J'ai eu l'occasion de parler de Balzac sur ce blog à propos de la pièce de théâtre
Vautrin, qu'il a écrite sur ce personnage central de
La Comédie humaine. C'était aussi pour moi l'occasion de présenter ce personnage clairement homosexuel, créé par Balzac. Je vous renvoie à ce message :
cliquez-ici.
Balzac jeune (vers l'âge de 25 ans), par Achille Devéria (source : cliquez-ici)
Je ne m'étais alors pas interrogé sur l'homosexualité de Balzac. Je n'avais pas abordé le sujet sous cet angle. Je fais partie de ceux qui pensent qu'il n'est pas nécessaire d'être homosexuel soi-même (ou sympathisant, si on me passe ce mot plus élégant que "gay-friendly") pour créer un personnage homosexuel.
Au hasard de mes lectures de catalogues de livres anciens, je suis tombé sur une notice qui traite de cet aspect de la personnalité de Balzac. Je la reproduis telle quelle (la source se trouve à la fin). Elle aborde ce sujet à propos d'un envoi de Balzac à Laurent-Jan, le même à qui Balzac a dédié son
Vautrin. La boucle est bouclée.
Pour illustrer cet article, j'aurais aimé trouver un portrait de Laurent-Jan. Mes recherches ont été infructueuses. Je me contente donc de cette caricature :
Laurent-Jan, par Benjamin, vers 1840-1842 (source : cliquez-ici)
Quant à Balzac, j'ai mis en tête de ce message un joli portrait de l'auteur jeune, un peu poupin et sensuel.
Il existe aussi ce célèbre portrait :
Sur cette image de Balzac, n'a-t-il pas quelque chose d'un peu féminin ? Comme une sensibilité ?
Notice de la librairie Le Feu Follet, sur Blazac et l'homosexualité, où l'on s'interroge sur l'homosexualité ou l'ambivalence sexuelle de l'écrivain :
Important envoi autographe signé d’Honoré de Balzac sur la page de faux-titre à son ami Laurent-Jan, dédicataire de Vautrin, modèle de Bixiou, de Léon de Lora et de nombreux autres personnages de La Comédie humaine.
Il
fut pour Balzac à la fois son meilleur ami, son secrétaire fondé de
pouvoir, son nègre littéraire et peut-être même… son « dilectus ».
« ... le singulier fait de l’inventeur qui fit manœuvrer à Barcelone, au XVIème
siècle un vaisseau par la vapeur, et qui le coula devant trois cent
mille spectateurs sans qu’on sache ce qu’il est devenu, ni le pourquoi
de cette rage. Mais j’ai deviné le pourquoi et c’est ma comédie. »
(lettre à Mme Hanska)
Les Ressources de Quinola, c’est tout à la fois Les Fourberies de Scapin et Les Noces de Figaro.
L’ambition de Balzac à partir des années 1840 et jusqu’à sa mort fut en
effet de conquérir une renommée semblable à celle de ses illustres
prédécesseurs. Espoir aussi vain que tenace, il ne douta pourtant
jamais, échec après échec, de l’imminence de son succès.
Peut-être l’auteur de La Comédie humaine pensait-il
que le principal ressort comique tient au personnage principal et à ses
réparties cinglantes. Or justement, ce personnage, cet arlequin féroce
et éloquent, Balzac le connaissait bien, il se nommait Laurent-Jan et ce
fut le plus proche et le plus fidèle ami des dernières années de sa
vie.
Bien que la majeure partie de leur correspondance semble
avoir disparu, on estime que leur rencontre est antérieure à
1835. (Albéric Second fait mention d’un diner rue Cassini où Balzac
demeura de 1829 à 1835).
Personnage excentrique et
provocateur, Laurent-Jan occupe une place de choix dans la vie de bohème
que Balzac mène durant ces années avec notamment Léon Gozlan, Charles
Lassailly, Paul Gavarni et Albéric Second, auprès desquels l’écrivain «
s’encanaille avec plaisir et profit » (Maurice Regard, Balzac et Laurent-Jan). Tous
sont restés discrets sur les « excès » de ces années tumultueuses dont
on conserve pourtant d’éloquentes traces dans leurs correspondances,
comme cette missive dans laquelle Balzac invite Gavarni à une soirée
chez Laurent-Jan pour « [s]’élonger un brin une chotepis très bien
habillée » signée « TicTac dit vit d’ours ». Laurent-Jan fut le
principal organisateur de ces orgies balzaciennes, dans sa demeure du 23
rue des Martyrs, qui ont inspirées quelques scènes de la Comédie
Humaine :
« Le sérail offrait comme le salon d'un bordel des
séductions pour tous les yeux et des voluptés pour tous les caprices. Il
y avait une danseuse nue sous des voiles de soie, des vierges factices,
mais qui respiraient une religieuse innocence, des beautés
aristocratiques, fières mais indolentes, une anglaise blanche et chaste
des jeunes filles engageant la conversation en assénant quelques vérités
premières comme : - La vertu, nous la laissons aux laides et aux
bossues ! » (cf. Hervé Manéglier, Les artistes au bordel, 1997)
Ces
années folles coïncident dans l’œuvre de Balzac avec la création de
personnages sexuellement ambivalents ou clairement homosexuels comme
Zambinella et Séraphita les androgynes, Raphaël de Valentin qui a « une
sorte de grâce efféminée », Louis Lambert, « toujours gracieux comme une
femme qui aime », Lucien de Rubempré, et surtout celui que l’on
considère aujourd’hui comme le premier homosexuel de la littérature
française : Vautrin.
Au regard de cet intérêt particulier pour les différentes formes de sexualité dont témoigne La Comédie humaine
durant les années 1830 à 1836 (ni avant, ni après si l’on en croit
Maurice Regard), de nombreux critiques se sont intéressés à la sexualité
de Balzac durant cette période lors de laquelle l’écrivain connut la
presque totalité de ses jeunes collaborateurs.
Ainsi S. J. Bérard et
P. Citron s’interrogent-ils sur les surprenantes saillies qui parsèment
la correspondance de Balzac avec ses jeunes « protégés ». « Vous qui
m’envoyez faire foutre […], vous me prenez […] par le sentiment que j’ai
pour vous, venez donc vous faire foutre ici ; et au plus vite »
écrit-il à Latouche. Plus étranges encore, ses correspondances avec
Eugène Sue se concluent par des formules pour le moins étonnantes : « à
vous de glande pinéale » ; « à vous de périnée » ; « j’admire votre
prépuce et je suis le vôtre » …
On n’a retrouvé aucune
correspondance avec Laurent-Jan avant 1840, mais à cette date, celui-ci
lui adresse des lettres s’ouvrant sur un « très aimé » ou « mon chéri »
et s’achevant par un explicite « je me presse sur ton gros sein ».
D’après
les allusions de certains de ses contemporains, la double sexualité de
Balzac semble avérée. Albéric Second compare ses relations masculines à
celles de Nisus et Euryale, Roger de Beauvoir le surnomme « Seraphitus
», et Edward Allet légende sa caricature de Balzac : « le R.P. dom
Seraphitus culus mysticus Goriot (…) conçoit (…) une foule de choses
inconcevables et d’incubes éphialtesticulaires. » [Référence à Ephialte
qui prit à Revers Léonidas aux Thermopyles].
Pour les critiques
actuels en revanche, la question de ce que Pierre Citron nomme «
l’ambisexualité » de Balzac, reste posée. Parmi les hypothèses avancées
par P. Citron, S. J. Bérard ou P. Berthier, les relations de Balzac avec
Laurent-Jan, auquel on ne connaîtra pas d’aventures féminines,
concordent avec l’hypothèse d’une homosexualité active ou fantasmée de
Balzac.
Si l’on ajoute que la pièce Vautrin est dédiée à
Laurent-Jan – pour le remercier, écrira Gautier, d’avoir « sérieusement
mis la main à la pâte » – Laurent-Jan apparaît comme une des principales
figures liées aux « zones obscures de la psychologie de Balzac » (titre
de l’étude que Pierre Citron consacre à ce sujet).
A partir de 1841,
la correspondance entre Balzac et Laurent-Jan s’avère moins ambiguë, et
les excès de langage font place aux déclarations d’amitié et
d’admiration réciproques jusqu’à la mort du Maître dont Laurent-Jan
signe le 18 août 1850 l’acte de décès.
Durant ces dix dernières
années, celui que Gozlan considérait comme le « meilleur ami de Balzac »
et Philibert Audebrant comme « le bras droit de l’auteur de La Comédie humaine
» fut plus particulièrement le principal partenaire de Balzac dans sa
grande aventure théâtrale, passion qui allait consumer le romancier
endetté en quête de reconnaissance et de succès financier.
Théophile Gautier relate qu’en 1840, lorsque Balzac le convie avec Laurent-Jan, Ourliac et de Belloy à lui écrire la pièce Vautrin
qu’il a déjà vendue au théâtre de la Porte-Saint-Martin mais pas encore
composée, seul Laurent-Jan se prête au jeu : « Balzac a commencé par me
dire, en parlant de Vautrin, votre pièce puis, peu à peu, notre pièce et enfin... ma pièce. »
Laurent-Jan
héritera toutefois d’une prestigieuse dédicace imprimée, un honneur
qu’il partage avec quelques illustres contemporains dont Victor Hugo,
George Sand ou Eveline Hanska, auxquels Balzac dédia également certaines
de ses œuvres.
L’interdiction de la pièce ne décourage pas Balzac
qui persiste dans son rêve de fortune théâtrale, avec la collaboration
active et enthousiaste de Laurent-Jan auquel le Maître confie
l’écriture, la correction ou la réécriture de nombreuses pièces et
ouvrages : Lecamus, Monographie de la presse parisienne, Le Roi des mendiants (« un scénario superbe pour une pièce à deux »), etc.
«
Aussi recevras-tu plusieurs scénarios qui pourront occuper tes loisirs,
car je veux ta collaboration » lui écrit Balzac de Wierzchownia en
1849.
L’année précédente, avant son départ en Pologne, Balzac avait
officialisé cette collaboration par une procuration littéraire à
Laurent-Jan établie le 19 septembre 1848 : « Je déclare avoir investi
Monsieur Laurent-Jan de tous mes pouvoirs, en tout ce qui concerne la
littérature. […] Il pourra faire les coupures ou les ajouts, enfin tous
les changements nécessaires ; […] Enfin il me représentera entièrement. »
Laurent-Jan
accomplira sa mission avec le plus grand sérieux comme en témoignent
ses multiples échanges avec le malheureux démiurge. Balzac ne connaîtra jamais
le succès espéré, contrairement à ses amis Dumas et Hugo auxquels il se
compare pourtant, même dans l’échec. Ainsi, après le four des Ressources de Quinola, écrit-il à Mme Hanska :
« Quinola a été l’objet d’une bataille mémorable, semblable à celle d’Hernani. » Dont acte !
Le
10 décembre 1849, c’est un Balzac presque mourant qui associe encore
Laurent-Jan à tous ses projets dans une lettre admirable de courage et
d’espoir : « Allons mon ami, encore un peu de courage, et nous nous
embarquerons sur la galère dramatique avec de bons sujets, pour aller
vers les terres de Marivaux, de New-Beaumarchais, et de la nouvelle
Comédie ».
Il est très probable que le personnage de Quinola
soit en partie inspiré de cet ami fidèle et admiré de Balzac qui
concluait ses lettres de « mille amitiés » ; « tout à toi de cœur » ou «
ton maître respectueux et fier de son prétendu valet » (en réponse au
titre que s’attribuait Laurent-Jan). Cet homme d’un esprit aussi
brillant que vain ne produisit aucune œuvre digne de ce nom mais fut
sans doute une source d’inspiration considérable pour Balzac qui lui
doit nombre de « bons mots » ponctuant ses œuvres. Dans La Comédie humaine en
particulier, Bixiou et Léon de Lora, sont directement inspirés de ce
bohème excentrique, mais au-delà de ces deux personnages, écrit Maurice
Regard : « Bien des ombres balzaciennes accompagnent ce vieux corps
bossu et sec : Schinner, Steinbock, Gendrin » lui doivent « un peu d’eux
même [et] beaucoup de leur esprit ».
Balzac n’aura de cesse de
communiquer à ses proches l’indéfectible affection qu’il éprouve pour
son « misanthrope sans repentir » qui n’eut pas toujours bonne presse.
« Il vaut mieux que ses apparences. Moi je l’aime beaucoup et sérieusement » (lettre à Laure de Surville).
Quelques
jours avant la mort de son mari, Eve de Balzac rapportait encore à sa
nièce Sophie de Surville, l’effet salvateur des visites de son dilectus.
«
Votre oncle va beaucoup mieux, il a été fort gai, fort animé, toute la
journée, et je l’attribue à une bonne visite de notre ami Laurent-Jan,
qui a été plus éblouissant que jamais hier soir – il nous a fasciné
véritablement, et mon cher malade a répété plusieurs fois hier et
aujourd’hui : « avouez qu’on n’a pas plus d’esprit que ce garçon ».