vendredi 27 mars 2020

Illustrations érotiques de Soungouroff


En ces temps de confinement, je me suis demandé s'il était opportun de publier des illustrations aussi "libres", comme l'on dit dans les catalogues de livres anciens. Je ne voudrais pas créer des envies que l'obligation de rester dans un rayon d'un kilomètre ne permettrait pas de satisfaire. Mais, bon ! J'ai considéré que cette pépite de la culture homosexuelle méritait que je la partage avec vous.

Il s'agit d'un ouvrage publié à 500 exemplaires en 1947, au titre un peu énigmatique de Jours sans dimanche. Le texte est de Guy de Hautefeuille, un pseudonyme qui n'a pas été percé. Quant à l'éditeur, il se cache derrière un explicite "Au Mont de Venus".


En deux mots, c'est l'histoire des aventures sexuelles de Jacques, un jeune homme, bien doté par la nature, qui a quitté sa campagne pour travailler chez sa tante à Paris, autrement dit, pour monter à Paris. Reconnaissons que ni l'histoire, ni les tribulations érotiques du personnage ne sont très originales. Il expérimente un peu tous les types de situations, aussi bien hétérosexuelles qu'homosexuelles. Comme on le comprend vite, il expérimente surtout l'amour vénal.

Jacques est pris en mains par sa tante
Ce qui fait l'intérêt de l'ouvrage sont les 24 lithographies érotiques qui illustrent les aventures du jeune Jacques. Elles ne sont pas signées, mais il est aisé de reconnaître le style du peintre Anatola Soungouroff (1911-1982). Sauf erreur de ma part, c'est le seul livre qu'il ait illustré. J'ai choisi de vous présenter une sélection des illustrations homosexuelles masculines, qui représentent une part significative de l’ensemble.






On explique souvent que l'immédiat après-guerre a été une période de retour d'une certaine morale traditionnelle. Pourtant, et ce n'est probablement pas un hasard, dans la décennie qui a suivi la fin de la guerre, on voit apparaître des ouvrages au contenu explicitement homosexuel. Parmi les ouvrages illustrés, on peut citer Les vingt lithographies pour un livre que j'ai lu, par Roland Caillaux, en 1945, Tapis volant (1945), Les Beaux gars (1951), Antinoüs (1954), par Jean Boullet. Parmi les romans, on peut citer Notre-Dame des Fleurs, Miracle de la Rose, de Jean Genet, Les Mauvais Anges d'Eric Jourdan (1955), etc. Pour clore la série, Tirésias, de Marcel Jouhandeau, en 1954, allie le texte et les illustrations de Grekoff. Certes, beaucoup de ces livres sont tombés sous le coup d’interdiction, comme celui-ci qui a été condamné le 16 décembre 1948. Mais, il s'est trouvé des personnes pour les éditer et les diffuser et d'autres pour les acheter. Sauf erreur de ma part, cette "fenêtre" de liberté avant une époque beaucoup moins riche en érotisme homosexuel masculin (en gros les années 1960), n'a jamais été étudiée en tant que telle.

Le texte dans son encadrement érotique. Il y en a pour tous les goûts.
J'ajouterais qu'il est rare, me semble-t-il, qu'un ouvrage érotique illustré mélange dans un telle proportion des scènes hétérosexuelles et homosexuelles masculines (les scènes d'homosexualité féminine font partie des figures obligées de la littérature hétérosexuelle, cet ouvrage en contient plusieurs). Je ne connais pas suffisamment cette littérature, mais je ne vois pas d'autres exemples. Les illustrations des Œuvres libres de Verlaine combinent seulement une ou deux illustrations homosexuelles pour un nombre bien plus considérable de scènes hétérosexuelles. A titre d'exemple, je reproduis en fin de message un des dessins de Bécat pour l'édition de 1948.

Un extrait de la rencontre de Jacques avec René vous donnera une idée de la haute tenue littéraire du texte qu'illustrent les dessins de Soungouroff.
Jacques se réveilla brusquement.
Un poids chaud reposait sur son ventre, un cercle tiède et humide entourait sa verge. Il eut un recul instinctif.
La bouche rendit la verge à sa liberté et lentement la tête de son voisin remonta vers l’oreiller, roula sut son épaule.
Jacques ne pouvait plus bouger, il était tout contre le mur. Doucement a main caressait son ventre contracté, descendait plus bas, s’attardait.
— Un pédéraste, pensa le paysan, un pédéraste !
Il en avait souvent entendu parler au village, à l'école, par quelques gamins avertis.
Mais c'étaient un peu comme les loups garous, il ne savait pas que...
Et le garçon s’insinuait contre lui, passait son bras autour de la taille.
L'autre main poursuivait l'éternel massage, caressante.
Jacques ferma les yeux. il était trop tard pour lutter contre la sensation agréable qui endormait ses craintes, réveillait son sexe raidi.
À nouveau, la tête disparaissait sous les draps.
La langue tiède léchait le ventre musclé, retrouvait le chemin parcouru. La bouche gourmande enveloppait la verge, l’aspirait, gloutonne et la main audacieuse caressait plus lentement, courait jusqu’à la naissance du nerf.
Jacques sombra dans une douce torpeur.


"Jacques sombra dans une douce torpeur."


— Au jus! cria René.
Jacques ouvrit péniblement un œil. Il faisait grand jour.
— Quelle heure est-il.
René lança un coup d'œil vers un réveil posé sur la table de nuit.
— Midi moins dix. Bois ton café. Fais vite ta toilette.
Après je t’emmène déjeuner au restaurant.
Jacques but le café; il était fort, chaud et bien sucré.
— Que comptes tu faire ? interrogea René.
Jacques n’en savait absolument rien. Il haussa les épaules.
— Je ne sais pas, qu'est-ce que tu fais, toi?
— Rien, j’ai un ami qui m'’entretient, mais de temps en temps, si une bonne occasion se présente, je fais un micheton.
Jacques ne comprenait pas ; les hommes, eux aussi, faisaient le trottoir.
— Ça rapporte? ce métier là.
— Quand on est beau garçon et surtout bien monté comme toi, sûrement répondit René.
— J'oserais jamais : ce n’est pas comme avec les femmes.
René éclata de rire. — Si tu savais, à ton âge, ce qui m'est arrivé! Et, sans pudeur, avec une complaisance toute naturelle, l’inverti raconta :
— Une nuit, je revenais d’une surprise partie organisée avec des amis. J'avais bien bu, bien mangé, bien dansé, mais comme mes copains ne savaient rien sur ma vie intime, je fus obligé de partir sans faire l'amour. Je marchais le long d’une ruelle, quand, je vis s'avancer vers moi, un homme qui me dévisagea longuement.
C'était un jeune ouvrier qui devait aller à son travail.
Je le regardai aussi. Il s'arrêta. Nous parlâmes. De quoi ? je ne sais plus.
Un instant plus tard, nous faisions l’amour dans une rue avoisinante et déserte.
— Tu vois, j’ai osé, moi.
Il avait l'air content de lui, … sa chambre gaiement meublée, du petit réveil sur la table de nuit.
— Alors, demanda Jacques, qu'est ce qu’il faut exactement que je fasse ?
René s’assit près de lui.
Fais ce que je te dis, tu gagneras de l’argent. Tu n’as qu’à te promener sur les boulevards, près de la place Blanche en n'ayant l’air de rien. Tu comprendras vite, crois-moi.
— Mais pour l'argent, insista Jacques qui commençait à regretter d’avoir couché avec lui pour rien.
Demande le leur répliqua René, ce ne sera jamais trop cher pour ta belle petite gueule.
Les rencontres de René...


Comme la vie ne peut pas toujours être une fête, Jacques finit par se faire arrêter et mettre en maison de correction jusqu'à sa majorité.

L'arrestation de Jacques alors qu'il est avec deux lesbiennes et un "pédéraste".
Jacques est réconforté par l'aumônier de la prison.

Description de l'ouvrage

Guy d'Hautefeuille, Jours sans dimanche
S.l. Au Mont de Venus, 1947, in-folio (384 x 282 mm) de 58 feuillets non chiffrés (un double feuillet blanc et 14 cahiers de 4 feuillets), illustré d’une lithographie au titre et de 24 lithographies en pleine page, texte dans un encadrement érotique dessiné, en feuilles sous couverture rempliée illustrée de la lithographie répétée du titre, le tout sous emboîtage.

Tirage à 500 exemplaires non mis dans le commerce, numérotés sur B.F.K. des Papeteries de Rives. Cet exemplaire est le n° 369.

Il n'existe pas d'exemplaire dans les bibliothèques françaises (source CCFr).

Comme j'ai parlé de Bécat, je clos ce message par cette belle illustration des Œuvres libres de Verlaine.