp., couverture en 2 couleurs illustrée d'une gravure, 9 gravures en pleine page dans le texte, 4 eaux-fortes hors texte.
La collection complète est rare. En France, seule la Bibliothèque nationale possède les 3 volumes. La bibliothèque de l'Arsenal n'a que les 1er et 3e volumes, quand le fonds Chomarat de la Bibliothèque municipale de Lyon ne contient que le 2e volume. C'est tout pour l'ensemble des bibliothèques publiques en France (source :CCFr).
Sur Gaston Smit, ce lien sur le site
bibliocuriosa donne un aperçu de son abondante production, très
largement consacrée à la flagellation et au sado-masochisme :
http://bibliocuriosa.com/index.php/Smit,_Gaston
On constatera qu'il n'a pas hésité
dans les Fredi à se laisser aller à son penchant – personnel ?
– pour la flagellation . Malheureusement on n'en sait pas plus sur
lui.
De même, ce site donne la production
de Max des Vignons, où l'homosexualité semble tout de même une
exception : http://bibliocuriosa.com/index.php/Vignons,_Max_des
Enfin, sur l'éditeur : http://bibliocuriosa.com/index.php/Librairie_Artistique. Fredi semble sa seule incursion dans la
littérature homosexuelle.
J'ai acheté les 11 illustrations originales en 2 lots distincts. Le premier auprès du libraire qui m'a aussi vendu les 3 volumes. Il y avait 8 illustrations originales, complétée de deux illustrations qui ne provenaient pas de cette série. J'ai trouvé les 3 autres illustrations qui m'ont permis de compléter la série à la galerie "Au bonheur du Jour".
Pour conclure ce message, je trouve qu'il y a une "correspondance" entre ce dessin, représentant Fredi et Xavier :
et cette photographie de ma collection :
J'ai acheté les 11 illustrations originales en 2 lots distincts. Le premier auprès du libraire qui m'a aussi vendu les 3 volumes. Il y avait 8 illustrations originales, complétée de deux illustrations qui ne provenaient pas de cette série. J'ai trouvé les 3 autres illustrations qui m'ont permis de compléter la série à la galerie "Au bonheur du Jour".
Pour conclure ce message, je trouve qu'il y a une "correspondance" entre ce dessin, représentant Fredi et Xavier :
et cette photographie de ma collection :
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