vendredi 30 octobre 2015

La Zone, conte de Marc Bernard, illustré par Jean Boullet

Jean Boullet a mis son talent d'illustrateur au service de nombreuses causes. Vers 1947 ou 1948, le "Comité de protection de l'enfance inadaptée de Nîmes" a fait appel à la générosité du public pour participer à la rénovation du château de Luc, centre devant recevoir des mineurs délinquants à qui on voulait éviter la prison. Le Comité obtint un conte de l'écrivain Marc Bernard (1900-1993), originaire de Nîmes. C'est Jean Boullet qui est chargé de l'illustration.


Le résultat est une petite plaquette La Zone, contenant ce conte du même nom, illustré de 16 dessins de Jean Boullet. Marc Bernard donne une évocation très personnelle de la zone, telle qu'elle pouvait exister à la sortie de la guerre près de la porte de Bagnolet ou la porte d'Italie.

Je vous laisse apprécier l’homoérotisme des dessins de Jean Boullet, à travers quelques planches parmi les 16 qui illustrent la plaquette. Il n'y a pas de mauvaises causes qui ne permettent pas de faire montre de son talent pour croquer les beaux garçons !














Description de l'ouvrage

La Zone.
Conte inédit de Marc Bernard, illustré par Jean Boullet
[Nîmes], Comité de l'enfance de Nîmes, s.d. [1947-1948], in-8° (220 x 162 mm), [40] pp., 16 dessins pleine page, ouvrage en feuilles, sous couverture illustrée d'un dessin.


Contenu de l'ouvrage :
Couverture. La couverture imprimée sert de titre.
- Faux titre : La Zone (p. [1])
- Justification (p. [2]) : 150 exemplaires sur papier Montgolfier, numérotés de I à CL et 850 exemplaires sur papier vélin de Barjon, numérotés de 151 à 1000. Imprimé par H.Mauger, Nîmes. Ex. n° 921.
- Conte La Zone, signé en fin Marc Bernard. (p. [3-7]). Évocation très personnelle de la zone, telle qu'elle pouvait exister à la sortie de la guerre près de la porte de Bagnolet ou la porte d'Italie. Suit une page blanche (p. [8])
- 16 planches dessinés, signées Jean Boullet, en référence exacte au texte du conte de Marc Bernard. (pp. [9-40]). Chaque feuillet de 4 pages comporte deux dessins et deux pages blanches.

Malgré un tirage en apparence important (1000 exemplaires), il s'agit d'un ouvrage très rare. Il n'existe aucun exemplaire à la BNF et au CCFr. Il est absent de la bibliographie de Denis Chollet et de l'ouvrage Jean Boullet. Passion et subversion.

Notice biographique de Marc Bernard.

samedi 24 octobre 2015

Deux dessins de René Bolliger

Trouvés au Salon du livre et papiers anciens de Champerret, ce jour, deux dessins de René Bolliger :



dimanche 11 octobre 2015

Histoire de la célèbre maison close. 1877-1946. "LE CHABANAIS".

J'ai déjà eu l'occasion sur ce blog de saluer le travail de Nicole Canet. Il s'agissait alors de la parution de Plaisirs et Débauches au Masculin. 1780-1940 (cliquez-ici).

Cette fois-ci, Nicole Canet s'est intéressée à une ancienne maison close, fort célèbre en son temps : "Le Chabanais". Cela fait l'objet d'une exposition-vente dans sa galerie de la rue Chabanais et d'un beau livre, fruit de ses recherches sur l'histoire de cette maison close. Cela nous vaut un ouvrage documenté et bien illustré, nourri des recherches dans les archives de la Préfecture de Police, ainsi que de nombreuses photographies.


Pour tout savoir sur l'exposition-vente et l'ouvrage, je vous renvoie vers le site de la galerie "Au bonheur du Jour" : cliquez-ici pour l'expo et pour l'ouvrage.

Ayant moi-même une âme de chercheur, je sais tout le travail que représente la collecte et la mise en forme de tous ces documents. J'ai lu avec beaucoup d’intérêt cette histoire, même si spontanément, je me suis rarement intéressé à ce sujet. Pour mettre une petite touche personnelle, je signale juste qu'un des passages que j'ai trouvé le plus sympathique conte les mésaventures d'un jeune Italien, venu perdre son pucelage à Paris. Au passage, il semble aussi avoir perdu un peu de sa naïveté.



En marge du sujet principal de l'exposition-vente, quelques œuvres présentées sont aussi, j'imagine, plus en accord avec les goûts et les centres d'intérêt de mes lecteurs (et de moi-même) :




N'hésitez pas à explorer le site de "Au Bonheur du Jour". Sur les maisons closes, Nicole Canet avait mené un travail similaire sur la prostitution masculin. Je vous y renvoie Hôtels Garnis, Garçons de joie, Prostitution masculine à Paris de 1860 à 1960.

samedi 19 septembre 2015

Une histoire des garçons et des filles Amour, genre et sexualité dans la France d’après-guerre, Régis Revenin

Dans un billet précédent (L’impossible conciliation ou la vie héroïque du Dr Claude-François Michéa, Jean-Claude Féray), j'évoquais ma perception de l’histoire de l'homosexualité. Je vais la rappeler car ce que j'en disais s'applique aussi bien à l'ouvrage dont je parle aujourd’hui.

Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire de l'homosexualité (c'était il y a quelques dizaines d'années), la littérature disponible sur le sujet n'était pas aussi abondante qu'aujourd'hui. On avait le sentiment que cette histoire était rythmée par une césure profonde : il y avait un avant et un après 1968 et Stonewall. C'est à cette date que, tout d'un coup, les homosexuels étaient passés de l'ombre à la lumière. D'un peuple sans histoire, ils étaient soudainement entrés dans l'histoire. Une première raison était sûrement que ces événements étaient encore proches. Je n'exclus pas que cette perception soit aussi directement liée à ma propre histoire personnelle.

Aujourd'hui, parce que le sujet a été beaucoup exploré, cette histoire me semble plus envisagée comme un continuum. Elle est appréhendée comme toute histoire, avec des phases, des changements de direction, dont Stonewall et 68 serait un jalon, comme il y avait eu d'autres jalons dans le passé. C'est cette vision d'une histoire en continuité, plutôt qu'en rupture, qui permet de mettre en valeur des personnalités, des témoignages qui donnent une autre vision de cette histoire.


Le mythe, bien installé dans 1'histoire militante, veut que les Trente Glorieuses aient été prises en tenailles entre deux «âges d'or»: un entre-deux-guerres particulièrement favorable a 1'expression de 1'homosexualite et la «libération sexuelle» des années 1970. Or, cette période, souvent présentée comme particulièrement conservatrice, est plus subtile et complexe qu'il n'y parait: c'est aussi celle de l’émergence d'un mouvement homosexuel et de 1'apparition d'un nombre significatif de periodiques spécifiquement destines aux gays, dans un contexte de pénalisation des pratiques homosexuelles.(p. 167)

L'ouvrage de Régis Revenin apporte sa contribution à cette révision en cours, par la force de son témoignage. Plus qu'une étude théorique à proprement parler, c'est par l’exploitation d'un riche matériau qu’il nous donne à voir la sexualité des adolescents durant les « Trentes glorieuses ».
Disposant de 13 000 dossiers (il a exploité plus directement 2 500 dossiers) d’un centre de l’éducation judiciaire (Centre d'observation public de l’Éducation surveillée de Paris, à Savigny-sur-Orge), il a exploité les très nombreux témoignages, écrits, questionnaires des jeunes garçons passés par ce centre. Ces paroles retranscrites, complétées des commentaires et faits ajoutés à leurs dossiers par les éducateurs, donnent comme une vue de l'intérieur, avec des mots qui sont souvent simples et directs, de la sexualité de ces jeunes.

Au-delà de la sexualité, il aborde aussi la construction de la masculinité, les rapports entre garçons et, bien entendu, l'homosexualité. C'est plutôt sur ce dernier point que j'aimerais mettre en valeur l'apport de l’ouvrage. Avant cela, deux remarques. Par la source dont il disposait, il ne s’agit que de garçons. On n'a donc aucun point de vue de jeunes filles, ni sur leur vie sexuelle, ni sur leur perception en miroir de celle qu'en donnent les garçons. Ensuite, ce sont essentiellement des garçons des classes populaires de Paris et sa région. Pour ce qui m’intéresse ici, le fait d’appartenir aux classes populaires apporte un éclairage intéressant car l’histoire de l'homosexualité a surtout été écrite par des représentants des classes supérieures.

 Raymond Voinquel, L'ouvrier, 1946
Cette étude met une fois de plus en lumière que la séparation nette, voire la catégorisation hétérosexualité/homosexualité, qui induit des comportements distincts, étaient beaucoup moins prégnante, avec une certaine fluidité, selon les situations ou les occasions, entre les amours homos et hétéros. Pour ceux qui ont lu les livres de Daniel Guérin (je pense plus particulièrement à Un jeune homme excentrique. Un essai d'autobiographie.), c’est une idée déjà bien connue. Ce sur quoi je me suis arrêté, ce sont ces affirmations par de jeunes homosexuels de leur homosexualité. J'en ai retenu certaines, surtout extraites du chapitre : Amitiés et amours entre garçons. Ces mêmes affirmations paraissaient admises et validées par l'institution, par le seul fait qu'elle les transcrit dans les dossiers. Cela remet en question une vision, parfois misérabiliste, d'une difficile affirmation de sa spécificité avant la « libération ».

C'est Florimond, 17 ans en 1949, qui confirme : "Je faisais ça pour le plaisir. J'éprouve du plaisir à coucher avec un homme,. J'aime qu'un homme m'embrasse sur la bouche", après avoir affirmé : "la pédérastie est normale", les homosexuels "ne portant pas préjudice à société."

C'est Victor, 16 ans, en 1961 : "Je ne cache rien de mes tendances pédérastiques [...]. Je ne pense pas changer de mœurs [...]. Les femmes me laissent complètement froid."

C'est Pierre-Yves, qui en 1964 : "Nous, les pédés, nous sommes des êtres normaux et puis on nous changera jamais. [...] Je suis un pédé, je le sais, mais je suis bien comme je suis. D'ailleurs, je ne suis pas le seul dans ce groupe, hein ?"






J'ai focalisé mon compte-rendu de lecture sur ce point, car c'est celui qui m’a personnellement le plus intéressé. L’ouvrage est beaucoup plus riche que cela. Dans ce même chapitre, il y a une vision intéressante du Paris homosexuel de l'époque, tel qu'il était perçu et vécu par ces jeunes homosexuels. De même, il rapporte la vision de l'amour, de la construction d'une relation, où l'on voit que tout cela reste une affaire de sexe et de sentiments, comme cela l'a toujours été. Visiblement, pour celui qui voulait vivre cette vie, les rencontres semblaient assez aisées à Paris. Parmi les autres chapitres, celui sur la construction de la masculinité On ne naît pas viril, on le devient, est particulièrement intéressant. Il concerne tous les garçons, mais on peut aussi le lire avec, en arrière plan, la construction en regard des jeunes homosexuels, sur leur propre virilité, à une époque où l'équivalence : homosexuel=efféminé était beaucoup plus prégnante dans le regard de la société et des homosexuels eux-mêmes.
En lisant ce livre et ces témoignages de jeunes nées parfois avant guerre, j'avais encore en mémoire la très récente lecture du dernier livre de Dominique Fernandez. Issu d’un milieu totalement opposé à celui de ces jeunes, il a souvent raconté le fil de sa vie homosexuelle, en la construisant sur une opposition très forte entre les deux périodes avant et après le mouvement de libération homosexuelle. Il l'avait introduit dans le Rapt de Ganymède mais l'a repris tel quel dans son dernier ouvrage, comme si à 20 ans de différence, il n'était pas possible d'envisager l'histoire autrement. Pourtant l'ouvrage de Régis Revenin montre, de façon vivante, je dirais même en lien direct avec l'expérience vécue de ces jeunes homosexuels des années 1950, qu'il était possible d'être homosexuels dans ces années-là et de l'être et de le vivre de façon assumée.
En définitive, pour revenir à Dominique Fernandez, je me demande s'il n'y a pas confusion ou amalgame entre sa propre histoire personnelle et l’histoire globale du mouvement homosexuel, dont il s'est fait un peu l’historien vulgarisateur. Un ouvrage comme celui de Régis Revenin (je pense aussi à Georges Hérelle que j’ai eu l’occasion de chroniquer ici), amène un regard neuf, décalé et, surtout, nourri de l’expérience vivantes de nombreux destins individuels. C’est aussi ce qui en fait le prix.





Nota : hormis la couverture, l'ouvrage ne contient aucune illustration. J'ai choisi des images qui, me semble-t-il, illustrent bien ce message.

samedi 22 août 2015

Pèlerinage au pays d'Augiéras

Depuis longtemps, j'ai un particulier attachement pour l'œuvre de François Augiéras. J'ai souvent eu l'occasion d'en parler et de décrire ses ouvrages majeurs (cliquez-ici). Ces derniers jours, profitant des vacances, j'ai voulu pour ainsi dire incarner un peu plus ma passion pour l'œuvre en allant sur les traces de l'auteur. Certes, je sais l'aspect dérisoire de penser que l'on se sent un peu plus proche d'un auteur en allant simplement voir et fouler les lieux qu'il a parcourus. Néanmoins, portant en moi ce qu'il représente pour moi, penser que les lieux que j'ai visités sont aussi ceux qu'il a connus, a donné en même temps plus d'épaisseur et d'incarnation à ce que je voyais et plus d'humanité et de proximité avec l'auteur.

C'est ainsi que nous sommes allés à Domme et, plus particulièrement, sur sa tombe. Je ne saurais décrire la forme d'émotion qu'il y a voir et toucher, car j'ai voulu toucher sa pierre tombale et ajouter une pierre à sa modeste sépulture. J'ai demandé à mon ami qu'il immortalise ce moment. Il y a un mélange de naïveté et d'émotion à faire cela.



Nous sommes aussi allés aux Eyzies, au bord de la Vézère. Tout cela a dû beaucoup changer, preuve de la perte de l'enchantement du monde dans lequel nous vivons (cette perte d'enchantement est probablement un des événements majeurs de notre époque. Pourrons-nous en revenir ? Je l'espère).
 

Hier soir à Périgueux, nous sommes allés voir le 14 rue du Palais où il a si longtemps vécu avec sa mère.


Sans parler d'une belle rencontre hier après-midi à Périgueux, avec un libraire avec qui j'ai pu très longuement parler et échanger sur Augiéras.

On me demandait comment j'ai connu François Augiéras. C'est cet article du Monde, paru en 1995, qui m'a fait connaître L'apprenti sorcier.


Cela reste mon livre fétiche, dont j'ai parlé ici même (L'apprenti sorcier). C'est ainsi ce mélange de hasard, d'attention et de curiosité qui m'a ensuite amené à découvrir plus en avant son œuvre.

Pour finir, lever de soleil sur la cathédrale de Périgueux ce matin :



dimanche 26 juillet 2015

Lettre à Leonor Fini, Jean Genet, 1950

Pendant quelques années, il y a eu une relation spéciale entre Jean Genet et Leonor Fini. En 1947, ils collaborent. Elle illustre son poème Galère de 6 dessins. J'ai décrit un exemplaire de cet ouvrage sur ce site (La Galère, de Jean Genet, 1947). En 1950, chez le même libraire qui les avait publiés en 1947, Jacques Loyau, paraît une Lettre à Leonor Fini, un texte d'analyse de son œuvre par Jean Genet, illustré de 8 reproductions de tableaux de Leonor Fini. La première reproduction est un portrait de Jean Genet : 


Dans ce texte foisonnant, le premier qu'il consacre à un artiste, on sent bien que Jean Genet parle autant de l’œuvre de Leonor Fini que de la sienne propre. Avant d'extraire quelques passages qui m'ont semblé éclairer son propos, je note que cette réflexion est toute cérébrale. Je veux dire par là que l'on n'y sent pas le souffle d'une émotion esthétique devant les tableaux de Leonor Fini. C'est peut-être aussi la limite de ce texte, plus baroque et lyrique que chaleureux et inspiré.

Vous êtes la noce de la plante et de la bête.

Mais ce qui domine surtout - la parfum majeur que j'ai reconnu - c'est celui de la mort. Le choix des couleurs, l'inquiétude des scènes, la rencontre d'un coquillage avec un miroir, le plis des tentures, vos masques, tout, dans votre travail, témoigne d'un intime théâtre macabre.

L'époque que vous vivez, c'est la Renaissance, je veux dire que vous illustrez un thème qui, historiquement se nomme Renaissance Italienne. Le faste de cette époque est celui même de votre œuvre, voluptueuse et saupoudrée d'arsenic. Vos dames allongées dans l'alcôve, leurs garçons élégants sont emprisonnés, sont atteints d'une peste venue de la plus haute antiquité.

Ainsi, au dernier terme de votre travail, vous vous préoccupez du monde reprouvé où le silence a la puissance d'une nécessité esthétique. Peut-être est-ce lui qui vous permettra de rejoindre le malheur plus terrestre, plus "humain", plus charnel. Si, jusqu'à ces jours derniers vous avez, à la plus fine des cires donné une vie solennelle, peut-être allez-vous accorder le malheur et la vie à la plus infâme tourbe.

Sans doute trouverez-vous que j'ai vivement élu ce qui m'est proprement familier, et que c'est d'abord mon travers que j'exalte. Mais me passionnerais-je autant pour une œuvre si je n'avais découvert en elle et dès sa formation non ce vers quoi je m'achemine - et qui n'appartiendra qu'à moi - mais ces mêmes éléments désespérés épars à travers des fastes mortuaires ?

Cet exemplaire s'enrichit, au verso de la couverture, d'un envoi de Jean Genet. On ne sait pas quel est le destinataire. La lecture du texte en est incertaine : "J'exprime un art, puisse un jour en illustrer un autre, Jean Genet, H-51"


Pour illustrer le propos de Jean Genet, la plaquette contient la reproduction en noir et blanc de 8 tableaux de Leonor Fini. Le premier est le portrait de Jean Genet  qui introduit ce message. Les 7 autres sont :

Sphinx philagria

Espagne

La fille au corsage velu

Sphinx ermite

Bagnard

La fille du maçon

Antonio

Description de l'ouvrage
 

Jean Genet
Lettre à Leonor Fini
Paris, Loyau, 1950, in-8° (218 x 146 mm), [32] pp., 8 planches photographiques en noir et blanc.


L'ouvrage se compose de :
- Faux titre (p. [1])
- Titre (p. [3])
- Texte, signé en fin "Jean Genet" (pp. [5-13])
- 8 planches photographiques en noir et blanc, reproduisant des tableaux de Leonor Fini, sur la page de droite, avec le titre en regard sur la page de gauche (pp. [ 14-29]. Ce sont les planches reproduites ci-dessus.
- Achevé d'imprimer et justification (p. [31]) :

Cet exemplaire est le n° 89. Toutes les autres mentions que j'ai trouvées signalent 800 exemplaires, toujours avec une justification manuscrite. Seul celui-ci apparaît avec le chiffre de 1000. S'agit-il d'une erreur ?

Dans les bibliothèques publiques en France, il n'y a que 6 exemplaires (source CCFr) :
BNF : 8-V PIECE-31512 et RES 8-Z PAB BIBL-417 (don Pierre-André Benoît)
LYON- BM, fonds Chomarat : B 1686 (n° 718, ayant appartenu à Michael Josselson)
PARIS - BIB.LITTERAIRE J.DOUCET : 57040 (ex. n° 241, don Bronia Clair)
PARIS - Centre Georges Pompidou
STRASBOURG-BU Arts : T FINI 1

Ce texte a été repris dans :
Fragments... et autres textes, Gallimard, 1990, avec une préface d'Edmund White.
Les autres textes sont :
'adame Miroir (1948)
Jean Cocteau (1950)
Fragments...(1954)
Lettre à Jean-Jacques Pauvert (1954)

vendredi 10 juillet 2015

L’impossible conciliation ou la vie héroïque du Dr Claude-François Michéa, Jean-Claude Féray

Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire de l'homosexualité (c'était il y a quelques dizaines d'années), la littérature disponible sur le sujet n'était pas aussi abondante qu'aujourd'hui. On avait le sentiment que cette histoire était rythmée par une césure profonde : il y avait un avant et un après 1968 et Stonewall. C'est à cette date que, tout d'un coup, les homosexuels étaient passés de l'ombre à la lumière. D'un peuple sans histoire, ils étaient soudainement entrés dans l'histoire. Une première raison était sûrement que ces événements étaient encore proches. Je n'exclus pas que cette perception soit aussi directement liée à ma propre histoire personnelle.

Aujourd'hui, parce que le sujet a été beaucoup exploré, cette histoire me semble plus envisagée comme un continuum. Elle est appréhendé comme toute histoire, avec des phases, des changements de direction, dont Stonewall serait un jalon, comme il y avait eu d'autres jalons dans le passé. C'est cette vision d'une histoire en continuité, plutôt qu'en rupture, qui permet de mettre en valeur des personnalités, des textes qui ont apporté leur contribution à un moment donné. C'est ainsi qu'une biographie récente a mis en lumière une personnalité fort oubliée, un aliéniste du XIXe siècle, le Dr Claude-François Michéa (1815-1882), qui est l'auteur d'un texte qui présente sous un jour favorable l'homosexualité. C'est une forme d'archéologie que d'aller déterrer, au sens figuré certes, au sein d'une revue savante du XIXe siècle, une contribution qui apporte sa pierre à l'édifice d'une histoire de l'homosexualité.


Paru en 1849 dans Travaux et mémoires originaux de médecine et de chirurgie, de thérapeutique générale et appliquée, cette réflexion : Des déviations maladives de l'appétit vénérien, a été initialement motivée par une très sordide affaire de nécrophilie. Cependant, le Dr Michéa profite de cette occasion pour étudier d'autres « déviations », dont la philopœdie, terme qu'il utilise pour désigner l'attirance d'un individu pour un individu du même sexe. On verra plus loin que le Dr Michéa avait un intérêt tout personnel à s'intéresser à ce sujet-là. C'était une forme de plaidoyer pro domo, que le prétexte d'une affaire à fort retentissement permettait de livrer au public.

Au début de l'article, il se présente en rupture avec le christianisme pour qui « tout acte vénérien accompli en dehors de cette prévision devint à ses yeux un attentat qui, du domaine de la morale chrétienne, passait souvent dans celui du droit civil et criminel afin d'y recevoir parfois un châtiment atroce et capital. ». En regard, il avance :
Les Grecs et les Romains pensaient que la sagesse divine avait aussi donné à l'homme l'amour en vue du simple plaisir ; ils croyaient que la volupté était tantôt une fin, tantôt un moyen. Selon Zenon, l'amour est un dieu libre qui n'a d'autres fonctions à remplir que l'union et la concorde
Ce qui est intéressant dans ce texte est la volonté affichée de faire sortir l'homosexualité du domaine de la morale religieuse, du péché et de la faute pour le faire entrer dans le domaine du médical. C'est un mouvement bien connu du XIXe siècle, qui va au-delà de ce sujet. Avec nos yeux contemporains, la médicalisation de l'homosexualité est souvent vue comme une autre forme d'enfermement ou de catégorisation. Il faut pourtant le comprendre comme un progrès, car cela permettait en même temps d'en faire un sujet d'étude, donc de donner un caractère factuel et objectif à tous les travaux le concernant, et d'affirmer son caractère naturel, comme une forme parmi d'autres d'expression de la sexualité (l'appétit vénérien, pour reprendre les termes de l'époque).
Les déviations maladives de l'appétit vénérien, et je ne veux parler ici que des principales, des plus antipathiques aux mœurs modernes, de celles dont le fait en soi et même la simple tendance conduisaient jadis au supplice du bûcher, et qui, dans l'avenir, seront exclusivement de la compétence des médecins, et pour lesquelles, dans l'opinion publique, une pitié profonde remplacera le mépris et la flétrissure.

D'après cela, on pourrait croire, on a cru jadis, et l'on croit encore généralement aujourd'hui, que L'amour grec est toujours un produit des civilisations avancées, qu'il constitue un vice engendré par le raffinement, le sophisme et la curiosité des imaginations blasées. [...] L'histoire et le récit des voyageurs modernes démontrent que la philopœdie s'observe aussi à l'origine des sociétés, chez les peuples sauvages et dans les natures les plus incultes et les plus primitives. Elle existait chez les Celtes, suivant Aristote, et chez les Germains, d'après Sextus l'Empirique et Eusèbe.

Le plaidoyer en faveur de l'homosexualité, certes sur un mode mineur, se concrétise par ces exemples de personnalités homosexuelles de premier plan à travers l'histoire.
Il est donc très probable que, chez les modernes, Henri III, le philosophe Vanini, le duc de Vendôme, Monsieur, frère de Louis XIV, Frédéric le Grand, Cambacérès, la tragédienne Raucourt, qui brûlaient presque exclusivement de ce genre d'amour, n'étaient point arrivés là graduellement et par excès de débauches réfléchies, mais que ces personnages y sacrifiaient en raison du goût inné, d'une passion instinctive. Plusieurs observations faites par des auteurs, notamment par des médecins, tendent à démontrer que l'amour grec doit être considéré comme une déviation maladive de l'appétit vénérien.
Je crois que les mots : "goût inné, d'une passion instinctive" sont au cœur de cette nouvelle vision de l'homosexualité (le mot n'existait pas) qu'il souhaite promouvoir.

On y voit donc comme une des premières manifestations d'un relativisme historique dans la perception de l'homosexualité. Comme on le sait, ce relativisme conduit à redonner une légitimité à des mœurs jusque-là moralement condamnées et socialement stigmatisées.

Il va même chercher une explication dans les restes physiologiques d'un utérus masculin, dans le corps masculin.
Si ces faits anatomiques se vérifiaient, si l'on parvenait surtout à découvrir que l'utérus masculin peut acquérir parfois un développement plus ou moins considérable, on serait peut-être en droit d'établir un rapport de causalité entre eux et les tendances féminines qui caractérisent la plupart des individus livrés à la philopœdie.

En présentant ce livre, c'est aussi l'occasion de dire que ce type de biographie, très documentée, est pour moi un modèle du genre. C'est presque un exercice de style que de vouloir faire sortir tout une vie du presque néant. Jean-Claude Féray y est parvenu. Au-delà du rôle officiel du docteur, de ses travaux comme aliénistes, ce sont les aspects plus personnels de sa vie qui sont révélés : il est identifié dès 1847 comme pédéraste dans le registre du même nom, tenu par la préfecture de police. Son mentor, dont il est très proche, le Dr Vallerand de la Fosse est lui aussi noté dans ce registre. Par deux fois, des affaires de mœurs le mettent en rapport avec la police. La première fois, en 1850, à propos d'une affaire de drague homosexuelle sur la cours de Vincennes, qui n'aura pas de conséquence. La deuxième fois, l'affaire ira jusqu'au procès. Il sera d'ailleurs rayé de l'ordre de la Légion d'honneur. Ces faits, que l'on aborde plutôt par la chronique judiciaire, éclairent un pan de sa personnalité, que l'on peut mettre en rapport avec le texte cité. On approche ainsi une certaine vérité de la personne, même si on aimerait savoir comment il vivait son homosexualité, comment il appartenait à un réseau d'homosexuels parisiens, comment il a fait le choix d'assumer cette vie, au risque de l'opprobre et de la stigmatisation, alors même qu'il aurait pu faire le choix d'une vie de façade « normale ». En définitive, le seul témoignage que nous ayons sur sa façon d'être au monde d'un homosexuel au  XIXe siècle est ce texte. Rien que pour cela, il méritait d'être sorti de l'oubli.

 Voir ici.