dimanche 27 janvier 2013

Manifestation pour rappeler que l'on peut s'aimer autrement

Pour la première fois de ma vie, j'ai manifesté aujourd'hui à Paris dans le cortège des pro-mariage gay (autant parler de mariage gay, plutôt que de mariage pour tous).

Pourquoi ?
Ce n'est pas un geste politique dans le sens étroit du terme, car je ne me reconnais pas dans toutes les tendances politiques qui ont manifesté aujourd'hui. C'était tout simplement pour rappeler que l'on pouvait s'aimer autrement.

 
Certes, la Gay Pride aurait pu être une occasion meilleure pour cela. Mais je sentais qu'il y avait urgence car le discours entendu (ou parfois simplement sous-entendu) de ces dernières semaine m'est, à proprement parler, insupportable. J'avais d'abord pensé faire simplement un message sur mon blog, comme je le fais depuis 4 ans, pour mettre en valeur une des pépites de notre culture homosexuelle. Au-delà de la dimension "culturelle" de mon blog, j'ai toujours pensé qu'il y avait une dimension militante dans l'affirmation de notre fierté à travers la présentation des œuvres du passé qui l'ont fait connaître. J'ai pensé que cela n'était pas suffisant aujourd'hui. J'ai donc simplement manifesté, sans démonstration, ni pancarte, avec mon compagnon, pour simplement rappeler que nous sommes là.



Belle manifestation, que le soleil a honoré de sa présence, dorant le bel ange de la Bastille qui nous attendait dans la splendeur de son corps offert aux Parisiens depuis plus d'un siècle.

samedi 5 janvier 2013

25 dessins d'un dormeur, Jean Cocteau, 1929

A l'automne 1925, Jean Cocteau rencontre Jean Desbordes. Ou plutôt, Jean Desbordes vient à lui. S'ensuit une nouvelle histoire d'amour dans une des périodes les plus troublées de la vie de Jean Cocteau. C'est le moment où son addiction à l'opium est la plus forte. C'est aussi le moment où il sort de sa phase religieuse qui a pu faire croire à certains qu'il allait devenir le nouvel écrivain catholique (c'est l'épisode Jacques Maritain). Comme pour Raymond Radiguet, Jean Cocteau se fera le mentor de son nouvel amour en l'aidant à publier son premier recueil de poésies : J'adore.


Mais, depuis Radiguet, Jean Cocteau a avancé dans sa façon de vivre son homosexualité. Là où, auparavant, cela restait une affaire privée, seule connue de ses proches, cela devient maintenant une posture publique, en cette fin des années 20. C'est un signe fort qu'à ce moment là, vers 1928/1929, deux ouvrages fort différents sont publiés. Le premier est le Livre blanc, dans un petit tirage privé, puis cet ouvrage et enfin le Livre blanc, dans une édition publique. C'est un dévoilement progressif. Il est symptomatique, et beau, que ce lent dévoilement passe par la publication de ces 25 dessins de Jean Desbordes en dormeur. Quel bel hommage à son amant que de le montrer ainsi, dans cette position d'abandon, même si elle reste encore (publiquement) très chaste.

En décembre 1927, Jean Cocteau se retire avec Jean Desbordes à Chablis, pendant quelques jours durant lesquels il rédige son "manifeste" homosexuel, Le Livre Blanc, qu'il fait paraître à très petit tirage et de façon anonyme en juillet 1928. Au même moment, il expose des dessins de Jean Desbordes en dormeur en même temps que des illustrations pour Œdipe-roi, à la galerie des Quatre-Chemins, rue Godot-de-Mauroy. Dans une sorte de dévoilement progressif, il est maintenant montré au public une image plus intime de soi, en admirateur/contemplateur de son ami dormant. Quelle plus belle image de l'intimité que celle qui est donnée par le regard que l'on pose sur son ami dormant ? Certes, c'est moins direct et moins "cru" que le dévoilement du Livre blanc, mais déjà plus public. En 1929, il publie ces 25 dessins dans un tirage déjà plus significatif de 213 exemplaires. Dans la préface, il semble s'étonner des réactions des visiteurs à ces images offertes au public, comme subrepticement, avec des images d' Œdipe-roi. Fausse ou vraie naïveté, il se sent obligé de préciser :
Ces dessins ne sont pas exactement des portraits de Jean Desbordes mais plutôt de l'amitié que je lui porte et d'une admiration respectueuse.
Puis il poursuit : 
Je les exposai, alternant avec des illustrations pour Œdipe-roi. Ces illustrations ressemblent à l'idée que je me forme du drame grec. Or les visiteurs voyaient les portraits de Desbordes et ne voyaient pas les illustrations d’Œdipe-roi. Je veux dire qu'ils n'y lisaient que taches et monstres informes.
En réalité ils ne voyaient de Jean Desbordes qu'un nombreux profil endormi au lieu de reconnaître un calque des veines et des artères de l'émotion, grand corps suspendu ; au lieu de suivre les fleuves et les montagnes d'une géographie de l'âme.
Pour tracer une ligne vivante et ne pas trembler de la savoir en danger de mort sur tous les points de sa route, il me faut dormir d'une sorte de sommeil, laisser descendre sans réserve les sources de ma vie dans ma main, et que cette main finisse par travailler seule, par voler en rêve, par se mouvoir sans se soucier de moi. C'est le motif pour lequel il m'arrive souvent cette chose très ridicule d'admirer avec ma tête un travail fait par ma main.
Je voudrais mourir, victime de la poésie comme certains docteurs des rayons X, sûr d'avoir engagé toute ma substance dans mon œuvre et de n'avoir rien mis de côté pour vivre confortablement un jour.
Les grincheux se plaindront d'une suite de dessins analogues et trouveront l'ensemble monotone. Qu'ils ferment le livre. Desbordes dort beaucoup. Un dormeur est le modèle des modèles. On risque en le copiant avec patience de copier l'élément où il baigne et de portraiturer, sans préméditation, l'atmosphère du songe.
Il ajoute : " Prudence n'était pas le nom de ma nourrice"

L'année suivante, plus directement, il publiea enfin le Livre blanc, dans une édition publique, même s'il reste anonyme. Je renvoie au message que je lui ai consacré : cliquez-ici.

Parmi les 25 planches, j'ai sélectionné ces images :








Il existe une bonne présentation de cet ouvrage, avec la reproduction complète des planches à cette adresse : http://cocteau.biu-montpellier.fr/index.php?id=231
Ce site très bien fait, très complet, se fonde sur une belle collection d'ouvrage et de documents de Jean Cocteau, appartenant à un fonds patrimonial unique en France né en 1989 d’une donation d’Édouard Dermit (fils adoptif et légataire universel du poète) et conservé à la B.U. Lettres de Montpellier III.

Description de l'ouvrage

Jean Cocteau
25 dessins d'un dormeur
Lausanne, H.-L. Mermod, s.d. [1929], in-4° (27 x 21 cm), [30] ff., dont 25 planches, couvertures grises rempliées avec étiquette de titre sur le 1er plat.




La couverture porte simplement un papier collé avec « 25 Dessins d'un Dormeur par Jean Cocteau ». 

L'ouvrage a été tiré sur les presses de l'imprimerie Albert Kundig à Genève. Le tirage est :
- 3 exemplaires sur Vieux Japon hors commerce, marqués A. B. C.
- 10 exemplaires sur Chine, numérotés de I à X.
- 200 exemplaires sur Velin pur fil des papeteries du Marais, numérotés de 1 à 200.
Celui-ci est le n° 141.

Cet ouvrage a été réédité en 2002 par Fata Morgana, avec un texte introductif de Pierre Chanel. Tirage 300 exemplaires sur vergé ivoire : http://www.fatamorgana.fr/livres/25-dessins-d-un-dormeur


Cet ouvrage est absent de la BNF. Il y a un seul exemplaire dans le fonds Cocteau de la BU de Montpellier.

A la fin de la préface, Jean Cocteau rend hommage à son éditeur :
Monsieur Mermod, sans connaître encore le génie de Desbordes, sans que je lui parle de notre amitié, a vu ses portraits avec le sens dont je parle. Tout cela lui paraissait l'évidence même, il entendait l'idiome des lignes. C'est pourquoi je lui donne la préférence et le charge de publier cette suite qui risque de sembler monotone à ceux qui ne savent pas lire une coupe de l'agate du sang, le secret des racines, des sources, et le langage des étoiles.


dimanche 2 décembre 2012

Les Invisibles, de Sébastien Lifschitz

Indispensable.

Ce film sorti cette semaine me semble indispensable pour comprendre ce que peut être l'homosexualité, comment elle a pu être vécue par ceux qui nous ont précédés. La grande humanité des personnages interrogés est aussi une leçon de vie pour chacun de nous. Je vous laisse découvrir la bande annonce  :


Deux photos extraites du film :



Note personnelle

Au-delà de l'intérêt de ce film, quelque chose de plus personnel s'est subrepticement glissé. Un des homosexuels interrogés se trouve être un cousin de ma mère. En allant voir ce film ce matin, j'ai découvert à l'écran qu'il était un des témoins. Je connaissais un peu son histoire, même si les hasards de l'existence ont fait que je ne l'ai pas vu depuis très longtemps. Je me souviens encore - j'étais alors enfant - du jour où il est venu chez mes grands-parents nous montrer ses photos et films de la Terre Adélie. C'est un sentiment très étrange d'être ainsi au cinéma et de voir, tout d'un coup, une photo où je reconnais ma grand-tante au milieu de l'écran. C'est aussi comme un raccourci entre son histoire et ma propre histoire, malgré la différence d'âge, mais la proximité de milieu, qui se trouve ainsi projeté devant moi. Dans une des dernières scènes, lorsqu'ils vont au monastère de Ganagobie, un lien s'est presque créé car, il y a quelques années, j'y suis aussi allé avec mon ami, me souvenant alors en avoir souvent entendu parler dans ma famille. 
Cette note personnelle, qui a donné une dimension inattendue à ce film, n'explique pas à elle seule l'espèce d'enchantement que j'ai ressentie. C'est un hymne au bonheur, au plaisir et à la liberté d'être soi.

dimanche 25 novembre 2012

Absinthe

A quoi pense ce beau jeune homme ?



Je vous laisse imaginer, voire divaguer... quand vous aurez vu l'ensemble :



Cette photo, que j'avais repérée il y a un an, vient de rejoindre ma collection. J'aime l'ambiguïté de cette image et tout ce qu'elle nous permet d'imaginer. En ces temps parfois crus (Ah, l'exigence de transparence), un peu d'incertitude ne nuit pas.

dimanche 18 novembre 2012

Le mariage Gay avant l'heure ?

En ce temps de débat sur le mariage gay, cette petite trouvaille amusante. Généalogiste à mes heures perdues, j'ai trouvé cela dans le recensement de Dijon en 1896. Dans cette maison vit un ménage composé de Jules Louis D..., 29 ans camionneur, mari et Auguste B..., domestique, 24 ans. Est-ce le mariage gay avant l'heure ?



Sans lien aucun et pour le plaisir des yeux, ces deux œuvres de Yannis Tsarouchis qui seront bientôt en vente à Paris :


N'a-t-il pas un petit air de camionneur ?


vendredi 9 novembre 2012

Pour aller au-delà d'Ompdrailles

Après avoir publié mon dernier message, j'ai reçu un mail et j'ai découvert un blog. C'est cette gravure qui a suggéré une association à mes lecteurs.


En effet, le sculpteur Alexandre Falguière (1831-1900), qui a aussi été peintre et graveur, a été inspiré par la mort d'Abel en illustrant Caïn portant Abel selon une représentation très proche de celle de Rodolphe Julian. Cela a donné lieu à une gravure et à un tableau qui se trouve à Carcassonne.


Cet excellent message sur un blog que je viens de découvrir nous permet d'en savoir plus sur le traitement du corps masculin par Falguière : L'atelier de Falguière. J'en extrais cette photographie des deux modèles posant pour la peinture et la gravure.


mercredi 31 octobre 2012

Ompdrailles, Léon Cladel, 1879

Encore enfant & déjà viril; des muscles, pas de graisse; un torse de héros, une ombre de duvet s'allongeant en droite ligne d'entre les mamelles vers le nombril & se perdant, plus touffue, sous les plis d'un caleçon couleur de feu; des reins bien creusés, irréprochablement assis sur des hanches un peu rondes; svelte, élancé sans être fluet; mains & pieds exquis; bras & jambes étalonnes au compas; un cou flexible & robuste arrosé de cheveux fluides tirant sur le roux, allant par mèches & vifs comme des rayons de soleil; l'air franc, des pupilles bleu-clair & profondes ainsi que des coins d'azur, une bouche paisible & la narine en mouvement; imberbe & la peau chaude de ton, des traits hardiment agencés & vivant en très-bonne harmonie; un front presque carré, la face sereine & superbe d'un archange : il était, l'Ompdrailles, amoureusement & savamment étudié par les yeux avides de la foule, qui ne pouvait se rassasier de le voir.


C'est ainsi que Léon Cladel décrit son héros, Albe Ompdrailles, que son invincibilité comme lutteur a fait surnommer : "Le Tombeau des Lutteurs".

Dans ce roman de 1879, Léon Cladel, un écrivain célèbre à son époque, a raconté le monde des lutteurs, à travers l'image de Ompdrailles. Ce lutteur invincible est devenu la proie d'une femme fatale, la Scorpione, qui lui enlève toute la force vitale qui lui permet de vaincre. C'était sans compter sans Arribial, qui, presque amoureux de lui, le tire du néant dans lequel il était en train de s'enfoncer. Malgré de nouveaux combats tous victorieux, l'emprise de la femme fatale est telle qu'Ompdrailles se donne la mort, vaincu par l'amour dévorant d'une femme et par des lutteurs sans pitié.

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un roman homosexuel. C'est même, d'un certain point de vue, le roman de l'amour fou d'un homme pour un femme. Il y a cependant une forte composante homophile, peut-être à l'insu même de l'auteur. Il y a d'abord le portrait de cet être viril, qui affronte d'autres virilités. Il y a surtout cette attention presque amoureuse du vieux lutteur Arribial qui vient le chercher dans son repaire et le ramener à la vie, à sa vie, celle de lutteur.

— Ignace ! dit-il tout à coup en remettant son vieux compagnon des arènes, qui traversait le rû sur un tronc d'arbre non équarri jeté de l'une à l'autre rive; est-ce toi, si tôt?
— Oui, mon Albe!
Une seconde après, ils s'embrassaient comme deux perdus ; ah ! le fait est qu'ils se becquetèrent plus de quatre fois séance tenante ; ils ne pouvaient se rassasier de ce plaisir...

Las ! Cette amitié amoureuse, digne de Walt Withman, ne suffira pas. L'emprise de la femme fatale sera la plus forte, conduisant Ompdrailles au suicide. Son vieil ami le découvre :

Et, péniblement arrivé jusqu'à son bien-aimé, qui portait au cou ce même médaillon semé de diamants dont il était paré le jour où, dans la lice, on l'avait vu s'évanouir sous les faibles poussées du Chacal-de-Monaco, le vieillard l'étreignit timidement, lui descella les paupières, lui tâta le coeur, lui chercha l'haleine &, tout épouvanté, lui baisa la bouche, où tremblait une mousse rosée...
— Aïe ! aïou !
Puis deux ruisseaux de larmes coulèrent sur la face ravinée de ce rude athlète, éploré comme une veuve & palpitant comme une mère devant son enfant expiré.

Ce qui donne une tonalité homophile à ce texte est, plus que l'histoire elle-même, les illustrations de Rodolphe Julian, qui a su si bien mettre en valeur la plastique masculine. Des 16 gravures qui illustrent cet ouvrage, j'en ai sélectionné 12, qui sont une bonne représentation de l'art de Julian. La première, en frontispice, probablement la plus belle, avec ce corps d'Ompdrailles offert dans un mélange de sensualité un peu languide et de virilité affirmée :


La suite illustre les aventures d'Ompdrailles :











Pour finir, cette belle image est celle du vieux lutteur Arribial montrant à la foule le cadavre d'Ompdrailles, mort d'avoir été aimé, ou seulement désiré, par une femme destructrice. Belle image d'une amitié virile !


Pour ceux qui voudraient aller plus loin, notice Wikipédia de Léon Cladel. Le texte numérisé est accessible sur Gallica : cliquez-ici. Vous pourrez vous faire vous-même votre opinion sur ce texte que, pour ma part, je trouve avoir beaucoup vieilli.
Enfin, notice sur Rodolphe Julian. C'est le seul ouvrage qu'il a illustré. Peut-être était-il lui même sensible à ce monde des lutteurs, monde qui a formé l'environnement de son enfance à La Palud dans le Vaucluse : cliquez-ici.


Description de l'ouvrage

Léon Cladel
Ompdrailles, le Tombeau-des-Lutteurs.
Paris, A. Cinqualbre, Editeur, 1879, in-4°, [4]-VI-[2]-386-[2] pp., une vignette au titre, 16 eaux-fortes hors texte et 7 dans le texte.



Complément

Une sculpture de Charles Van der Stappen, de 1892, illustre la mort d'Ompdrailles. Elle se trouve avenue Louise à Bruxelles.