jeudi 26 mai 2011

La Galère, de Jean Genet, 1947

Le condamné à mort est le plus célèbre des poèmes de Jean Genet. J'en ai déjà parlé sur ce blog. Nous savons qu'il célébrait l'assassin Maurice Pilorge (voir ici). Poursuivant dans cette voie, Jean Genet composa vers 1943 un autre poème à la gloire de l'assassin Harcamone, assassin imaginaire qui est aussi le héros du Miracle de la Rose.

Le poème est d'un abord plus difficile que Le condamné à mort. Il est même souvent obscur. Ces deux strophes, probablement parmi les plus accessibles, l'illustrent :

Fais un geste Harcamone allonge un peu ton bras
Montre-moi ce chemin par où tu t'enfuiras
Mais tu dors si tu meurs et rejoins cette folle
Où libres de leurs fers les galériens s'envolent.
Ils regagnent des ports titubants de vins chauds
Des prison comme moi de merveilleux cachots.

Le poème est d'abord publié en avril 1945 par Thierry Maulnier dans les Cahiers de la Table ronde.

La première édition est donnée en 1947 par le libraire Jacques Loyau, de Paris, dans un tirage confidentiel (88 exemplaires), avec 6 gravures de Leonor Fini. C'est cette édition que je présente aujourd'hui.

Leonor Fini est une artiste peintre d'origine italienne, au parcours très personnel. Avec Jean Genet, ils se rencontrent probablement vers 1947. Cette publication est leur première collaboration. Quelques années plus tard, Jean Genet lui consacre un ouvrage : Lettre à Leonor Fini, texte d'hommage, qui a aussi été publié par Jacques Loyau. Ils se brouillent ensuite.

Les 6 gravures qui illustrent La galère :







En voyant ces gravures, on pense inévitablement à ce qu'a déclaré Leonor Fini : "Je suis pour un monde de sexes non différenciés, ou peu différenciés".

Elle vécut longtemps avec deux hommes à la sexualité "ambiguë". Dans ce tableau, on la voit entourée par eux :


D'une façon plus classique, elle a peint Jean Genet plusieurs fois à cette époque, comme dans ce tableau :


Un site est entièrement consacré à Leonor Fini : cliquez-ici et une bonne synthèse sur Wikipédia : cliquez-ici.

Pour revenir à Jean Genet et son poème, il a lui-même donné une explication sur l'obscurité de cette œuvre : "Vers ce temps-là, j'avais écrit deux poèmes sans qu'ils aient de rapport l'un avec l'autre. Je les ai mélangés, pensant donner plus d'obscurité, plus de densité à mes vers." En rapportant ces propos dans son Saint-Genet, Sartre ajoute : "Le poème est obscur. [...] Genet [...] a recours à la ruse la plus puérile et la plus démoniaque".

Cela n'empêche pas qu'il comparaisse le 8 juillet 1954 devant un tribunal parisien sous l'inculpation d'attentat aux mœurs et de pornographie pour son poème "La Galère" et pour Querelle de Brest. Le tribunal statue en janvier 1956 que ces œuvres sont "attentatoires aux bonnes mœurs". Il est condamné à 8 mois de prison avec sursis et 100 000 francs d'amende. Selon E. White, "ce qui avait sans doute essentiellement choqué la cour, c'étaient les illustrations de Leonor Fini, pour "La galère" et surtout de Cocteau pour Querelle de Brest."


Description de l'ouvrage


Jean Genet
La Galère
S.l.n.n. (Paris, Jacques Loyau, libraire), 1947, in-folio (322 x 234 mm), [16] ff., 6 ff. de planches.

Les 16 feuillets non chiffrés de décomposent ainsi :
- [3] ff. blanc
- Faux titre
- Titre
- [8] ff. : poème "La Galère"
- Achevé d'imprimer et justification
- [2] ff. blanc

Les 6 planches reproduisent des dessins de Léonor Fini.

Achevé d'imprimer :
"Edition établie par Jacques Loyau, libraire, passage des Panoramas, Paris et imprimée sur les presses de l'hôtel de Sagonne, en juillet 1947, aux frais de l'auteur."

Justification
- 80 exemplaires numérotés à la presse, dont les 9 premiers sur vergé de Montval
- 8 exemplaires de présent
Cet exemplaire est le n° 13.


Cet exemplaire a été magnifiquement relié dans les années 1970 par Gilbert Bontaz, relieur grenoblois. Les plats mosaïqués sont ornés de deux compositions d'un artiste non identifié. Les dessins préparatoires ont été ajoutés à l'exemplaire.