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mercredi 19 juillet 2017

François Augiéras et Jacques de Ricaumont



Cet envoi de François  Augiéras à Jacques de Ricaumont sur une page de garde de L'Apprenti sorcier est l'occasion d'évoquer la personnalité de Jacques de Ricaumont et ses liens avec François Augiéras.

Jacques de Ricaumont (1913-1996) est aujourd'hui resté célèbre pour le salon qu'il animait chez lui, boulevard Saint-Germain. On y croisait aussi bien des aristocrates, des mondains, qu'un certain monde homosexuel. Frédéric Mitterand a évoqué ce monde disparu dans Mes regrets sont des remords :
Jacques de Ricaumont, Nosferatu le vampire ratatiné en vieille demoiselle attendant le gorille, recevait fort gentiment un extraordinaire assortiment de duchesses naufragées, de baroudeurs sur le retour, de curés intégristes efféminés et de jolis jeunes gens le nez en l'air flairant comme moi le parfum du grand monde là où il n'y avait plus que de la poussière. Devant un maigre buffet où quelques petits-fours se battaient en duel, on y lisait avec transport d'anciens numéros d'Arcadie, touchante tentative préhistorique de revue plus ou moins littéraire à l'usage des messieurs de qualité qui se reconnaissaient les uns les autres comme des conjurés, avec des articles sagement risqués que l'on attribuait sous pseudonyme à Montherlant ou Julien Green, des digressions lyriques sur la camaraderie militaire, des études savantes plutôt orientées sur la Grèce antique et des récits de voyages sahariens évoquant les ardentes surprises des oasis. On y réveillait aussi les heureux souvenirs des internats religieux où quelques hommes désormais rangés, mariés et célèbres n'avaient pas lésiné dans le passé sur les émois amoureux juvéniles entre condisciples. Tout cela était assez charmant, désuet, implacablement menacé par les temps nouveaux qui défilaient déjà en bas sous les fenêtres du faubourg Saint-Germain.

Photo de François-Xavier Seren, janvier 1988

Il a été un des fondateurs d'Arcadie avec André Baudry, qui l'avait rencontré par l'entremise d'André du Dognon. Julian Jackson, dans son ouvrage sur le mouvement Arcadie, évoque le Jacques de Ricaumont d'avant cette période :

Né dans la petite noblesse du Sud-Ouest, Ricaumont arrive à Paris au début des années 1930, où il rencontre du Dognon. Un portrait signé Nicolas de Staël et intitulé Mademoiselle de Ricaumont montre une créature efféminée, soigneusement maquillée, les sourcils épilés, faisant la moue. Du Dognon et Ricaumont auront quelques aventures avec des soldats allemands pendant la guerre, aventures dont on trouve le récit dans le second roman publié par du Dognon, Le Monde inversé (1949). Les Allemands lui manquant après 1945, Ricaumont se fait nommer correspondant de presse à Berlin, où il se retrouve au centre d'un petit scandale quand un journal français révèle sa liaison avec un descendant de Bismarck. Malgré son goût pour la provocation – il aime à raconter qu'à un officier allemand sous l'Occupation le décrivant comme un « excellent ami » des Allemands, il aurait répondu « seulement des jeunes Allemands » –, Ricaumont s'essaie à davantage de respectabilité après 1945. Il n'apprécie pas du tout de figurer – sous le nom de Phili – comme personnage principal dans le premier roman scandaleux d'André du Dognon, qui révèle son vrai nom dans la dédicace, lui donnant le titre de Grand Maître de l'Ordre. Il envisage même des poursuites contre l'auteur, et la dédicace est retirée dans les éditions suivantes. Ses passions sont l'aristocratie, l'Église et la défense de l'«amour grec». Il aime à fréquenter les nobles, vrais ou faux. Un membre d'Arcadie se souvient avoir participé à un dîner chez Ricaumont, assis entre le prince Jean de Bourbon-Sicile et le prince Ernst-Friedrich de Saxe-Altenberg. Bien que son talent réside davantage dans sa conversation que dans ses écrits, Ricaumont se taille une réputation comme journaliste et imprésario littéraire dans le Paris d'après guerre, grâce à ses innombrables relations. Ses carnets de rendez-vous de 1952 à 1954 révèlent un éventail de contacts extrêmement large : le prince Youssoupoff, Arletty, Jean Paulhan, Julien Green, Brecht, Ernst Jünger et Jean Giono, par exemple. Quel autre que lui aurait pu, au cours des années 1960, présenter le jeune Rudolf Noureev au sculpteur vieillissant et ancien sympathisant nazi Arno Breker ? Avec le temps, Ricaumont penche de plus en plus vers la droite extrême et, vers la fin de sa vie, attaque passionnément les réformes de l'Église catholique introduites par le concile Vatican II.
[J'ai repris ce passage de Julian Jackson, à défaut de disposer d'informations plus complètes sur la vie de Jacques de Ricaumont. Je crains que ce résumé de sa vie soit un peu caricatural, charriant quelques lieux communs sur les liens entre l'homosexualité de "droite" et les Allemands pendant la guerre. Et encore, je vous ai épargné le passage sur le Front national, devenu inévitable lorsqu'on parle de Jacques de Ricaumont (voir la fort sommaire notice Wikipédia). Si tant est que quelqu’un veuille bien s'intéresser encore à lui, il mériterait une biographie. J'ai lu quelque part que Ghislain de Diesbach voulait s'y atteler, mais je n'en ai pas trouvé trace.]

Jacques de Ricaumont en 1936

Comment François Augiéras et Jacques de Ricaumont se sont-ils rencontrés ? Je n'ai pas trouvé d'informations à ce sujet. Dans son salon accueillant aux personnalités homosexuelles et littéraires dans les années 1960, Jacques de Ricaumont ouvrait sa porte à tous les écrivains qui se présentaient. Malgré les apparences, l'univers de François Augiéras n'était pas aussi éloigné que l'on peut le penser de celui de Jacques de Ricaumont. C'est ainsi que Pierre-Charles Nivière, dont les souvenirs sur Augiéras sont encore inédits, a rencontré François Augiéras dans ce salon. Les relations antres les deux hommes étaient suffisamment familières pour qu'ils échangent une correspondance. qui a été vendue en juin 1996, après le décès de Ricaumont. On comptait une cinquantaine de lettres de François Augiéras, dont seulement des extraits ont été publiés dans divers ouvrages. Signalons en particulier le lettre d'Augiéras sur sa visite au couple Jouhandeau.

Dans cet envoi, François Augiéras semble se défendre de l'accusation d'avoir fait un livre irréligieux. Est-ce par respect pour le très catholique Ricaumont ? Est-ce un réponse à un reproche de Ricaumont ? Bien qu'il l'affirme, je ne crois pas d'ailleurs que L'Apprenti sorcier soit une "attaque" contre "les mauvais prêtres". C'est, me semble-t-il, bien plus que cela, mais j'en ai déjà parlé sur ce site : l'Apprenti sorcier.

Jacques de Ricaumont a donné un portait de François Augiéras dans le 2e cahier de « Le temps qu'il fait », qui lui était consacré. Il ne donne aucune information sur leurs liens et leur rencontre.


vendredi 23 décembre 2016

Les petites joies du collectionneur de livres

L'amour des livres n'est pas exempt de fétichisme. C'est ainsi que j'ai acheté récemment un exemplaire de la première édition de Le Vieillard et l'Enfant de François Augiéras, publié en 1950 avec deux petites choses qui lui donnent tout son prix. La première est que la bande d'éditeur a été conservée. Vous connaissez tous ces bandes rouges (ce ne sont plus des bandes à proprement parler car elle ne sont plus fermées) que les éditeurs ajoutent aux livres comme publicités. Nombreux sont ceux qui s'empressent de les retirer et de les jeter. En pourtant, quelle satisfaction de trouver un exemplaire qui contient encore sa bande, comme celle qui entourait ce livre d'Augiéras!


Comme argument de vente, elle porte cette belle phrase d'encouragement d'André Gide : « L'intense et bizarre joie que j'éprouve à la lecture (et relecture) des ces pages remarquables entre toutes. »

Elle est un peu déchirée et salie, mais, peu importe, elle est là....

L'autre petit détail est que François Augiéras à ajouter son nom et son adresse de sa main sur la page de titre.


Là aussi, c'est un petit rien, mais cela donne un peu d'épaisseur à cet exemplaire, lorsque j'imagine François Augiéras penché sur l'ouvrage, traçant ces quelques lignes de son écriture un peu appliqué et maladroite, si caractéristique avec ce mélange de majuscules et minuscules dans les mots, comme dans son nom ou dans Périgueux.


C'est tout pour aujourd'hui. Pas de beaux garçons, mais l'envie de partager ce qui fait les petites joies de la vie du collectionneur de livres.

samedi 22 août 2015

Pèlerinage au pays d'Augiéras

Depuis longtemps, j'ai un particulier attachement pour l'œuvre de François Augiéras. J'ai souvent eu l'occasion d'en parler et de décrire ses ouvrages majeurs (cliquez-ici). Ces derniers jours, profitant des vacances, j'ai voulu pour ainsi dire incarner un peu plus ma passion pour l'œuvre en allant sur les traces de l'auteur. Certes, je sais l'aspect dérisoire de penser que l'on se sent un peu plus proche d'un auteur en allant simplement voir et fouler les lieux qu'il a parcourus. Néanmoins, portant en moi ce qu'il représente pour moi, penser que les lieux que j'ai visités sont aussi ceux qu'il a connus, a donné en même temps plus d'épaisseur et d'incarnation à ce que je voyais et plus d'humanité et de proximité avec l'auteur.

C'est ainsi que nous sommes allés à Domme et, plus particulièrement, sur sa tombe. Je ne saurais décrire la forme d'émotion qu'il y a voir et toucher, car j'ai voulu toucher sa pierre tombale et ajouter une pierre à sa modeste sépulture. J'ai demandé à mon ami qu'il immortalise ce moment. Il y a un mélange de naïveté et d'émotion à faire cela.



Nous sommes aussi allés aux Eyzies, au bord de la Vézère. Tout cela a dû beaucoup changer, preuve de la perte de l'enchantement du monde dans lequel nous vivons (cette perte d'enchantement est probablement un des événements majeurs de notre époque. Pourrons-nous en revenir ? Je l'espère).
 

Hier soir à Périgueux, nous sommes allés voir le 14 rue du Palais où il a si longtemps vécu avec sa mère.


Sans parler d'une belle rencontre hier après-midi à Périgueux, avec un libraire avec qui j'ai pu très longuement parler et échanger sur Augiéras.

On me demandait comment j'ai connu François Augiéras. C'est cet article du Monde, paru en 1995, qui m'a fait connaître L'apprenti sorcier.


Cela reste mon livre fétiche, dont j'ai parlé ici même (L'apprenti sorcier). C'est ainsi ce mélange de hasard, d'attention et de curiosité qui m'a ensuite amené à découvrir plus en avant son œuvre.

Pour finir, lever de soleil sur la cathédrale de Périgueux ce matin :



mercredi 27 avril 2011

Le Vieillard et l'Enfant, de François Augiéras


Poursuivant mon exploration de l’œuvre de François Augiéras, j'en arrive aujourd'hui au premier ouvrage de cet auteur. Ce récit de la relation entre un jeune arabe et un vieillard français, excentrique perdu dans le désert algérien, s'est construit peu à peu, à travers de nombreuses éditions. Mais avant de parler de l'histoire du texte, revenons à l'ouvrage lui-même. Comme souvent avec Augiéras, la base de l'histoire est véridique. Le propre oncle de François Augiéras, le capitaine Augiéras, s'était réfugié dans le désert, dans le fort d'El Goléa où il avait construit un musée dans le désert. C'est là que François Augiéras l'avait rejoint, alors qu'il n'était pas un enfant. Quelles ont été leur vie et leur relation, nul ne le sait vraiment. C'est à partir de ce qu'ils ont vécu ou ce qu'Augiéras imaginait avoir vécu avec cet oncle, substitut du père, qu'il construisit un récit qu'il fit paraître sous formes de plaquettes signée Abadallah Chaamba. Cette relation sexuelle et mystique, faite d'amour et de haine, de soumission et de liberté, préfigure des thèmes qui seront encore plus développés dans Le Voyage des Morts et magnifiquement représentés dans ce texte qui condense tous les thèmes d'Augiéras L'apprenti Sorcier.

Comme pour les autres ouvrages, j'ai choisi quelques extraits :

On développe cette photographie prise le matin. A la lueur de la lampe je me reconnais bien.
- Tu es beau, dit le vieillard ; et le vieillard me mène à sa terrasse. Comme les bouteilles étincelantes fixées aux flèches des pavillons ses promesses miroitent. Au lit, me tenant dans ses bras : N'es-tu pas heureux avec moi. Chaque jour tu gardes mes chèvres, tu joues, tu vois le passage des avions.
Le froid m'éveille, le ciel se couvre. Les nuages sont très visibles. La pluie nous surprend et nous déloge du lit.

Dans l'obscurité des nuits, je hurle ma haine sans relâche. Je gravis les rochers près du ciel. D'un bond, je franchis les failles creusées dans le roc. Le sommet des falaises forme un dédale de chambres à ciel ouvert où je pleure, mon fusil en travers de la nuque, dans mes vêtements en lambeaux serrés contre moi par des lacets de cuir. Mes yeux, mon arme scintillent au clair de lune, et mes cartouches sur mes épaules nues. Je me repose dans mes chambres de pierre, je loge dans les couloirs de granit; à la craie, j'y trace de faibles signes. Il y a là-haut comme des ruelles et des lits dans le roc : O mon âme éternelle sous le ciel noir et l'édifice admirable des étoiles. J'y pleure, mon fusil dans les mains. Ensuite, me vient la peur ; elle me fait mal, seul, si loin de la maison de mon père.

A ce lit sur un toit, la nuit, je vois le matelas blanc sur les ressorts de fer, et cet homme au-dessus de moi. La violence de la douleur et le poids de cet homme écrasent mon visage à tout jamais brûlé, mes yeux bleus seuls vivants et grand ouverts. Il aura bientôt son cri, mi-râle, mi-hululement de joie dans le silence de la campagne déserte, seules les cabanes des Chrétiens, à deux kilomètres d'ici, pouvant l'entendre, et la dernière et merveilleuse pointe de ce râle où il analyse sa joie.

Quelle écriture et ma survie ai-je vues sur le toit d'une étable. Les livres que j'écris, dans l'obscurité où je vis, ils sont encore comme enfoncés dans le ciel noir et menacés, ne serait-ce que par ma mort. Devina-t-il que je pouvais me souvenir : ce soir, je suis roué de coups. Cet homme, à coups de bâton, me fait libre à tout jamais à ce point du monde où il cogne mon visage éternel, me disant :
- Peut-on dire qu'un enfant soit innocent ?

Les nuages que traversent les beaux rayons de la lune, toujours plus nombreux et vastes, en vagues grises et sèches passent silencieusement dans l'azur de la nuit. Je me sers de toute la force de mes yeux, je regarde les bâtiments et les toits de cet homme qui ne survivra qu'entre mes mains, qui, parmi les éternelles nuits de l'été s'abandonne à ce que mes yeux savent de lui; mes yeux bleus et changeants à tout jamais ouverts parmi les astres et les pierres. Il m'a rencontré parmi tous les hasards, moi qui pouvais écrire; moi sa seule chance de survivre; mais si lointaine, si obscure. Mes carnets sur ma toiture blanche, c'est mon destin et celui de cet homme joué sous le passage des nuages blancs de l'Afrique.

La flamme éteinte au chandelier de cuivre posé sur un créneau, je l'entends soupirer près de moi, se retourner, faisant grincer les ressorts. Mes lèvres mouillées et dures s'ouvrent et il y mange un goût de sel. Ses mains m'enlacent sous ma chemise bleue, pâlie par les nuits. Puisqu'il a l'habitude de m'avoir ainsi, le soir, je m'y accoutume, et, malgré la peur, ma tête contre les barres de fer, je parle avec mon âme éternelle. Il est comme le dernier homme que je verrais avant de mourir, au-dessus de moi, haletant, le souffle rapide, comme s'il voulait me tuer, masquant toute une région du ciel. Il regarde mes yeux, où dansent les reflets de la nuit; il cherche mes lèvres; dès qu'il les connaît, il est secoué de spasmes, surpris jusqu'à hurler de l'abondance et de la violence du flot qu'il arrache à lui-même, qu'il déverse sur moi. Et le sang de cet homme est le mien, et je n'ose dire à quel point c'est mon sang. Après qu'il a crié, je pose une main sur son visage; il accepte mon geste et que je touche à lui; ma main légère et sombre où la terre sèche et rose colle encore alentour de mes ongles.
- Comme toi, lui dis-je, ne suis-je pas seul au monde.

Mes carnets, je les mettrai à la poste ; au hasard ; vers l'Asie, vers l'Europe et vers l'Océanie ; et je danserai dans les vallées de pierre.
Les nuages bleus et noirs. O, l'éternelle victoire des petits livres qui ruinèrent la gloire des Conquérants.
Cet homme qui n'en sait rien ne survivra que dans mes humbles carnets; lui, dont l'orgueil alla jusqu'à se bâtir un mausolée de son vivant, il devra tout à un enfant qui sait à peine écrire; lutte avec l'ange dont je suis le vainqueur; il ne restera rien de lui, rien de son musée, sauf ce que j'aurai sauvé d'un éternel oubli dans mes carnets de couleur, ocre, bleu et rouge, mis à la poste, secrètement dans ce désert.

De nuits en nuits le vent sèche mes larmes. Quand je m'éveille, par quel heureux hasard et bien avant le jour, debout sur les toits, sur l'admirable géométrie de la cour, je ne sais pas si ma douleur n'est pas le plus délirant cri de victoire inventé sous le ciel étoilé. A l'écart des hommes et du monde, quelle enfance au service des formes éternelles. De quel silence suis-je né dans cette région des oasis, avec l'accord des astres de la nuit. Pour ce vieillard, ainsi, dans ce désert, ne suis-je qu'un rêve venu du plus lointain passé. Accepté l'horreur de ma condition, tout m'apparaît ici comme étant admirable : la cruauté de cet homme. Et la mienne. Moi, ne désirant rien tant que d'être accoudé ainsi au bord de mon sommeil, à proximité de la mort, que, de parler avec mon âme, que d'écrire sous les dernières étoiles, devant l'Eternel, mon seul seigneur et mon Juge.

Ce texte a une histoire compliquée et mouvementée.

Les premiers textes ont été imprimés sous forme de plaquettes entre fin 1949 et 1952, souvent remaniées, envoyées à des écrivains célèbres. Peu à peu, François Augiéras se créera une notoriété qui lui permit d'être publié en 1954 par Les Editions de Minuit. Cet ouvrage de 270 pages reprend l'ensemble des textes qui avaient été peu à peu imprimés. C'est la première édition mise dans le commerce.


J'ai un bel exemplaire, dont la reliure, par sa couleur et le motif de ses plats, est une discrète allusion aux couleurs du désert.



Comme souvent avec Augiéras, il ressentit le besoin de revoir son texte pour le rendre plus concis, donc plus incisif. Il réduisit, resserra, voir condensa son texte à quelques 80 pages qu'il fit imprimer pour lui même à 200 exemplaires, dans une présentation qui était, par la typographie et le motif, une discrète allusion aux Editions de Minuit. Comme pour se distinguer de tout ce qui avait paru auparavant, il l'appela Le Vieillard et l'Enfant de 1958, mais l'ouvrage ne parut qu'en 1960.


La préface, jamais reprise ensuite, est un véritable manifeste d'écriture :

En 1954, les Editions de Minuit publiaient un ouvrage titré : "Le Vieillard et l'Enfant", fait de carnets hâtivement rassemblés. Que je me sois trouvé trop jeune en présence d'un admirable sujet, il me fallut connaître plus souvent la souffrance pour en prendre conscience, pour bien voir qu'il ne s'agissait que d'un cri de colère hanté par Dieu, et que le thème essentiel du Vieillard et l'Enfant ne pouvait être que la découverte panique d une écriture sous le ciel étoilé.
Quelques années plus tard, je n'avais pas le droit de retrouver dans mon souvenir la vraie profondeur de ce drame, de le rendre à lui-même sans rien lui faire perdre de sa première candeur sauvage. Reconquête passionnante et cruelle. Qu'une écriture irréductible à la civilisation de Paris me soit apparue dans ce désert; au delà même de la vengeance que les nouvelles aventures de l'esprit soient probables sur les frontières d'un Empire; que j'ai refusé de me soumettre aux conventions d'un art profane : Depuis dix ans que j'écrivais, je commençais de le savoir. Que cette rupture toujours plus profonde trouve enfin son plain - chant, définitivement conquis, libre alors sous le ciel étoilé de l'Afrique:
J'ai tenté cette aventure de l'esprit.
Zirara, août 1958.

J'ai la chance de posséder l'exemplaire qu'il dédicaça à Jacques Brenner, un critique littéraire alors influent, qui aura un rôle déterminant pour la publication du Voyage des Morts. Sur la couverture, François Augiéras présentait son ouvrage :



Version hors commerce, éditée à la rentrée par les Editions de Minuit.

Cet envoi d'août 1963 fait ainsi allusion à la prochaine publication dont je vais ensuite parler.

L'envoi sur une page de garde est un précieux témoignage d'Augiéras sur son texte :


Version définitive de 1958
75 pages seulement, mais simples, humaines, dans le ton juste, je crois.
Très "arabes", hurlantes vers la fin, lisibles.

Peu après, bien que Les Editions de Minuit auraient pu prendre ombrage de cette publication "clandestine", elles n'hésitèrent pas à reprendre ce texte, complété d'un préface, dans un petit ouvrage paru en 1963 qui représente la version définitive du texte du Vieillard et l'Enfant.



C'est désormais ce texte, plusieurs fois réédité, qui est considéré comme la version de référence.

Il faut avoir la chance de posséder les rares éditions antérieures, sans parler des premières plaquettes (que je n'ai malheureusement pas), pour connaître les premiers états du texte et suivre le cheminement de l'élaboration du texte à travers les repentirs, coupes, ajouts et réécritures. On a ainsi de façon tangible le travail d'un écrivain qui cisèle son œuvre par un travail d'épuration. Lorsque on a la chance de pouvoir en plus le découvrir dans des exemplaires rares, voire portant la marque de l'auteur, on peut parler de fascination pour le livre comme signe matériel et tangible d'une pensée qui s'élabore.

Pour finir, ce beau portrait d'Augiéras jeune :


samedi 26 février 2011

Le Voyage des Morts, de François Augiéras (Abdallah Chaamba)

En 1954, paraissait enfin en édition commerciale le premier livre de François Augiéras, Le Vieillard et l'Enfant. Cela n'arrêta pas les errances d'Augiéras, qui repartit dès décembre 1954 comme élève vétérinaire dans une école d'élevage à Tadmit, en Algérie. De cette expérience, sortira un "journal intime" de ce nouveau séjour en Algérie. Avec le récit fiévreux de sa vie de prostitué à Agadir et une nouvelle évocation de sa relation avec son oncle au fort d'El Goléa, relation qui forme la trame du Vieillard et l'Enfant, il commence à composer un nouveau recueil Le Voyage des Morts. Ces deux photos d'Augiéras le représente à Agadir et à Tadmit, deux des chapitres les plus importants du livre.



Comme il l'avait déjà fait pour son premier livre, il fait imprimer en 1954 par Fontas à Périgueux une brochure sur papier de couleurs, première ébauche du futur texte. Depuis l'Afrique, il les envoie à tous ceux qu'il imagine pouvoir aimer ce texte et le faire connaître. Ce sont des écrivains ou critiques célèbres. Sur cette brochure, il corrige son texte, raturant (il remplace partout "mon père" par "mon oncle"), noircissant des paragraphes entiers, biffant des phrase, ajoutant des feuillets ou des cahiers. De même quelques mois plus tard, il poursuit avec une deuxième brochure, à qui il fera ensuite subir le même sort. C'est ainsi que vers 1955, une personnalité (qui ?) a reçu ces deux brochures, toutes vivantes des repentirs de l'auteur qui construisait son texte en même temps qu'il le recevait de l'imprimeur et qu'il l'envoyait. Ces brochures, peut-être imprimées à 100 exemplaires, sont des témoignages émouvants d'un auteur qui bâtit une œuvre. Ce sont des brochures que je présente aujourd'hui :



Quelques exemples des pages raturées de ces brochures.







Il faudra attendre 1959 pour que les éditions de La Nef publie la première édition commerciale de l'ouvrage, sous le même pseudonyme d'Abdallah Chaamba. Comme l'une des brochures, il contient une photo du fort d'El Goléa auquel un halo lumineux donne un aspect mystérieux.


Décrire Le Voyage des Morts est presque impossible. Pour moi, c'est d'abord et avant tout le récit d'une aventure intérieure qui se nourrit de ses expériences dans le désert algérois, de sa vie dangereuse et extrême de prostitué à Agadir. Traversé par un érotisme omniprésent, où l'amour des garçons le dispute à la virilité triomphante avec les prostituées arabes, c'est surtout une méditation sur la place de l'homme dans le cosmos, de son rapport avec les éléments, avec les forces de la vie. Une des forces de ce livre est d'abord la puissance du style, qui sait construire un alliage fragile entre la description crue de ses expériences sensuelles et un mysticisme qui se nourrit de son lien avec la terre, le ciel et la mer. Mais surtout, ce récit qui paraît de prime abord moins construit que ses ouvrages ultérieurs comme L'apprenti-sorcier ou Domme ou l'essai d'occupation, voire même désordonné, permet de faire émerger, à celui qui sait la voir, une ligne de force qui irradie tout l'ouvrage. Lorsque on suit ce fil conducteur, caché, on peut vivre soi-même une expérience personnelle qui se nourrit de celle d'Augiéras.

J'ai choisi ces quelques passages pour vous faire découvrir cet ouvrage :

Sur les brochures en couleurs

J'avais mis des paquets à la poste, à Gardaïa, à Ouargla. Mes ratures étaient plus visibles que le texte : ma main avait tremblé face au ciel étoilé. Croyant écrire, j'avais expédié partout les traces de mes peurs, de ma joie délirante, les pages ravagées par la férocité du désert comme la photo hantée au début de ce Voyage des morts.

Mes livres : je vivais avec eux, allais les voir dans la brousse où je les cachais pendant un an, deux ans, avant de les expédier au hasard. Le Voyage des morts, en couleurs, vraiment je le vis fait des seuls mots que j'aimais.

J'ouvris le Voyage des morts. Quelle joie d'être vivant, de pouvoir raturer encore, arracher à un texte ce qui ne lui appartient pas (des mots détruits me rappelaient des nuits où je n'étais pas mort); ce livre n'étant que le livre de compte de mes terreurs et de ma liberté.

Ce que j'ai fait imprimer en Afrique l'a toujours été sur du papier de couleur; je m'agenouille sur un toit, pose un cahier sur mes cuisses; je vois mon écriture de clair de lune imprimée sur du papier jaune souvent transparent comme des feuilles de maïs.
Si les hommes qui ont sculpté les masques de l'Afrique revenaient sur terre, ils feraient ce que je fais. Au sud de l'Europe qui s'obstine à peindre, la fantastique aventure de mes petits livres fut, moins la vengeance, la nuit, d'un enfant chez un colonel en retraite que la victoire, au XXe siècle, d'une écriture hantée.
De nuit en nuit, dans une servitude chez les Européens, je trouvai les couleurs de mon âme.

Je fis un effort pour me tirer un peu de ma sauvagerie, pour y voir clair. Il y a longtemps que la peinture est morte; un art décoratif abstrait très beau, très émouvant est encore possible, mais la grande aventure est ailleurs, il est bon qu'on le sache, qui n'est pas celle des peintres qui n'ont rien voulu, rien compris, qui n'avaient rien à dire : celle en Afrique de mes livres en couleur me semblait d'une rare audace.

Soudain, le cœur battant, je vis Le Vieillard et l'Enfant, reconnu les capitales bleues des Editions de Minuit. […] La typographie en était en-dessous de tout; mes petits livres en couleurs, du désert, expédié vers l'Asie, vers l'Europe avaient une autre vigueur, une autre virulence.
J'espérais mieux du Voyage des morts.

Mes livres en couleurs :
Raturés par moi, ouverts la nuit, enterrés dans le sable, repris ! Comme d'humbles fétiches ! En un sens, un joli coup de pied au cul de l'art moderne qui n'a jamais su en inventer un seul.
Etranges livres : parfois faits de signes, de traces. L'Afrique appelle les signes et non pas le récit.

Sur l'océan, la nuit, mes livres en couleurs m'accordaient à l'histoire des hommes; le fait d'être imprimés, de pouvoir être multipliés à un nombre infini d'exemplaires, leur donnait plus de chances de survivre qu'à moi.

Sur l'amour des garçons

Je me saoulai de thé, de kiff près d'une fille, un revolver dans la botte qui labourait ma cheville pendant que je faisais l'amour; j'aimais être homme ainsi, si jeune, si naïvement viril.
Nous couchâmes chez un notable qui possédait un grand lit de bois français, genre lit de paysan. On soupa, les plats sur les chenets; les flammes éclairaient nos visages, une toilette de faïence, son fils qui nous servait. Dehors, il pleuvait à torrent, les eaux rouges semblaient devoir emporter le village. Nous étions bien traités, en élèves d'une école d'élevage. Hubert, en tout bien tout honneur, partagea le lit de notre hôte, je restai près de la cheminée avec le garçon de mon âge.
Je l'avais vu dans une ruelle, appuyé contre une porte de maréchal-ferrant, noir de poussière de charbon de bois. A me voir sortir d'une maison où son père lui avait interdit d'entrer sous menace de correction, il avait eu un sourire amusé; il devait y aller... ou qu'avait-il pensé sachant que je couchais chez lui ? Il ne dormait pas, m'observait de l'autre côté de la cheminée; la chambre était dans l'ombre, sauf nous près des braises. Lentement il rampait vers le mur emportant ses couvertures. Je compris. Je m'éloignai de la lueur des tisons. Dormait-il ? Ma main erra sur le sol, nos doigts se rencontrèrent; longtemps il serra ma main de toutes ses forces. Avec une douceur, une tendresse extrême, j'entrai sous l'édredon que son père lui avait donné pour la nuit.
C'était le souffle de sa vie que je désirais. Les garçons ne cherchent pas la langue; lèvres closes nous bûmes notre haleine. Nos mains allèrent jusqu'à nos hanches grasses, dures. Sous les couvertures, les yeux fermés, je l'aimai de toutes mes forces. Nous étions tous deux grisés par l'hiver, par la nuit dans la montagne, par la neige. J'embrassai son visage. Nos jambes étaient chaudes. Il avait la senteur des forêts. L'amour des garçons, leur véritable nuit de noces, la joie. Puis le sommeil coupé de baisers et de caresses à en avoir des crampes dans le poignet. L'humidité m'éveilla à minuit.
Si je tirais la couverture à moi, il avait les reins découverts; j'avais froid par terre. Je me fis du café dans les braises, restai assis, une épaule contre la cheminée, regardant mon ami endormi.
Combien d'heures passèrent ainsi? Je revins sous les couvertures. Dans l'obscurité, les braises mortes, quand la vie monta en nous elle était brûlante, lumineuse; je voyais la vie éternelle qui nous apparaissait au cœur de l'hiver et de la nuit. Quelle fille m'aurait donné cela : sa douceur, sa vie si simple. Par les briques disjointes du carrelage, l'humidité pénétrait dans nos couvertures. Nous devinions la proximité des ruisseaux souterrains, l'eau dans la terre, les sèves, mille sources. Je m'endormis et le murmure de la fonte des neiges, dehors, diminuait peu à peu à mesure que le gel de la nuit arrêtait et immobilisait les ruisselets.
La lueur du jour qui tombait par la cheminée éteinte nous éveilla. Nous restâmes immobiles afin de maintenir contre nous la chaleur des couvertures. Il était temps de reprendre nos places dans la chambre. Nus, l'un près de l'autre, dans la douceur de l'aube, nous étions jeunes, encore unis par le sommeil, une même source. "Je t'aime", lui dis-je sous l'édredon. "Moi aussi", me dit-il en embrassant mes lèvres.
C'était mon printemps.
La lueur sur les tisons morts était bleue, un azur parfait.

Je la désirai après qu'elle eut connu mon camarde. Je pensais qu'il était beau, noble, que les garçons s'aiment entre eux, souhaitable qu'ils aillent aussi avec les filles. Le hasard me donnait la même jeune femme que le garçon que j'aimais.

J'embrassai son visage; avec une douceur extrême, me serrant dans ses bras, il me rendit mes baisers et ferma les yeux, dans l'immense clair de lune qui s'emparait des hautes prairies silencieuses.

Sept frères ou cousins gardaient les bêtes très haut sur les collines, près de grands rochers rouges. L'aîné chevauchait un mulet, un bâton sur l'encolure. Une cavalcade sous l'azur, un spectacle pour les siens. Il sauta vivement à terre, me proposa de lutter contre lui. Il avait une ardeur sans violence, une terrible gaieté dans la lutte. A l'instant où trop de vigueur nous eût fait perdre la joie de nous étreindre, il relâcha son effort. Quand son visage fut près du mien sur la terre au printemps gorgée d'eau, de pollen, fermant les yeux : oui, dit-il, un bras autour de mon cou. Devant tous, j'embrassai ses lèvres chaudes.
- Va avec lui, me dirent ses frères.
Nous montâmes au sommet de la petite montagne. I1 y avait là, entre les blocs immaculés, une casemate de ciment où nous entrâmes. Les frères se retirèrent. Dans la salle aux inscriptions obscènes, j'attirai à moi mon nouvel ami.
Un matin de printemps au XXe siècle.
Des mœurs de guerre ? Des façons de soldat, de berger ? Il fouilla dans le petit sac de toile que j'avais à la ceinture, en sortit des carnets, des livres. "Je t'aime", lui dis-je.
Sur la prairie, j'embrassai une dernière fois ses épaules, les mains de ses frères, descendis vers la plaine, vers les ombres du soir par le sable doré d'un sentier lavé par la pluie. Dans un bois de sapins, je m'assis entre les troncs sur les brindilles parfumées. Je vis l'azur lutter longtemps contre la nuit, les étoiles naissantes. C'était cela ma vie. J'entendis les pas des chevaux menés à l'abreuvoir vers une eau bleue et les cris des troupeaux de retour de la steppe, un soir, en Algérie.

Dans un bois de sapins, un jeune nomade gardait les vaches; son visage était beau et rond. Il me parla, brisant les branchettes basses. L'obscurité se fit plus intense. Nos doigts unis s'appuyèrent aux écorces d'où coulait de la résine. L'un et l'autre nous défaillîmes, nous tombâmes sur les brindilles parfumées, sur la terre durcie par le gel.
Des vêtements en lambeaux couvraient sa poitrine. Venait la nuit pure troublée par les abois des chiens. Il avait une odeur de suint et de fumée, de grands yeux de berger, des traînées de crasse assombrissaient son visage. Dans les bras l'un de l'autre, près des arbres, nous étions heureux. Un lien de corde serrait à sa taille un pantalon de toile. Il jeta sur moi un côté de son manteau. Ses hanches étaient chaudes, douces. J'embrassai ses lèvres. Il avait avec moi des façons graves, un peu émues, sans un mot sous mes caresses. Ses lèvres avaient un goût de sel et la pureté et la fraîcheur de la nuit.

J'aimais la douceur, la gravité de ce garçon de la steppe nu sous un manteau de l'armée trop grand pour lui et qui, si proche de moi, me témoignait une amitié si vraie. Nous restâmes épaule contre épaule, dans les bras l'un de l'autre, émus encore des coups que nous avions reçus. Sa gorge était chaude, noire de crasse, son regard calme et pur comme l'idée que je me faisais de l'amour. Nous étions pauvres.

Si Dieu existe, je lui dirai : voilà ce qui a été pour moi le comble du bonheur. Je n'ai pas craint de d'affronter la mort pour faire l'amour ainsi; la volupté que Tu avais mises dans nos corps, nous l'avons jetés sur Tes pierres près des astres.

D'abord, le fait d'appeler père un homme qui n'était pas mon père – je n'ai jamais connu le mien – et avec lequel je couchais ! Enfin, apparaissait une des plus graves hantises humaines. Il était mon père "rêvé" comme tout ce qui est proche de l'onanisme. (Je me masturbais tandis qu'il me possédait.)
Les rapports avec Dieu ? Sa vie, ses mœurs affirmaient la volonté de jouir face à la nuit étoilée. Seul un garçon pouvait lui plaire sur un grand lit de fer. Un instant de volupté intense dans l'histoire humaine.

Nous pénétrâmes dans une carrière, il s'accouda sur les pierres. J'embrassai ses lèvres. Une incroyable violence de la joie me fit voir cette carrière comme un paradis, celui des pierres, des astres et la nuit.
Je serrai enfin mon ombre sur mon cœur. Il s'agenouilla, me demanda de faire comme lui, et, chacun une main sur la hanche de l'autre, au tremblement de nos lèvres unies, l'un connut au même instant ce que ressentait l'autre.

Sur l'écriture

Le sud exaspérait mon goût des couleurs, des espaces inconnus. Quel lieu au monde, quel acte humain, quel accent décisif affirmaient la maîtrise des l'homme, la noblesse de l'homme. Mon drame – ou ma chance au XXe siècle – était de n'être pas un artiste, devoir trouver dans le réel, à mes risques et périls, un style de vie qui tienne face à la splendeur des astres. La prise de conscience de l'histoire humaine me hantait, j'avais rencontré la folie admirable d'un homme, d'un solitaire en Afrique.

Toute œuvre d'art est un Voyage des morts : en ce sens qu'on y fait la découverte de son âme qui n'a de chance de survivre que si elle atteint l'âme éternelle des hommes. Au point où j'en étais, la création artistique m'importait plus que tout. Des trames, des schèmes inconnus tremblaient sous ma plume.

Les astres scintillaient, certaines régions du ciel en étaient pâles; vers eux allaient mon cœur et mon désirs; primaire, j'adorais l'univers, à genoux sur les pierres de faîtage… joie très pure, je brûlais parfois ma semence; joie de mêler ma jeune force à la force des astres et des plantes; en mois la soudaine apparition de la joie, en avance de cinquante ans sur l'histoire humaine : un nouvel accord de l'homme avec le ciel. Les hasards, les silences, le désert au clair de lune… Un essai exemplaire. D'abord dans le domaine des mutations.

Plus que jamais j'avais envie d'écrire. A nouveau, en arrêt devant la librairie, je me demandais si je n'étais pas un sauvage en plein XXe siècle, occupé uniquement à fabriquer des esprits.

Une terrible joie faisait battre mon cœur. Menacé dans la nuit, venu du plus lointain passé, déjà dans l'avenir, je tremblais de l'honneur et de l'orgueil d'être homme.


Description des ouvrages

Pour les deux brochures :
S.l.n.n.d., deux brochures in-12 (188 x 115 mm) de 32 et 44 pages à la pagination irrégulière

Il n'existe qu'un exemplaire dans les bibliothèques publiques en France (source CCFr). Un autre exemplaire est passé en vente à Paris, Drouot, le 4 avril 2006, de la bibliothèque du philosophe rémois Emmanuel Peillet (1914-1973).

Pour l'édition originale de 1959 :
Abdallah Chaamba [Augiéras (François)]
Le voyage des morts
Paris, La Nef de Paris, Editions, [1959], in-8° (190 x 142 mm), 217-[5] pp, une photographie en noir et blanc hors texte.



Paru dans la collection "Structure", n° 2.

Il n'existe que 5 exemplaires dans les bibliothèques publiques en France (source CCFr) : 3 exemplaires à la BNF et 2 à l'Institut national de recherche pédagogique, Lyon.

Notre exemplaire contient un envoi d'Augiéras  :
 

Il s'agit probablement de René Dulsou, qui a été un des grands amours de Max Jacob entre 1932 et 1935.

Depuis 1959, il y a eu 2 rééditions :
Montpellier, Fata Morgana, 1979


"Les cahiers rouges", Paris, Grasset, 2000 (toujours disponible) :


Le texte diffère un peu de celui de 1959, puisque les pages 71 et 72 ont été supprimées.

La Bibliothèque de l'Arsenal (Manuscrits et fonds d'archives – don Jean Chalon) possède le manuscrit : Le voyage des morts, s.d., 1 cahier et des notes manuscrites : manuscrit autographe et copie dactylographiée corrigée.

Pour conclure ce long message qui, je l'espère, donnera envie de connaître et découvrir François Augiéras, cette belle photographie :


vendredi 22 octobre 2010

"L'Apprenti Sorcier", de François Augiéras, 1964

Je présente aujourd'hui un roman presque inconnu du grand public, et même des personnes plus averties. Et pourtant, c'est probablement un des grands textes de cette deuxième moitié du XXe siècle, un texte souterrain, connu de quelques initiés, mais, lorsque on l'a découvert, on regrette presque de ne pas pouvoir le découvrir une nouvelle fois et revivre l'envoûtement qu'il procure.



En 1964, paraît chez Juillard un ouvrage anonyme : L'Apprenti Sorcier. La trame de cette histoire est simple : un adolescent de 16 ans est mis en pension chez un prêtre, en plein cœur du Périgord noir. Entre eux, s'instaure une relation sadique où le prêtre bat et viole l'adolescent, relation faite d'amour et de haine entre le bourreau et sa jeune victime. L'adolescent rencontre un autre adolescent, un livreur de pains, avec lequel il vit une relation d'amour total, sexuel. L'ouvrage avance par étapes vers une fin paroxysmique, au sein de cette nature et de ce monde sauvage. Ce court résumé donne une faible idée de ce roman où se côtoient la nature sauvage, la brutalité des instincts et des sentiments, la magie, la vérité des hommes mises à nue et surtout le profond accord de l'homme avec le monde, sans intercesseur et sans dieu.



Quelques passages, glanés au fil du livre :

La rencontre avec le jeune livreur :

Un vaste abri creusé par les eaux diluviennes, où la fraîcheur invinciblement nous attira, nous vit pénétrer dans un couloir obscur à l'extrémité duquel une petite source lointaine résonnait dans la pierre. De faille en faille, brûlant des allumettes que l'éloignement de l'air libre éteignait chaque fois plus vite, perdue la dernière lueur de jour, nous avançâmes sur le sol un peu humide de la grotte. Je pris sa main. Je t'aime, lui dis-je. Moi aussi, je vous aime, reprit-il. Nous tombâmes dans les bras l'un de l'autre. Jamais étreinte ne fut plus douce, plus passionnée que la nôtre. Il avait le goût d'aimer et d'être aimé. Ses lèvres, d'abord hésitantes dans le silence des roches, s'ouvrirent et, comme une fleur délicieuse, désirèrent mes plus longs baisers.

La brutalité sauvage du monde :

L'été nous enivrait. L'enfant le ressentait comme moi. L'Europe des moissons, des cavernes et des garçons sod(...) me jetait d'abominables pensées dans le sang.


L'amour avec le jeune livreur :

Pendant quelques jours notre vie fut délicieuse. Il n'était qu'à moi; le pays ne se doutait de rien. Dans la grotte je le façonnais comme on pétrit de l'argile, une argile fraîche, charmante. Quel travail dans la pleine chaleur de l'été ! Tandis qu'on rentrait les foins j'adorais un enfant dans la terre. Ma voix accompagnait, presque chantée, sa naissance dans mes bras. Au fond d'un couloir je l'éveillais à la connaissance de lui-même, et ses petites lèvres émues me remerciaient en balbutiant dans l'obscurité de la grotte où il donnait libre cours à son besoin de caresses et d'étreinte amoureuse. Un jour, je frottai une allumette pour le voir; il s'était dévêtu de lui-même; tout son corps était blanc. Les habits sur les chevilles, c'était la plus radieuse apparition qui soit. Aux sources de la vie, piétinant le sol de la grotte, ivre, sans un mot, sans hâte, très loin du jour, il dansait. Je grattai une seconde allumette pour le revoir, que j'éteignis presque aussitôt,bénissant les ténèbres qui le jetaient dans mes bras.
Nous sortîmes. Nous passâmes de l'obscurité délicieuse à l'air chaud et à l'aveuglement du milieu de l'après-midi. J'aurais voulu ne plus revenir de ce côté-là de la vie et demeurer dans la grotte.


Le prêtre :

Fouet en main, il s'assit auprès de moi sur une autre chaise. Mes habits sur les chevilles, lorsqu'il me battait, j'avais l'impression d'être véritablement dévoré, que ma chair s'en allait par lambeaux, d'être cuit, n'ayant rien fait de bon, qu'il me dévorait à souper. Il posa le fouet en travers de ses jambes; dans l'obscurité je sentis ses mains contre ma chair nue. Il me toucha comme on caresse une femme, largement, longuement sous les cuisses. Depuis quelque temps je devenais sa servante, de la manière que je croyais que font les servantes, et qu'elles ne font peut-être pas, ce qui satisfaisait mon prêtre plus et mieux que ne l'eût fait une servante véritable; outre qu'il me fallait préparer nos faibles repas, je devais ranger la maison, et, certains soirs, non seulement recevoir le fouet, mais encore faire la tendre épouse. Ce changement d'état me plaisait, non pas en raison d'un errement de ma nature, ni d'une faiblesse du sexe, car j'étais bien viril et fier de l'être, mais parce que je croyais acquérir ainsi des pouvoirs. Avant de me battre il m'enlaçait la taille, il me parlait à l'oreille, et je sentais naître en moi-même ce qu'il y avait en moi de femme; dans la solitude, bien sûr, j'étais parfois ma propre épouse, mais sans trop y croire, tandis que dans les bras de mon prêtre j'étais bien aise de trouver quelqu'un, à la faveur de l'obscurité, plus ou moins grossièrement persuadé de mes rêves, et qui, en retour, m'en persuadait. Dans cette occasion j'avais le sentiment moins de me donner à lui que de faire sous les caresses la découverte de la seconde part de mon être, de moi-même en épouse pour moi. Je me tenais à peu près ce raisonnement qu'ayant la vie entière pour faire l'homme, à seize ans il me fallait voir quelle charmante et vigoureuse servante d'un prêtre j'aurais fait. Aucune ne vaudrait celle-là, intelligente dans la volupté, douce et forte; battue, je la plaignais, je l'en aimais davantage; comblée, je m'étonnais et je l'admirais de la vigueur qu'elle mettait à supporter tant de joie; ce dialogue avec soi allait jusqu'au parfait bonheur.

Le prêtre encore :

Dans cette petite chambre de la cure, j'étais heureux d'un bonheur fait d'une parfaite complicité avec mon prêtre que je devinais lui aussi occupé de ses rêves. M'aimait-il à cause de cette complicité qui nous unissait sans qu'il nous faille nous expliquer jamais ?

Je passai aussitôt à un bien-être absolu et je fis la tendre et la charmante épouse. Ce campement de couvertures en désordre me ramenait aux premières nuits de la terre, à un état de nature, à toutes les confusions primordiales. Le visage contre la veste à col de fourrure de mon prêtre, comme sur le pelage d'une bête, j'étais saoul de plaisir, j'avais chaud. Cette tanière me plaisait. Il me caressait avec une exacte intelligence de ma chair, avec une habileté de rebouteux, sans me parler, de crainte de me tirer de mon ivresse. Ses longues mains paraissaient me connaître parfaitement; de la tête aux chevilles, pas un os, pas un muscle qu'il ne modelât avec une subtilité qui me ravissait. Il me guérissait de ma solitude comme on remet une entorse. Ce qui me contentait le plus, c'était sa connaissance de moi, à croire qu'il voulait me plaire infiniment jusqu'au divin, jusqu'à m'entendre chanter à genoux dans ses bras ; à croire qu'il me connaissait de toute éternité.

Une plongée dans le Temps :

Le retable sculpté datait du XVIIIe siècle; la chaire élégante, bleu pâle et dorée, à panneaux de bois où l'on voyait joliment peints des anges, du XVIIe; les toits et la nef, du XIVe. C'était sur ce fragment de temps que reposait mon amour. J'étais persuadé, en effet, d'avoir déjà vécu dans ce pays ; mon prêtre et l'enfant, je les revoyais tous les siècles, et moi-même avec eux.

Une Rencontre avec le Monde :

Le regain y croissait en abondance entre des falaises creusées d'abris envahis d'une épaisse végétation. Le Monde était là devant mes yeux, celui des astres et des feuilles dans le Grand Temps de la Nuit. La terre tournait lentement dans un ciel pur strié de nuages roses pointus comme des avants de barque. Les rochers et les bois vivaient au clair de lune leur vraie vie, loin des hommes. Et moi aussi je vivais avec eux ma vraie vie; je nourrissais mon âme, je m'abreuvais de bonheur, je buvais la force du Monde : c'était cela le réel, le durable, l'inoubliable. L'insondable présence, vivante, du charme de l'espace traversait les feuillages. Yeux grands ouverts, je n'avais qu'un désir: ne jamais revenir du côté des humains. De fait, je les oubliais vite; pas une parcelle de mon être véritable, de mon vrai caractère, qui ne participât sans réserve à l'éternelle fête de la nuit souveraine.

Dans ce pays des grottes peintes, le plus lointain Passé m'approuvait. Dans mes rapports avec l'arbre, ce qu'il y avait en moi de femme venait des premières nuits de la terre; cet amour des feuilles datait des premiers soirs, des premiers Paradis, et me composait un curieux caractère de magicienne. Une profonde mémoire me revenait dans un flot de plaisir.


L'œuvre d'écriture :

Alors, de cette obscure nuit jaillit une lueur. Je me dis que de vieilles phrases, du temps des rois, traversées de candeurs rustiques, et ma folie habilement tissée composeraient une étonnante étoffe qui mériterait de survivre. Un petit livre, bien et mal écrit tout à la fois, semblable à une étoffe rustique et belle, voilà ce dont je pouvais être capable. Une sorte de tapisserie. Il me vint à l'esprit de la filer de grosse laine mêlée de fine soie. Cette idée d'un livre mené à la façon d'une étoffe curieusement tissée me plut. Ma solitude aussitôt me parut intéressante, mes vices aussi. Je vis nettement ce que j'avais en tête d'accomplir au plus vite; je m'amusais déjà à des malices et des finasseries dont j'avais l'intention de truffer ce texte qui serait fait de mille ruses et de petites faiblesses. J'y mettrais tout mon plaisir à vivre, l'amour qui me brûlait le cœur, mon caractère véritable, et mon âme, et l'inlassable rivière, et mon prêtre, et l'enfant.

Je ressentais de nouveau le Monde, là, près de moi, comme une réserve intacte de forces délicieuses où je n'avais qu'à puiser pour écrire un livre qui ne ressemble à aucun autre. Mais, quel étrange livre serait-ce, fait de la sorte, par un garçon comme moi qui vivait chez un prêtre ! Un petit livre galant, quasi de magie, comme nul jamais n'en composerait de semblable.



Commentaire sous forme d'avertissement

Ce roman peut sembler scandaleux. Cette relation sadique et masochiste entre un prêtre et un adolescent de 16 ans, cet amour entre l'adolescent et un garçon de 13 ans peuvent paraître scandaleuses en ce début de siècle. En vérité, le vrai scandale de ce livre ne se trouve pas là. Il se trouve dans l'expression de cette sexualité primitive, au milieu d'une nature sauvage qui est comme un miroir de cette sensualité qui renoue avec les forces profondes de la vie. En lisant ce livre, on approche quelques vérités fortes sur le lien entre l'homme, la nature, la sauvagerie, prise dans le sens d'un accord profond entre la nature et l'homme. Le scandale de ce livre se trouve dans cette sexualité vécue comme une aventure intérieure, presque une ascèse, par un adolescent de 16 ans. A lire cela, certains pourraient penser que nous sommes dans quelque avatar de la pensée New Age ou dans quelque émanation d'un épigone de Paulo Coelho. Non. Cette vérité que veut nous faire découvrir Augièras, il l'a lui-même expérimenté. Il suffit de lire Domme ou l'essai d'occupation pour comprendre que l'Apprenti Sorcier, comme ses autres livres, sont le reflet d'une très riche aventure de l'esprit, qui s'éloigne des sentiers battus, qui explore des chemines nouveaux, qui va au limite de notre conscience, lorsque elle se confronte à la brutale existence de la nature, de nos instincts. On y voit le chant d'une sexualité brute : "tout ici disait la volonté farouche d'affirmer l'opinion scandaleuse que l'Homme est fait pour l'Homme, et non pour la Femme, que la Femme est l'Ennemie. Je devinais les vrais mystères, la vraie joie. [...] La chaleur de l'été, le cri des insectes qui hurlaient dans la campagne grouillante exaspéraient mon amour pour cet enfant qui, source lui-même, se donnait sans un mot".
A écrire et relire ces mots, je ne sais si j'arrive à faire partager la puissance de cet ouvrage et, pour celui qui s'y livre et qui s'y abandonne, la force d'entraînement dans l'exploration des forces obscures et sombres de notre esprit.

Quelques éléments sur l'auteur et le livre

François Augiéras, né à Rochester en 1925, a vécu toute sa jeunesse dans le Périgord. Il se fait connaître par ses romans sahariens : Le Vieillard et l'Enfant et Le Voyage des Morts. Après une vie de misère, il meurt à l'hospice de Montignac (Périgord) en 1971.


Il est aussi peintre. Ce sont quelques œuvres de lui, sauvées du naufrage de sa vie, qui sont reproduites ici.

Après deux ouvrages majeurs : Le Vieillard et l'Enfant, 1954 et Le Voyage des Morts, 1958, ce troisième livre eut du mal à trouver un éditeur. C'est Jacques Brenner qui le publia chez Juillard, dans la collection "Cahiers des saisons". Il le raconte lui-même (François Augiéras ou le Théâtre des Esprits (p. 11): "Ce petit chef-d'œuvre ayant été refusé ici et là, j'eus la chance de pouvoir le publier dans la collection des Cahiers des Saisons que je dirigeais chez Juillard. Augiéras ne voulut pas le signer de son nom véritable, mais renonça au pseudonyme d'Abdallah Chaamba qui convenait mal pour un récit situé dans le Périgord. La couverture et la page de titre présentèrent l'originalité de ne pas donner le nom de l'auteur".

Abdallah Chaamba est le pseudonyme de François Augiéras.

Une note personnelle

Je reste fasciné par les œuvres d'Augiéras, en particulier celle-ci. Après de nombreuses années(trop nombreuses années ?), j'ai relu ce petit opuscule pour préparer ce message. L'enchantement reste intact. J'ai découvert ce livre, et partant de là, l'œuvre de François Augiéras, grâce à une critique du Monde des Livres, lors de la parution d'une nouvelle édition dans la collection "Les Cahiers Rouges" en 1995.



J'ai ensuite exploré peu à peu les différentes facettes du monde d'Augiéras, autrement dit de ses livres. Je crois avoir tout lu de lui aujourd'hui. Je reste toujours aussi enthousiaste et j'espère donner envie de découvrir cet auteur, par les très larges extraits que j'ai reproduits.

Description de l'ouvrage


L'Apprenti Sorcier
Paris, René Juillard, [1964], in-8° (180 x 114 mm), 121-[5] pp.



L'achevé d'imprimer est du 6 janvier 1964 et le dépôt légal du 1er trimestre 1964.


Une bibliographie de François Augiéras vient de paraître :
Bibliographie des écrits de François Augiéras, établie par Pierre E. Richard
Nîmes, Editions La Palourde, 2010.



Cette plaquette est désormais indispensable pour ceux qui veulent démêler l'écheveau compliqué des éditions successives des deux premiers livres d'Augiéras.

L'Apprenti Sorcier a été réédité plusieurs fois. Il est actuellement disponible chez Grasset.